L. latine reçue 20.  >
De Thomas Bartholin,
le 20 avril 1661

[Bartholin b, pages 62‑63 | LAT | IMG]

À Guy Patin, à Paris. [a][1][2]

Vous avez de justes raisons pour détester le poison d’antimoine, comme fait avec vous la très salubre Faculté de Paris ; [3] mais ceux qui s’activent autour des fourneaux professent qu’il est moins nocif s’il est correctement préparé ; [4] ils crient ses louanges à tue-tête et proclament les succès de leur expérience. C’est une querelle où je ne m’engagerai pas. Je n’ai encore jamais osé recommander ce genre de remède à mes malades, quia vestigia me terrent[1][5] bien que son emploi m’ait paru salutaire dans les maladies opiniâtres : malo quippe nodo malus cuneus quærendus[2][6] Moi-même, un jour que j’étais alité à Naples, sur le conseil de Severino, [7] j’ai cherché à tirer un secours du foie d’antimoine, [3][8] mais je m’en suis presque attiré une pleurésie. [9] Le vin d’antimoine a vraiment bien réussi à un mien cousin car il a guéri une fois que son estomac a été entièrement vidé. [10] Il faut donc prendre en compte la diversité et de la maladie, et de la nature. Souvent la nécessité nous pousse à l’emploi de remèdes violents quand de plus doux sont sans effet. L’ellébore fut certainement fort coutumier à notre Hippocrate, et je préfère en taire d’autres, [11][12] suos quoque patitur manes[4][13] Pour ma part et pour vous parler sérieusement, je préférerais pourtant être fort malade qu’avoir le cœur retourné par l’antimoine. En médecine, j’aime en effet la voie sûre, pour ne pas souiller l’art le plus salutaire, ni exposer les malades à des hasards incertains. Je vous enverrai dès que possible le fascicule que je vous ai promis. [5] Vale.

De Copenhague, le 20e  d’avril 1661.

Tout à vous,
Thomas Bartholin.


a.

Lettre de Thomas Bartholin à Guy Patin, imprimée dans Bartholin b, Centuria iii, Epistola xvi, De stibio nonnulla [Quelques remarques sur l’antimoine] (pages 62‑63).

1.

« car les traces qu’il laisse m’épouvantent » (Horace, paroles du renard au lion malade, v. note [11], lettre 782).

2.

« pour un mauvais nœud, il faut bien sûr chercher un mauvais coin » ; malo nodo malus quærendus cuneus est un adage antique qu’a commenté Érasme (no 105) :

Eo licebit uti, quoties malum simili malitia retundimus. Sumptum a sectoribus roborum, qui siquando durior in ligno nodus inciderit, nolunt in eo periclitari securim, verum cuneum quempiam durum magis quam bonum inserunt. Congruit huic illud Sophoclus apud Plutarchum εν τω Περι της ευθυμιας : Πικραν Χολη κλυσουσι φαρμακω πικρω, id est Remedio amaro bilem amaram diluunt.

[À utiliser chaque fois que nous répliquons à un mal par un mal égal, il provient des coupeurs de chêne qui, lorsqu’un nœud plus dur les arrête dans le bois, ne veulent pas risquer leur hache sur lui ; mais ils y plantent alors un coin beaucoup plus dur que de bonne qualité. Sophocle dit la même chose, selon Plutarque, dans la Tranquillité de l’âme : « Amère potion guérira bile amère. »]

3.

Synonyme de safran des métaux (crocus metallorum), v. note [52], lettre 211.

4.

« c’est à chacun de subir son propre destin » (d’endurer les conséquences du destin dont il a hérité) ; quisque suos patimur manes (Virgile, v. note [7], lettre 14).

V. note [5], lettre 427, pour un exemple d’emploi répété de l’ellébore (comme purgatif) par Hippocrate dans le scorbut (ou une maladie qui lui ressemblait). Ses œuvres foisonnent d’autres indications de ce médicament drastique et dangereux (v. note [30], lettre 156) : v. l’entrée Hellébore dans l’index de Littré Hip (volume 10, pages 628‑630).

5.

Les 5e et 6e centuries des Historiarum Anatomicarum et Medicarum rariorum [Observations anatomiques et médicales plus que rares] de Thomas Bartholin (Copenhague, 1661, v. note [3] de sa lettre d’avril 1660).

s.

Bartholin b, page 62.

De stibio nonnulla.

Guidoni Patino, Lutetiam.

Stibii venenum justis de causis detesta-
ris, tecumque saluberrima Facultas

Bartholin b, page 63.

Parisiensis. At, si rite sit præparatum, mi-
nus noxium profitentur qui circa cineres
occupantur. Plenis buccis ab his laudatur,
et experientias clamant. Quam litem
meam non faciam. Nunquam adhuc ausus
fui istud remedij genus ægris meis com-
mendare, quia vestigia me terrent. Quan-
quam in contumacibus morbis salutarem
ejus usum viderim. Malo quippe nodo
malus cuneus quærendus. Ipse cum ali-
quando Neapoli decumberem, suasu
Seve-
rini ab hepate Antimonii quærebam au-
xilium, sed ferè Pleuritidem mihi advo-
cassem. Consobrino verò meo, feliciter
successit vinum stibiatum, statimque ex-
purgato ventriculo convalescenti. Itaque
et morbi discrimen et naturæ consideran-
dum. Subinde necessitas ad vehementia
nos animat remedia, quando mitiora nihil
proficiunt. Certè helleborus
Hippocrati
nostro adeò familiaris, suos quoque pa-
titur manes, ut alia taceam. Ego ta-
men, ut serio tecum loquar, malim for-
titer ægrotare, quam ex stibio nauseare.
Tutam enim in medicina viam amo, ne
defametur Ars saluberrima, et ægri incer-
tæ aleæ exponantur. Promissum fascicu-
lum quam primum mittam. Vale. Hafniæ
20. Apr. 1661.
T.T.
Th. Bartholinus.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – De Thomas Bartholin, le 20 avril 1661

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(Consulté le 25/04/2024)

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