L. latine reçue 28.  >
De Reiner von Neuhaus,
le 24 juin 1663

[Neuhaus, Centuria vi, Epistola xxv, page 35 | LAT | IMG]

Au très noble M. Guy Patin, professeur royal. À Paris.

Très noble Patin, [a][1][2]

Voici quelques mois, vous m’aviez promis de m’envoyer les Antiquitates de votre fils Charles. [3] J’espère que des oiseaux de mauvais augure ne leur ont pas barré la route, pour déchirer malencontreusement de leurs griffes ce rejeton tout nouveau-né. Je poursuivrais certainement ces Furies [4] de toute sorte d’imprécations et de menaces si elles commettaient un si grand crime contre moi. Par les lettres du très distingué M. Vander Linden, [5] n’avez-vous pas su à quel point, soupirant et presque hors d’haleine, je les désirerais ? C’est tout particulièrement en raison de mon épigramme qu’on y a insérée et qui a tant plu à Louis, le plus grand des rois. [1] Si l’incurie des messagers est vraiment en cause ici, renouvelez, je vous prie, par un généreux renvoi votre remarquable bienveillance envers moi. [2][6] Je ferai en sorte de n’être jamais ingrat à l’égard d’un homme que nous chérissons si fort dans notre pays. Aujourd’hui même, au récit de deux remarquables jeunes gens, M. Heurnius d’Utrecht [7] et M. Piccartus de Groningue, [8] j’ai eu la joie de reconnaître votre prodigieuse courtoisie envers les Hollandais. Par leur sentiment et par leurs yeux, j’ai vu devant moi une grande partie de votre bibliothèque et son ameublement, [9] qui surpassent ce que je pouvais m’imaginer. Ces savants interprètes m’ont dépeint sur le vif vos actions et vos délicates attentions. Ils m’ont en particulier chanté d’intarissables louanges sur le roi de France, sa majesté et ses mérites ; ils l’ont admiré comme un second soleil en son ciel, assurément l’égal d’un maître et d’un Atlas pour le plus grand royaume d’Europe. [3][10] Du reste, quant à votre Bellone, [11] qui semblait naguère furibonde, [Neuhaus, Centuria vi, Epistola xxv, page 36 | LAT | IMG] je n’attendrais plus d’événement funeste et malheureux. Ces émotions cesseront et ce sera alors ailleurs que croîtra l’inquiétude, tout particulièrement pour ce grand et terrible Hannibal qui est à nos portes. [4][12][13] Le maîtriser et le vaincre n’est pas l’ouvrage d’un Hercule isolé ; [14] puisse Dieu tout-puissant inspirer aux princes du monde chrétien des conseils plus salutaires et plus sensés ! Pour les faire avancer, cet Achille [15] français dispose de troupes aguerries et de courage. Pour mon particulier, très noble Monsieur, je n’entreprends encore rien de grand ou de nouveau, hormis parfois quelque épigramme ou quelque lettre fraîchement jaillie de ma plume, que je replace le moment venu. Il y a peu, un peintre et un graveur ont voulu faire mon portrait ; je vous en fais présent avec un intime sentiment d’affection, moi que vous avez vu et connu il y a déjà longtemps. [5] Bientôt sera aussi imprimé chez Jansson [16] l’Apparatus Eloquentiæ, sive Electa Classicorum authorum : [6] c’est un opuscule utile à la jeunesse, mais que ne devront pas dédaigner les savants hommes, eux qui préfèrent la difficulté et les grandes affaires, comme celui qui dit de Tite-Live pellibus arctari exiguis[7][17][18][19] Je n’en livre pourtant pas plus à l’arène littéraire, hormis ces uniques mots que j’ajoute en garantie d’un amour que nous partageons : je souhaite toute sorte de félicité, de bonheur et de prospérité pour le roi Louis, et pour Guy et Charles Patin.

De ma retraite d’Alkmaar, [20] ce jour de la Saint-Jean 1663. [8]


a.

Lettre de Reiner von Neuhaus,, imprimée dans Neuhaus, Centuria vi, Epistola xxv (pages 35‑36).

1.

Lettre du 10 octobre 1662 où Guy Patin annonçait à Reiner von Neuhaus la parution et l’envoi des « Antiquités » de Charles Patin : réédition (Paris, 1663), revue et augmentée par ses soins, du livre de Fulvio Orsini de Familiis Romanis [sur les Familles romaines] dans les médailles antiques (v. note [11], lettre 736). Sur la demande des deux Patin, Neuhaus avait écrit, avant la parution du livre, une ode latine célébrant leurs mérites (v. note [5], lettre latine 199).

V. note [8], lettre de Neuhaus datée du 1er août 1669 pour les Furies.

2.

Dans sa lettre du 10 octobre 1662, Guy Patin avait flatté Reiner von Neuhaus en lui confiant que Louis xiv en personne avait porté attention à ses vers et avait demandé si leur auteur était français. Neuhaus se morfondait donc, dans l’impatience de voir imprimé le poème qui lui avait valu un tel honneur, et se désolait que son exemplaire du livre de Charles Patin eût pu s’égarer en chemin.

3.

Reiner von Neuhaus parlait ici de Louis xiv, mais dans l’ode qu’il avait composée à la gloire de Charles Patin (v. notule {d} note [5], lettre latine 199), c’était lui qu’il avait comparé au Titan Atlas, fils de Jupiter, entre autres paternités mythologiques possibles (Fr. Noël) :

« qui excellait dans l’astrologie et fut l’inventeur de la sphère. Les poètes ont feint par cette raison qu’il portait le ciel sur ses épaules. Atlas, propriétaire du jardin des Hespérides, qui portait des pommes d’or, {a} averti par un oracle de se défier d’un fils de Jupiter, refusa l’hospitalité à persée, qui le pétrifia en lui montrant la tête de Méduse. » {b}


  1. V. notule {b}, note [54] du Patiniana I‑4.

  2. V. note [2], lettre de Neuhaus datée du 21 octobre 1663.

4.

Le Grand Turc Mehmed iv, ici comparé à Hannibal (v. note [29], lettre 525), occupait alors la Hongrie et menaçait d’envahir l’Autriche (v. note [8], lettre latine 242).

5.

La biographie de Reiner von Neuhaus (Reinerus Neuhusius) disponible sur le Digitaal Wetenscchapshistorisch Centrum le dit être venu étudier en France au début des années 1630. Son portrait figure dans sa Thalia Alcmariana (1661).

6.

Reineri Neuhusii JC. Apparatus eloquentiæ, sive Electa Classicorum Authorum. In usum Juventutis Alcmarianæ. Cum Indice rerum [L’Apparat de l’éloquence de Reiner von Neuhaus, jursiconsulte, ou les Morceaux choisis des auteurs classiques, à l’usage de la jeunesse d’Alkmaar. Avec un index des matières] (Amsterdam, Jan Jansson, 1663, in‑12). C’est un recueil de dits et vers latins mémorables tirés des auteurs antiques, et commentés à la manière de Neuhaus.

7.

« qu’il tient tout entier dans de petits parchemins » ; Martial (Épigrammes, livre xiv, épigramme 190) :

Titus Livius in membranis.
Pellibus exiguis atatur Livius ingens.
Quem mea non totum bibliotheca capit
.

[Un Tite-Live sur parchemin. L’immense Tite-Live tient tout entier dans ces petits volumes en parchemin, lui que ma bibliothèque ne pourrait contenir autrement].

Martial opposait la commodité du livre carré en parchemin (velin) à l’embarras du nombre immense de rouleaux de papyrus qui étaient nécessaires pour contenir les 45 volumes de l’Histoire de Rome de Tite-Live (Ab Urbe condita, v. note [2], lettre 127). En laissant toutefois penser que Martial méprisait Tite-Live, alors qu’il vantait la commodité d’un format de librairie, il semble que la pédanterie de notre éloquent gymnasiarque d’Alkmaar l’ait quelque peu égaré. Je n’ai n’a pas trouvé ces vers dans ses Electa Classicorum Authorum (v. supra note [6]).

8.

Le 24 juin : étant donné que la réponse de Guy Patin est datée du 4 juillet grégorien (nouveau style), Reiner von Neuhaus ne se référait pas au calendrier julien (vieux style ayant dix jours d’avance sur le nouveau, v. note [12], lettre 440).

s.

Neuhaus, Centuria vi, Epistola xxv, page 35.

Epistola xxv.
Nobilissimi Viro,
D. Guidoni Patino.
Professori Regio. Parisios.

Menses aliquot sunt, Nobilissime Patine, quod
Filii tui Caroli antiquitates mittere mihi pro-
miseris. Spero, non infaustas aves in viâ interve-
nisse, quæ vix natam hanc sobolem infeliciter suis
unguibus discerpserint. Certè, diris omnibus mi-
naciisque Diras istas prosequerer, si hoc tale in
me scelus commiserint. Viden’ in literis Cl. D.
Lindani, quam hæc, cum suspirio ac anhelitu pe-
nè desiderem ? Magis, quia Epigramma meum,
quod Regum maximo, Ludovico, tunc per-
placuit, illis est adjunctum. Si verò tabellariorum
incuria hîc sit in causâ, repete, quæso, liberali
missione hanc insignem tuam in me benevolen-
tiam. Faciam, nunquam ingratus ut sim in homi-
nem tantopere à Nostratibus dilectum. Qui et,
ipsissimo hoc die, ex
Præstantissimis Iuvenibus, D.
Heurnio, Ultrajectino, et D. Piccarto, Groningano,
mirificam tuam humanitatem, quâ in Batavos pro-
pendes, cum gaudio intellexi. Quorum judicio et
oculis magnam Bibliothecæ tuæ partem ac supel-
lectilem me coram vidisse, penè mihi imaginer.
Ita ad vivum actiones et elegantias tuas eruditi isti
interpretes delinearunt. Præsertim, quando de
Rege Galliarum, Illiusque Majestate et meritis
nunquam satis digna dixerint. Quem, tanquam
Solem alterum in suo Cœlo admirati sunt. Certè
parem majori regno, quam Europa est, Rectorem
et Atlantem. Cæterum, de Bellona vestrâ, quæ
primum furere videbatur, parum inominati infaus-

t.

Neuhaus, Centuria vi, Epistola xxv, page 36.

tique exspectem. Subsident isti motus, major
cum aliunde sit metus. Inprimis magno ac terribili
illo Hannibale ad portas. Ad quem domandum
vincendumque non uno est opus Hercule. Opti-
mus Maximus Deus Orbis Christiani Principibus
consilia inspiret salubria et saniora ! ad quæ promo-
venda Achilles ille Gallicus arma habet in expedi-
to. Animum quoque. Privatim,
Vir Nob. Nihil jam
molior magni, aut novi. Nisi quod interdum de
manu nostrâ exeat recens aliquod Epigramma, aut
Epistola : quæ repono in tempus. Paullò ante fa-
ciem meam repræsentare voluit pictor, et simul
sculptor. Hanc offero cum affectu interiore, qui
jam diu tibi cognitus et perspectus. Brevi etiam
apud Ianssonium Typis describetur Apparatus Elo-
quentiæ, Sive Electa Classicorum authorum. O-
pusculum Iuventi utile. Doctis etiam viris haud
spernendum ! qui malunt molem et res magnas,
ut ille de Livio ait, pellibus arctari exiguis. Plura
in arenam literariam non fero. Nisi, hoc unum ta-
men, quod pro munimento addo mutui amoris,
omnia me Felicia, Fausta, Prospera apprecari Lu-
dovico Regi. Guidoni, Carolo Patinis
.

Alcmariæ in secessu meo 1663. Ipso die
Divi Iohannis.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – De Reiner von Neuhaus, le 24 juin 1663

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(Consulté le 19/04/2024)

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