À Claude II Belin, le 28 octobre 1631

Note [22]

Les chirurgiens formaient alors un corps de praticiens tout à fait distinct des médecins. Les lettres de Guy Patin sont emplies des querelles qui opposaient les deux professions. Il y avait deux sortes de chirurgiens : les chirurgiens « tout court », ou chirurgiens de robe longue (et, à Paris, chirurgiens de Saint-Côme) formaient la catégorie supérieure, et les chirurgiens-barbiers (v. supra note [1]), la catégorie inférieure. Les médecins méprisaient les chirurgiens, qui méprisaient les barbiers ; et la haine était généralement la rançon du mépris. Toutefois, les médecins avaient besoin des uns comme des autres. En pansant, tranchant ou brûlant, les chirurgiens soignaient la « pathologie externe » (plaies, fractures, maladies de la peau et des yeux). Il leur arrivait aussi d’évacuer les liquides épanchés dans la plèvre ou dans le péritoine. Les lithotomistes étaient spécialistes exclusifs de la taille vésicale (v. note [11], lettre 33).

À la Faculté de médecine (qui ne délivrait aucun diplôme de chirurgie), les dissections anatomiques étaient accomplies par un chirurgien opérateur placé sous les ordres d’un médecin, dit régent d’anatomie (v. note [10], lettre 8), qui, du haut de sa chaire, lui disait quoi et comment faire.

La confrérie des chirurgiens portait à Paris le nom de Saint-Côme (v. note [1], lettre 591) parce qu’elle s’était établie dans les dépendances de l’église Saint-Côme et Saint-Damien, située à l’angle des rues de la Harpe et des Cordeliers (aujourd’hui boulevard Saint-Michel et rue de l’École de Médecine, dans le vie arrondissement). Les chirurgiens y étaient indépendants de la Faculté de médecine : sans son contrôle, on y enseignait (en français) et on y délivrait des maîtrises qui autorisaient à pratiquer sous l’enseigne des trois boîtes surmontées d’une bannière aux images de saint Côme et saint Damien. Le plus ardent désir de « ceux de Saint-Côme » était d’obtenir les mêmes prérogatives que la Faculté de médecine (« ceux de Saint-Luc »), qui s’acharnait à refuser que ces ignares de chirurgiens pussent, sans même lire le latin, conférer les grades de bachelier et de licencié, donner à leur assemblée le nom de Collège, enfin et surtout, porter la robe et le bonnet.

Dans sa Manuductio ad medicinam (1660, v. note [32], lettre 458), Johann Daniel Horst a fort bien résumé (pages 239-242) en quoi consistait l’art chirurgical au xviie s. (et le tout sans anesthésie) :

Cum sine Chirurgicis administrationibus in multis morbis nil Laude dignum præstare possimus, restat, ut de Chirurgia quoque agamus. Occupata autem est Chirurgia vel in solutorum unione, vel in continuorum solutione, vel superfluorum extirpatione, vel deficientium recuperatione ; idque urendo, secando, fasciando, reponendo, consolidando, auferendo, reponendo, etc. […] Quinque itaque sunt Chirurgiæ operationes : συνθεσις, διορτωσις, διαθρεσις, εξαιρεσις, et deficientium restitutio. Ad primam spectat fasciatio, splenionum injectio, ferularum adaptatio, illaqueatio et collocatio. In ossium coaptatione extensio notanda, luxatorumque debita repositio. Huc spectat Intestinorum, Umbilici prominentis, uterique prolapsis repositio, atque ani procidentis cura. Sæpe quoque suturis opus est. Quoas alteram depressa elevanda, contorta dirigenda. Tertia complectitur sectionem et ustionem. Ita sæpe abscessus, fistulæ, etc. aperiuntur, vinculum sub lingua secatur, ut et aliæ partes p.n. vel ab ortu conjunctæ. Ad hanc Chirurgiæ operationem spectat quoque scarificatio, varicum et aneurismatis sectio, paracentesis, suffusionum punctio, laryngotomia, sectio in empyemate, sebaceum, ossium divisio, Cauteria, Vasorum Venæ nempe et Arteriæ incisio, sanguinis missio. […] Quarta autem Chirurgiæ operatio res noxias et inutiles extrahit […]. Ultima Chirurgiæ operatio occupatur in nasi, aurium, labiorumque mutilatorum restauratione.

[Puisque sans les secours chirurgicaux, nous ne pouvons rien faire de louable contre quantité de maladies, il reste à parler aussi de la chirurgie. Elle consiste soit à réunir ce qui est désuni, soit à désunir ce qui est uni, soit à retrancher ce qui est superflu, soit à réparer ce qui est déficient ; et ce en brûlant, coupant, liant, replaçant, consolidant, enlevant, etc. […] Il existe donc cinq opérations de chirurgie : réunion, redressement, disposition, exérèse et réparation des déficiences. La première concerne le bandage, la pose de compresses, la mise en place d’attelles, la ligature et le replacement ; avec une extension notable à la réduction des fractures osseuse et des luxations. Pour les viscères, c’est la cure de la hernie ombilicale, du prolapsus de l’utérus et de l’anus ; on a aussi souvent besoin des sutures. La deuxième sorte d’opérations consiste à relever ce qui est enfoncé, à remettre droit ce qui est désaxé. La troisième comprend la section et la cautérisation. Souvent ainsi, on ouvre les abcès, les fistules, etc., on coupe le frein de la langue, tout comme d’autres parties soudées dès la naissance ou après elle. À ce genre d’opération chirurgicale ressortissent aussi la scarification, la résection des varices et des anévrismes, la paracentèse, la ponction des épanchements, la laryngotomie, l’incision de l’empyème, la désunion des os, les cautères, l’incision des vaisseaux, veines et artères, la saignée. […] La quatrième opération de chirurgie extrait du corps les choses nuisibles et inutiles […]. La dernière opération de chirurgie s’occupe à réparer les mutilations du nez, des oreilles et des lèvres].


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 28 octobre 1631, note 22.

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(Consulté le 19/04/2024)

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