[BnF ms. latin 10352‑I, fo 97 vo | LAT | IMG]
Samuel Sorbière à l’excellentissime M. Guy Patin, très brillant et savant docteur en médecine de Paris. [a][1][2]
Très éminent Monsieur,
Voici une lettre de M. Beverwijk, [3] qui vous présente ses salutations de Dordrecht. [4] Depuis lors, les affaires m’ont tant accaparé que je l’ai jusqu’ici retenue par-devers moi, [1] mais je trouve enfin tout juste un instant pour vous écrire ce mot. Ce qui me décide à ne plus tarder, c’est votre bienveillance sans égale à mon égard quand, il y a peu, vous m’avez si aimablement reçu dans votre étude, [5] sans épargner votre précieux temps, sachant que vous étiez alors submergé par les sollicitations des malades. Je n’ai pas encore mis la main sur le de Arthritide, mais je mettrai tout en œuvre pour le trouver. [2][6][7][8] Si vous me demandez aussi ce que préparent nos savants, je vous dirai que Saumaise, [9] sous le nom de Simplicius Verinus, a employé du papier lissé et dégainé une plume modérée contre le livre posthume de Grotius ; [3][10][11] les amis du bienheureux défunt ne se contenteront pas de châtier l’amertume de ce qu’a écrit Saumaise en publiant très bientôt une réponse, mais crabrones irritabunt. [4][12][13] Je souhaite que la mémoire de Grotius sorte saine et sauve de la dispute qu’il a soulevée, tant ce grand homme a puissamment prédominé : τις ταρ των οχ’ αριστος εην συ μοι εννεπε Μουσα ! [5][14] Saumaise remue maintenant la question de l’eucharistie, où Codurcus [6][15] sera étrillé. Le révérendissime Rivet [16] prépare une Διαλυσιν Discussionis. [7] L’Ars poetica et le de Arte gymnastica de Vossius [17] roulent sous la presse. Très bientôt, grâce à la Physica de Regius, [18] la nature n’aura plus de secret pour nous : [BnF ms. latin 10352‑I, fo 98 ro | LAT | IMG] cet homme subtil, habitué aux tourbillons cartésiens, [19] a labouré de sa réflexion et de son esprit, avec une merveilleuse vélocité, toute l’immensité des choses. [8] D’autres impriment d’autres ouvrages, dont je vous parlerai plus longuement une autre fois, mais je désire savoir ce qu’en penseront vos brillants Parisiens. Ai-je à vous faire souvenir de votre dissertation sur l’étude de la médecine ? [20] Il n’y a vraiment rien que je souhaiterais lire avec plus d’empressement, mais vous y pourvoirez quand vous en aurez le loisir. [9]Vale et tenez-moi pour votre plus dévoué serviteur.
Hâtivement écrit de La Haye-le-Comte, [21] le 27e de mai 1646.
1. |
Cette lettre de Jan van Beverwijk à Guy Patin, en souffrance entre les mains de Samuel Sorbière, est aujourd’hui perdue : v. note [1], lettre latine 476, pour les tristes nouvelles qu’elle contenait. Dès les premières lignes, le latin de Sorbière se montre peu académique. Ma traduction a essayé d’en tirer le meilleur parti en interprétant sa syntaxe avec grande liberté, mais en croyant rester fidèle au propos. |
2. |
Frederici vander Mye Delphensis, Artium, et Medicinæ Doctoris. De Arthritide et Calculo gemino, Tractatus duo. In quibus universa horum morborum essentia, causæ, differentiæ, signa, et curatio, secundum Hippocratis et Galeni mentem dilucidissime explicantur. Una cum Disputatione Philosophica, de Lapidum generatione. Ejusdem Historia Medica. [Fredericus vander Mye, docteur ès arts et médecine natif de Delft : {a} deux Traités sur la goutte et la lithiase urinaire qui lui est liée ; où, dans l’esprit d’Hippocrate et de Galien, sont très clairement expliqués l’essence entière de ces maladies, leurs causes, différences, signes et traitement ; avec une Discussion philosophique sur la formation des calculs, et une Observation médicale du même auteur]. {b}
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3. |
V. note [16], lettre 146, pour le livre sur la transsubstantiation que Claude i Saumaise, alias Simplicius Verinus, venait de publier (Leyde, 1646), ripostant à la Discussio anonyme de Grotius (1645) contre l’Apologeticus d’André Rivet (1643). Le véritable fond du débat était la réconciliation des protestants et des catholiques, à laquelle les théologiens calvinistes de Leyde s’opposaient vigoureusement. Le papier lissé, charta dentata, était, dans l’Antiquité romaine, un papier poli à l’aide d’une dent de sanglier (Gaffiot) : « les maîtres écrivains lissent leur papier » (Furetière) ; mais le terme est à prendre ici dans son sens figuré, pour désigner une plume châtiée et respectueuse, sinon bienveillante. |
4. |
« s’en vont irriter les frelons », pour dire « jeter de l’huile sur le feu » : v. note [8], lettre 386. |
5. |
Homère, L’Iliade, chant ii, vers 761, que j’ai transcrit en développant les ligatures et élisions grecques du manuscrit : « chante-moi, ô Muse, quel a été de loin le meilleur ! » |
6. |
Sur le sujet en discussion, Philippe Codurc, calviniste français converti au catholicisme (v. note [52], lettre 336), avait publié De Missæ Sacrificio, deque corporis et sanguinis Christi in Eucharistia vera præsentia (Paris, M. Soly, 1645, in‑4o), avec sa traduction en français : Du Sacrifice de la Messe, et de l’oblation du corps et du sang de N.S. Jésus-Christ, en la Sainte Eucharistie (Paris, J. Bessin, 1645, in‑8o). Dix ans plus tard a paru son Antithèse de la Cène de Notre Seigneur Jésus-Christ. Et de la Cène calvinienne avec son formulaire. Pour servir de réponse aux railleries satiriques d’un parasite masqué de la Religion prétendue réf. contre le nom de Messe (Montpellier, Daniel Pech, 1655, in‑8o). |
7. |
Andreæ Riveti Grotianæ Discussionis διαλυσισ. Sive Vindiciæ Apologetici sui, pro vera pace Ecclesiæ, contra subdolos mediatores. [Résolution par André Rivet de la Discussion de Grotius, ou la Revendication de son Apologie {a} pour une véritable paix de l’Église, contre de fourbes médiateurs]. {b}
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8. |
Henrici Regii Ultrajectini Fundamenta Physices. [Les Fondements de la physique, de Henricus Regius]. {a}
Gerardus Johannes Vossius (v. note [3], lettre 53) préparait alors son De Artis poeticæ natura, ac constitutione liber [Livre sur la nature et l’établissement de l’Art poétique] (Amsterdam, Louis Elsevier, 1647, in‑4o). Il a inclus « l’Art gymnastique » dans le premier de ses quatre livres de quatuor Artibus popularibus… [sur les quatre Arts populaires…] (Amsterdam, 1650, v. note [6], lettre 162), mais je n’ai pas trouvé d’autre ouvrage, paru sous sa signature, spécifiquement consacré à ce sujet. |
9. |
Cette dissertation sur la pédagogie médicale, dont Guy Patin avait parlé de vive voix à Samuel Sorbière, n’est qu’un de ses nombreux projets littéraires qui n’ont jamais vu le jour. |
a. |
Copie manuscrite d’une lettre que Samuel Sorbière a écrite à Guy Patin, BnF ms. latin 10352‑I, fos 97 vo‑98 ro. Notre édition doit cette lettre à l’extrême obligeance et au talent archivistique de Gianluca Mori, professeur d’histoire de la philosophie à l’Université du Piémont oriental (Vicence), qui a très aimablement attiré mon attention sur ce recueil manuscrit de la BnF. |
s. |
BnF ms latin 10352‑I, fo 97 vo Excellentissimo Viro D. Vir Summe, en Epistolas D. Beverovicij, quem |
t. |
BnF ms latin 10352‑I, fo 98 ro vir enim ille acutus vorticibus Cartesianis assuetus |