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De Rouen, le 31e de mai 1659.
Salut à vous, très distingué Monsieur, médecin très célèbre, professeur royal et mon très vénéré maître.
Très illustre Monsieur, [a][1][2]
Je peine à savoir comment il se fait que je n’éprouve aucune crainte à vous écrire, quand votre immense érudition et votre renom, qui ôte toute borne à votre pouvoir et se répand de tous côtés, auraient dû me détourner d’un tel dessein, moi qui suis un jeune homme sans aucune réputation, qui ne balbutie qu’à peine parmi ceux qui ont charge d’enseigner, et dont toute la gloire se limite à avoir été votre auditeur pendant un an ; [3] mais ces mêmes considérations m’ont aiguillonné et encouragé à vous écrire. De fait, en tant que disciple qui doit instruire à son tour, j’ai cru séant de vous consulter sur les sujets difficiles, vous qui avez été mon professeur et très vénéré maître, puisque votre immense bonté autorise cela au premier venu. Le parlement a convoqué M. Le Noble comme témoin dans un congrès, et il a bien voulu en être ; mais voyant qu’il n’était composé que de médecins, M. Guestier a écrit que ce n’était pas une façon convenable d’examiner la virilité. [1][4][5][6] J’ai essayé de le faire changer d’avis, non par quelque démangeaison d’écrire ou de contredire, mais pour qu’il ne se vantât pas plus longtemps et glorieusement (comme il faisait) d’avoir écrit pour outrager suprêmement notre parlement. J’ai donc mis un frein à l’emballement [Ms BIU Santé no 2007, fo 361 ro | LAT | IMG] de notre arrogant et l’ai calmé ; mais il ne croira pas que j’ai raison tant que je n’aurai pas obtenu votre avis sur cette question. Si vous ne répugnez pas à m’en faire part, je me glorifierai d’appartenir aux plus chanceux, et vous promets d’en faire le plus grand cas, autant que d’un oracle, que jamais je ne demanderai à autre que vous, ce que je vous jure même sous serment. [2]
Vale très distingué Monsieur, médecin très célèbre, professeur royal et mon très vénérable maître.
Votre très obéissant disciple qui garde la mémoire intacte de votre bienfaisance, François Linant de Rouen.
Lettre autographe de François Linant « Au très distingué Monsieur,/ Monsieur Patin,/ médecin très célèbre/ et professeur royal/ en la très salubre Faculté de Paris. À Paris » : ms BIU Santé no 2007, fos 359 ro‑360 vo.
V. note [6], lettre 3, pour ce qu’était la procédure judiciaire dégradante du congrès. Les examinateurs (témoins) en étaient ordinairement des chirurgiens et des sages-femmes (matrones).
Charles Le Noble (v. note [30], lettre 398), médecin de Rouen, était confrère de François Linant. S’il n’était pas lui aussi médecin, M. Guestier pouvait être l’accusé qu’on soumettait (apparemment sans chirurgiens ni matrones) à l’odieuse épreuve de sa virilité, ou son avocat.
Sans la réponse de Guy Patin à François Linant, on ne peut connaître son opinion sur le congrès. Il n’a mentionné cette rude épreuve de justice qu’une fois, dans la 2e de ses 164 lettres à Claude ii Belin, le 14 mai 1630 (v. sa note [6]), à propos d’une thèse médicale disputée à Paris en 1626. La requête de Linant atteste simplement du très grand prestige dont pouvait jouir Patin auprès de ses anciens élèves.
Je n’ai rien trouvé d’imprimé sur ce congrès de Rouen ; mais de riches archives judiciaires font état de celui qui eut lieu en 1659 à Paris sur la personne de René de Cordouan, marquis de Langey, relaté dans Le Journal des Sçavans (Arrêt de la Cour du Parlement de Paris, du 18 février 1677, donné dans la cause de Monsieur le marquis de Langey, servant de règlement pour l’abolition du congrès, 5 juillet 1677, no xiv, pages 163‑165).
En 1653, âgé de 25 ans, Cordouan avait épousé Marie de Saint-Simon de Courtemer, âgée de 13 ou 14 ans. Ils avaient vécu en parfaite intelligence jusqu’en 1657, année où la dame de Langey porta plainte contre son mari pour brutalités et impuissance. Piqué de ce reproche, l’époux demanda le congrès. Il eut lieu dans la maison du baigneur {a} Turpin en présence de cinq médecins, cinq chirurgiens et cinq matrones. L’issue n’ayant pas été avantageuse au sieur de Langey, un arrêt du 8 février 1659 annula son mariage et le condamna à restituer la dot de son épouse. Chacun se remaria de son côté et donna naissance à une belle progéniture : trois enfants du nouveau ménage de la demoiselle de Saint-Simon, et sept de celui du sieur de Langey. Cela ne fit que raviver le procès engagé entre les anciens époux, qui aboutit à l’arrêt de 1677 qui supprima le congrès : « La Cour faisant droit sur les conclusions du procureur général, fait défense à tous juges, même à ceux des officialités, d’ordonner à l’avenir la preuve du congrès dans les causes de mariage. »
- V. notule {c}, note [5] du Traité de la Conservation de santé, chapitre x.
Ms BIU Santé no 2007, fo 359 ro.
Rhotomagi primo ante calendas junias anno 1659.
Viro calrissimo, medico celeberrimo regio professori
præceptoreque colendissimo salutem.
Ut ad te scribere non omnino pertimescam, quî
fiat vix scio, Vir illustrissime, summa enim
tua eruditio, famaque, ultra quam pateat imperium,
longè latèque diffusa, me nullius nominis adolescentem,
ac inter erudiendos vixdum balbutientem, hocque uno
gloriosum, quod tuus auditor per annum fuerim, ab
hoc proposito deterrere debuissent. at sane eadem illa
stimulos animumque scripturo addiderunt ; duxi quippe
rationi congruum, si docendus doctorem, auditor
professorem, præceptoremque meum colendissimum, in
quæstionum difficultatibus consulam ; cum id in primis
quibusvis liceat per maximam tuam humanitatem.
Scripsit dom. guistier, congressum coram medicis factum
non esse idoneum virilitatis inquirendæ modum, qui ipse
eiusmodi congressui, cum dom. le noble volens adhibitus est a
testis a senatu. eius opinionem refellere tentavi, non ex quodam
scribendi, aut contradicendi pruritu, sed ne per summam
senatus nostri iniuriam, diutius ac superbius (quod præstabat)
se scripsisse iactitaret. frœnum igitur præcipiti inieci
Ms BIU Santé no 2007, fo 360 ro.
superbentiem coercui, ipse tamen veritatem attigisse
non ratus, donec tuam hac de quæstione sententiam
perceperim, quam si mihi impertiri non graveris, me
inter fortunatissimos gloriabor, eamque tanti me facturum
polliceor, quanti oraculum, quod aliunde quam ex te, nusquam
me petiturum etiam cum sacramento assevero. Vale
Vir clarissime, medice celeberrime
regie professor præceptorque colendissime
Tuus obsequentissimus
ac beneficiorum maxime memor
discipulus franciscus linant Rhotomag.
Ms BIU Santé no 2007, fo 360 vo.
Ad clarissimum virum dominum
Dominum patin medicum celeberrimum
ac professorem regium in Saluberrimâ
parisiensi facultate
parisios