À Claude II Belin, le 20 mars 1633

Note [8]

Les jésuites ou prêtres de la Compagnie ou Société de Jésus (s.j.), fondée par Ignace de Loyola (v. note [1], lettre 46), ont tenu une place de tout premier rang dans l’histoire du xviie s., mais aussi dans la passion de Guy Patin contre tout ce qui obéissait au pape. Fin connaisseur du sujet, le P. Henri Fouqueray, s.j., a résumé l’histoire des jésuites en France depuis leur fondation jusqu’aux années 1640 (chapitre xv, Derniers jours des trois puissants protecteurs [1641-1643], pages 461‑463) :

« Ainsi avait crû, dans l’espace d’un siècle, la Compagnie de Jésus, implantée en France l’an 1540 par une colonie de jeunes religieux reçus à titre de boursiers au Collège des Trésoriers. Elle a mis 22 ans à obtenir l’admission légale dans le royaume, tant les ennemis du pape et de l’Église avaient peur d’elle. Depuis lors, partageant le sort de son chef ici-bas, méconnue ou calomniée, elle a toujours combattu les puissances des ténèbres. Consumant toutes ses forces à la défense de la foi, elle n’a pas cessé de bien servir la patrie en lui conservant ou en lui infusant la vie chrétienne. Adversaire née de la Réforme, elle a grandi sous ses coups et même, on peut le dire, en proportion de la haine que lui vouèrent les protestants. À cette haine en effet, les catholiques comprirent que Luther et Calvin avaient trouvé leur maître ; ils éprouvèrent le sentiment de Henri iv disant au sujet des clameurs dont les calvinistes dieppois accueillirent les prédications du P. Gontery : {a} “ Le mouvement des humeurs prouve que le remède commence à produire un effet salutaire. ” Bientôt, ce remède providentiel était réclamé de toutes parts ; pasteurs et fidèles appelaient les jésuites, leur confiaient la prédication, la controverse, la direction des âmes et l’instruction de la jeunesse.

Le succès de la nouvelle milice augmenta la résistance des réformés qui trouvèrent contre elle des alliés dans les universités et les parlements parmi leurs coreligionnaires ou les catholiques “ à gros grain ”. {b} Le trouble des esprits à l’époque de la Ligue favorisa cette cabale et lui promit un triomphe momentané ; quelques mois après le sacre de Henri iv, les jésuites furent bannis par un arrêt du Parlement de Paris du 29 décembre 1594. {c} Mais neuf ans plus tard, le prince mieux informé les rétablissait : “ Je vous ai aimés, leur dit-il, et chéris depuis que je vous ai connus, sachant bien que ceux qui vont à vous, soit pour leur instruction, soit pour leur conscience, en reçoivent un grand profit. ” En vrai roi qui veut le bonheur de son peuple, il aida la Compagnie à se recruter, à fonder des résidences et des collèges. {d}

Lui mort, nous avons vu Marie de Médicis et Louis xiii, avec une sympathie inaltérable, continuer à l’Ordre de saint Ignace les bienfaits de la protection royale. Cependant, l’esprit d’erreur et de mensonge ne désarmait pas. Jaloux de l’influence croissante des jésuites et enchaîné par leur multiple apostolat, il imagina de les représenter comme les ennemis du gouvernement et de la patrie : ce sont eux qui ont tué Henri iv, leur insigne bienfaiteur ; ce sont les tenants du tyrannicide ; ils travaillent pour l’Espagne ; ils veulent faire du roi l’humble serviteur et l’aveugle instrument du pape. Contre eux donc le gallicanisme, sous des formes diverses, mena la bataille dont les péripéties ont été décrites dans nos deux derniers volumes. Que nous ont-ils montré ? Le plus français et le plus susceptible des ministres, le très gallican Richelieu, favorisant de tout son crédit et parfois de sa bourse les œuvres de la Compagnie de Jésus. C’est qu’à l’épreuve, il l’a trouvée aussi respectueuse de l’autorité légitime du roi très-chrétien que ferme dans la défense des droits imprescriptibles du Vicaire de Jésus-Christ ; il l’a jugée l’un des meilleurs soutiens du pouvoir temporel par son zèle pour la sanctification des âmes et par son attachement même à la pure doctrine de l’Église romaine sur le pouvoir spirituel.

À toutes les calomnies élevées contre les jésuites français du premier siècle de la Compagnie, la meilleure réponse était de montrer la conduite, à leur égard, d’un monarque comme Henri iv et d’un premier ministre comme le cardinal de Richelieu. […] Quant à l’influence des religieux de la Compagnie de Jésus en France au xviie s., elle est indéniable. Avec leurs nombreuses résidences, leurs nombreuses congrégations d’hommes, leurs très nombreux collèges où se pressent chaque année de 40 à 45 000 jeunes gens, ils ont eu une part considérable sur la formation des esprits. Oserons-nous dire qu’ils ont préparé le Grand Siècle ? »


  1. Jean Gontery, v. note [41] du Borboniana 5 manuscrit.

  2. C’est-à-dire les libertins (v. note [9], lettre 60).

  3. Henri iv avait été sacré le 27 février 1594 à Chartres.

    V. note [37] du Borboniana 3 manuscrit pour l’expulsion des jésuites hors de France le 29 décembre 1594, deux jours après l’exécution de Jean Chastel qui avait tenté de l’assassiner (v. note [13] du Grotiana 1).

  4. L’édit royal prononcé à Rouen le 1er septembre 1603 permit le retour progressif de la Compagnie en France, tout en soulevant de multiples oppositions (v. l’article d’Am. Droin, L’expulsion des jésuites sous Henri iv et leur rappel, Revue d’histoire moderne et contemporaine, 1901, tome 3, no 1, pages 5‑28 no 6, pages 593‑601)

Les sorbonistes étaient les gradués de théologie (bacheliers, licenciés et docteurs) issus de la Maison et Société de Sorbonne (v. note [5], lettre 19), laquelle n’admettait pas de jésuites dans ses rangs.

Tout au long de sa correspondance, Guy Patin a nourri une véritable haine à l’encontre des moines et des jésuites, en tant qu’ordres religieux directement soumis à l’autorité du pape, ce qui heurtait la sensibilité des « bons Français », en tant que catholiques gallicans, c’est-à-dire attaché à l’indépendance de l’Église de France. Tallemant des Réaux en a fait état dans ses Contes, naïvetés, bons mots, etc. (tome ii, page 810) :

« Patin, le médecin, dit que la fièvre continue dans un corps c’est un jésuite dans un état. »

Quelques loyolites (comme les pères Théophile Raynaud, v. note [8], lettre 71, ou Philippe Labbe, v. note [11], lettre 133) n’en avaient pas moins accès au panthéon littéraire de Patin. Sa méchanceté à l’endroit des sorbonistes était bien moins criante, essentiellement liée aux querelles sporadiques de la Faculté de théologie avec les autres composantes de l’Université de Paris (facultés des arts, de médecine et de droit canon).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 20 mars 1633, note 8.

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(Consulté le 16/04/2024)

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