L. latine reçue 4.  >
De Samuel Sorbière,
le 27 mai 1646

[BnF ms. latin 10352‑I, fo 97 vo | LAT | IMG]

Samuel Sorbière à l’excellentissime M. Guy Patin, très brillant et savant docteur en médecine de Paris. [a][1][2]

Très éminent Monsieur,

Voici une lettre de M. Beverwijk, [3] qui vous présente ses salutations de Dordrecht. [4] Depuis lors, les affaires m’ont tant accaparé que je l’ai jusqu’ici retenue par-devers moi, [1] mais je trouve enfin tout juste un instant pour vous écrire ce mot. Ce qui me décide à ne plus tarder, c’est votre bienveillance sans égale à mon égard quand, il y a peu, vous m’avez si aimablement reçu dans votre étude, [5] sans épargner votre précieux temps, sachant que vous étiez alors submergé par les sollicitations des malades. Je n’ai pas encore mis la main sur le de Arthritide, mais je mettrai tout en œuvre pour le trouver. [2][6][7][8] Si vous me demandez aussi ce que préparent nos savants, je vous dirai que Saumaise, [9] sous le nom de Simplicius Verinus, a employé du papier lissé et dégainé une plume modérée contre le livre posthume de Grotius ; [3][10][11] les amis du bienheureux défunt ne se contenteront pas de châtier l’amertume de ce qu’a écrit Saumaise en publiant très bientôt une réponse, mais crabrones irritabunt[4][12][13] Je souhaite que la mémoire de Grotius sorte saine et sauve de la dispute qu’il a soulevée, tant ce grand homme a puissamment prédominé : τις ταρ των οχ’ αριστος εην συ μοι εννεπε Μουσα ! [5][14] Saumaise remue maintenant la question de l’eucharistie, où Codurcus [6][15] sera étrillé. Le révérendissime Rivet [16] prépare une Διαλυσιν Discussionis[7] L’Ars poetica et le de Arte gymnastica de Vossius [17] roulent sous la presse. Très bientôt, grâce à la Physica de Regius, [18] la nature n’aura plus de secret pour nous : [BnF ms. latin 10352‑I, fo 98 ro | LAT | IMG] cet homme subtil, habitué aux tourbillons cartésiens, [19] a labouré de sa réflexion et de son esprit, avec une merveilleuse vélocité, toute l’immensité des choses. [8] D’autres impriment d’autres ouvrages, dont je vous parlerai plus longuement une autre fois, mais je désire savoir ce qu’en penseront vos brillants Parisiens. Ai-je à vous faire souvenir de votre dissertation sur l’étude de la médecine ? [20] Il n’y a vraiment rien que je souhaiterais lire avec plus d’empressement, mais vous y pourvoirez quand vous en aurez le loisir. [9]

Vale et tenez-moi pour votre plus dévoué serviteur.

Hâtivement écrit de La Haye-le-Comte, [21] le 27e de mai 1646.


a.

Copie manuscrite d’une lettre que Samuel Sorbière a écrite à Guy Patin, BnF ms. latin 10352‑I, fos 97 vo‑98 ro.

Notre édition doit cette lettre à l’extrême obligeance et au talent archivistique de Gianluca Mori, professeur d’histoire de la philosophie à l’Université du Piémont oriental (Vicence), qui a très aimablement attiré mon attention sur ce recueil manuscrit de la BnF.

1.

Cette lettre de Jan van Beverwijk à Guy Patin, en souffrance entre les mains de Samuel Sorbière, est aujourd’hui perdue : v. note [1], lettre latine 476, pour les tristes nouvelles qu’elle contenait.

Dès les premières lignes, le latin de Sorbière se montre peu académique. Ma traduction a essayé d’en tirer le meilleur parti en interprétant sa syntaxe avec grande liberté, mais en croyant rester fidèle au propos.

2.

Frederici vander Mye Delphensis, Artium, et Medicinæ Doctoris. De Arthritide et Calculo gemino, Tractatus duo. In quibus universa horum morborum essentia, causæ, differentiæ, signa, et curatio, secundum Hippocratis et Galeni mentem dilucidissime explicantur. Una cum Disputatione Philosophica, de Lapidum generatione. Ejusdem Historia Medica.

[Fredericus vander Mye, docteur ès arts et médecine natif de Delft : {a} deux Traités sur la goutte et la lithiase urinaire qui lui est liée ; où, dans l’esprit d’Hippocrate et de Galien, sont très clairement expliqués l’essence entière de ces maladies, leurs causes, différences, signes et traitement ; avec une Discussion philosophique sur la formation des calculs, et une Observation médicale du même auteur]. {b}


  1. Frederik vander Mye, docteur ès arts et médecine natif de Delft (exerçant à Breda)

  2. La Haye, Arnoldum Meuris, 1624, in‑4o.

    L’Historia medica de vander Mye est sous-titrée de Vertigine, catarrho, tussi vehementi, diarrhæa, nephritide, febre symptomatica, lethargo, et curatione tentata honestæ fæminæ Corneliæ van Dune [Vertige, catarrhe, toux impérieuse, diarrhée, néphrite, fièvre symptomatique, léthargie, et le traitement qui leur a été opposé, chez une honnête femme dénommée Cornelia van Dune] : avortement spontané suivi de mort de la mère au septième mois d’une grossesse.


3.

V. note [16], lettre 146, pour le livre sur la transsubstantiation que Claude i Saumaise, alias Simplicius Verinus, venait de publier (Leyde, 1646), ripostant à la Discussio anonyme de Grotius (1645) contre l’Apologeticus d’André Rivet (1643). Le véritable fond du débat était la réconciliation des protestants et des catholiques, à laquelle les théologiens calvinistes de Leyde s’opposaient vigoureusement.

Le papier lissé, charta dentata, était, dans l’Antiquité romaine, un papier poli à l’aide d’une dent de sanglier (Gaffiot) : « les maîtres écrivains lissent leur papier » (Furetière) ; mais le terme est à prendre ici dans son sens figuré, pour désigner une plume châtiée et respectueuse, sinon bienveillante.

4.

« s’en vont irriter les frelons », pour dire « jeter de l’huile sur le feu » : v. note [8], lettre 386.

5.

Homère, L’Iliade, chant ii, vers 761, que j’ai transcrit en développant les ligatures et élisions grecques du manuscrit :

« chante-moi, ô Muse, quel a été de loin le meilleur ! »

6.

Sur le sujet en discussion, Philippe Codurc, calviniste français converti au catholicisme (v. note [52], lettre 336), avait publié De Missæ Sacrificio, deque corporis et sanguinis Christi in Eucharistia vera præsentia (Paris, M. Soly, 1645, in‑4o), avec sa traduction en français : Du Sacrifice de la Messe, et de l’oblation du corps et du sang de N.S. Jésus-Christ, en la Sainte Eucharistie (Paris, J. Bessin, 1645, in‑8o).

Dix ans plus tard a paru son Antithèse de la Cène de Notre Seigneur Jésus-Christ. Et de la Cène calvinienne avec son formulaire. Pour servir de réponse aux railleries satiriques d’un parasite masqué de la Religion prétendue réf. contre le nom de Messe (Montpellier, Daniel Pech, 1655, in‑8o).

7.

Andreæ Riveti Grotianæ Discussionis διαλυσισ. Sive Vindiciæ Apologetici sui, pro vera pace Ecclesiæ, contra subdolos mediatores.

[Résolution par André Rivet de la Discussion de Grotius, ou la Revendication de son Apologie {a} pour une véritable paix de l’Église, contre de fourbes médiateurs]. {b}


  1. V. supra note [3].

  2. Rotterdam, Arnoldus Leers, 1646, in‑8o de 632 pages ; avec en exergue du titre, cette citation de la deuxième Épître de saint Paul à Thimothée (3:9), sur les hommes corrompus qui se dressent contre la volonté divine :

    Ultra non proficient, insipientia enim eorum manifesta erit omnibus.

    [Ils n’iront pas plus loin car leur folie sera démasquée à tous].


8.

Henrici Regii Ultrajectini Fundamenta Physices.

[Les Fondements de la physique, de Henricus Regius]. {a}


  1. Amsterdam, Louis Elsevier, 1646, in‑4o. V. note [11], lettre 680 pour Henricus Regius. Toute la seconde moitié de son livre (pages 153‑306) traite de la physiologie animale et de la médecine.

Gerardus Johannes Vossius (v. note [3], lettre 53) préparait alors son De Artis poeticæ natura, ac constitutione liber [Livre sur la nature et l’établissement de l’Art poétique] (Amsterdam, Louis Elsevier, 1647, in‑4o). Il a inclus « l’Art gymnastique » dans le premier de ses quatre livres de quatuor Artibus popularibus… [sur les quatre Arts populaires…] (Amsterdam, 1650, v. note [6], lettre 162), mais je n’ai pas trouvé d’autre ouvrage, paru sous sa signature, spécifiquement consacré à ce sujet.

9.

Cette dissertation sur la pédagogie médicale, dont Guy Patin avait parlé de vive voix à Samuel Sorbière, n’est qu’un de ses nombreux projets littéraires qui n’ont jamais vu le jour.

s.

BnF ms latin 10352‑I, fo 97 vo

Excellentissimo Viro D.
Guidoni Patino Medico Parisiensi
præstantissimo, doctissimóque,
Samuel Sorbierus.

Vir Summe, en Epistolas D. Beverovicij, quem
erat constitutum Dordracti salutare, sed obfuerunt
hucusque mihi quæ circa saliunt undique appellenti
negotia ; adeo ut vix detur tandem huic Epistolio
conscribendo locus ; quod tamen ne in aliud tempus
differam suadet in nullo alio experta comitas ea
major quâ me nuper in Musæo tuo blandissimè
excerpisti, non sine multa temporis jactura, et ægrorum
scio quibus tunc aberas, querelâ ; librum de Arthritide
nondum reperi ; at sedulò inquiram, quid autem Docti
moliuntur si roges, Salmasius in Grotij scriptum
posthumum absumpto Simplicij Verini nomine
calamum strinxit temperatum, chartâque usus
dentatâ, cujus oris amarorem non tam ulciscentur
Amici του μακαριτου responso in lucem brevi prodituro,
quam crabrones irritabunt, utinam vivo et incolumi
Grotio orta illa contentio fuisset, quantus enim vir
in quantum rexit
τις ταρα τ οχ’ αριστος εην συ μοι
εννεπε μουσα. Nunc de Eucharistia quæstionem
exagitat Salmasius, in qua obiter Codrucus vapulabit.
Reverendissimus Rivetus
Διαλυσιν Discussionis
parat. Vossij Ars Poëtica et de Arte Gymnastica
sub prelo versantur. Regij Physica propediem
nihil in natura nobis incompertum relinquet ;

t.

BnF ms latin 10352‑I, fo 98 ro

vir enim ille acutus vorticibus Cartesianis assuetus
mirâ velocitate omne immensum peragranit mente
animóque. Alii alia cudunt quæ aliàs pluribus narrabo ;
quid autem vestri cogitent præclari, scire aveo. De
Dissertatione circa studium Medicum an est quod
te moneam ? Nihil sanè est quod impensiùs exoptarem
sed videbis tu ubi quid otij nactus eris. Vale et
me tui observantissimum puta. Raptim Hagæ
Comitis xxvii. Maij 1646.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – De Samuel Sorbière, le 27 mai 1646

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(Consulté le 20/04/2024)

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