L. latine reçue 12.  >
De Samuel Sorbière,
le 9 mars 1655

[BnF ms. latin 10352‑I, fo 215 vo | LAT | IMG]

Samuel Sorbière au très docte M. Guy Patin, très célèbre médecin. [a][1][2]

Dès mon arrivée en cette ville, [3] rien ne fut plus important pour moi, lasso maris et viarum[1][4] que de saluer votre ami Musnier. [5] Je dis votre, car j’ai entendu son nom pour la première fois l’année dernière, tandis que nous étions dans votre étude, où vous avez dûment fait mention de sa sagesse et de son érudition. Être en présence d’un si grand homme n’a pas diminué sa bonne réputation, mais l’a augmentée à mes yeux. Quel cœur pur ! Quelle louable modestie dans la profonde connaissance des langues orientales et de toute l’étendue des savoirs ! Que cet homme a su s’aventurer dans leurs parties que si peu de gens explorent, par l’acuité de son intelligence, par le poids de son jugement, par son talent inépuisable à dévoiler l’histoire naturelle et la manière de remédier, et ce avec un admirable bonheur qui lui confère véritablement la palme de l’honneur médical ! Comme vous aimeriez et succomberiez même à l’émotion si vous contempliez son visage, tout empli de bienveillance ; si vous admiriez à quel point sa bibliothèque est richement fournie ; si vous voyiez votre propre portrait, qu’il a accroché en première position dans un chœur de doctes personnages ; si vous regardiez la quantité des notes qu’il a prises en ses voyages, ou recueillies en lisant des récits, en méditant sur les découvertes, pour éprouver leur solidité et parfois leurs applications en droit public ! Mais j’en discourrai abondamment avec vous, και στομα προς στομα, [2][6] à Paris l’été prochain si Dieu tout-puissant me donne de rentrer sain et sauf de Rome, car c’est là que je me hâte d’aller pour assister à l’intronisation du nouveau souverain pontife [7] et célébrer Pâques dans la ville sainte ou dans cette église de Lorette [8] où la très sainte Vierge a reçu le bienheureux Ange. [3] Parmi ces devoirs de piété, je ne négligerai pas, bien sûr, de cultiver tant les lettrés que les lettres aussi assidûment que je le pourrai, et vous relaterai, ainsi qu’à notre ami Pratæus [9] (à qui je vous prie très instamment de faire lire la présente lettre), quels sont ceux qui, dans ce pays, sacrifient aux Muses et au bon esprit. Quant à vous deux priez pour la sauvegarde de votre ami, afin qu’il ne s’engouffre pas dans Scylla en voulant éviter Charybde, [10] c’est-à-dire que je ne tombe pas entre les mains des voleurs [BnF ms. latin 10352‑I, fo 216 ro | LAT | IMG] car je continuerai désormais mon voyage par voie terrestre, pour ne m’exposer ni aux furies de la mer ni aux pirates [11] que j’ai déjà dû affronter. Vale, très grand Monsieur, et continuez de m’aimer. Je vous demande de transmettre toutes mes salutations au prince des philosophes (j’entends bien sûr Gassendi), [12] ainsi qu’au très docte Mentel [13] et à tous nos autres amis de haut renom. Vale, de nouveau.

De Gênes, le 9e de mars 1655.


a.

Copie manuscrite d’une lettre que Samuel Sorbière a écrite à Guy Patin, BnF ms latin 10352‑i, fos 215 vo‑216 ro.

Notre édition doit cette lettre à l’extrême obligeance et au talent archivistique de Gianluca Mori, professeur d’histoire de la philosophie à l’Université du Piémont oriental (Vicence), qui a très aimablement attiré mon attention sur ce recueil manuscrit de la BnF.

1.

« fatigué de la mer et des chemins » : Horace, Odes, livre ii, 6, vers 7.

Après la mort de son épouse et sa conversion au catholicisme (v. le 3e paragraphe daté du 20 novembre 1653, dans la lettre 332), Samuel Sorbière accomplissait son pèlerinage à Rome.

2.

« et de vive voix », cette locution est caractéristique de saint Jean, qui l’a employée dans deux de ses trois Épîtres :

Alcide Musnier, médecin lorrain installé à Gênes, a correspondu avec Guy Patin, mais il ne nous en est resté qu’une seule lettre.

3.

V. note [22], lettre 467, pour le sanctuaire italien de Lorette (Loreto), dédié à la Vierge Marie.

Le pape Innocent x étant mort le 7 janvier 1655, Alexandre vii, élu le 7 avril, allait être intronisé le 16 du même mois (v. note [3], lettre 399). Les Pâques de 1655 ont été célébrées le 18 mars.

s.

BnF ms latin 10352‑I, fo 215 vo

Viro Doctissimo Guidoni Patino
Medico Celeberrimo, Samuel Sorberius.

Ut primùm in hanc urbem appuli nihil mihi lasso
maris et viarum priùs fuit quàm salutare Musnerium
tuum, tuum inquam, quippe cujus nomen a te primùm
anno superiore in Musæo tuo diversantibus auditum
cum debita sapientiæ et eruditionis mentione. Nec
satis minuit, imò auxit tanti viri præstantia famam.
Ô niveum pectus ! Ô laudandam in summâ linguarum
Orientalium et omnigenæ doctrinæ scientia modestiam !
Ô Virum eâ devium parte, quâ tam pauci reperiuntur
ingenij acumine, judicij pondere, rerum naturalium
jugi presentatione, atque medendi, quod palmarium
est mirâ felicitate verè Medicum ? Quàm tu amares
imò deperisses si hominis istius vultum contemplaveris
ad comitatem omnino compositum ; si librariam
suppellectilem videres instructissimam, si Inconem
tuam Doctorum cerneres choro insertam et primo loco
positam ; si Annotata plurima in peregrinationibus
vel legendo excerpta, vel meditando inventa, aut
experiendo confirmata et publici aliquando juris
facienda lustraveris. Sed de illo Viro eximio
plurimus erit nobis sermo tecum και στομα προς στομα
si Deus Optimus Maximus dederit ut Lutetiam inuente
æstate salvus et incolumis Româ redeam. Eò enim tendo
properabundus < sic pour properandus > ut novi Summi Pontificis Inaugurationem
videam, et festa Paschalia in Urbe Sanctissima
celebrem, vel in Æde illa Lauretana in qua Beatissima
Virgo faustissimum Nuncium accepit. Quæ quidem
inter pietatis officia non omittam tum Literatos tum
literas excolere ut abundè possim tibi et Prateo nostro
/quem hujus Epistolæ quamprimùm participem facias
rogo summopere/ referre qui sint in hisce regionibus
qui Musis et bonæ menti litent. At vos fausta
precamini Amico vestro ne incidat in Scyllam cupiens
vitare Carybdim, hoc est, ne in latrones incidam,

t.

BnF ms latin 10352‑I, fo 216 ro

qui itinere nunc pergo terrestri, ut vitem iratum Mare
et pyratas cum quibus luctandum fuit. Vale Vir
Maxime, et me semper ama, atque Philosophorum
Principi /Gassendum satis intelligis/ tum doctissimo
Mentelio atque alijs interioris notæ Amicis salutem
a me, quæso, plurimam. Iterum Vale Gennæ vii.
Eidibus Martijs 1655.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – De Samuel Sorbière, le 9 mars 1655

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=9095

(Consulté le 24/04/2024)

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