À Claude II Belin, le 6 février 1634

Note [15]

« Sur les facultés des eaux minérales ». Ce titre anodin d’une thèse présidée par Charles Bouvard cachait une très vive querelle qui éclata entre lui et la Faculté, dont le roi lui-même se mêla.

Charles i Bouvard (Montoire 1572-Paris 22 octobre 1658), reçu docteur régent de la Faculté de médecine de Paris en 1607, avait été nommé professeur au Collège royal en 1625. Après la mort de Jean Héroard en 1628 (v. note [30], lettre 117), il était devenu premier médecin du roi et surintendant du Jardin royal des Plantes lors de sa création (1633). Louis xiii l’avait anobli en 1629. Fier de la place qu’il occupait à la cour, il voulut dominer la Faculté, qui sut pourtant lui résister.

La querelle en question s’était allumée en juin 1633 : Bouvard avait ordonné l’usage des eaux de Forges (v. note [7], lettre 35) à Louis xiii qui souffrait de dysenterie ; un docteur régent du clan des Piètre (v. note [5], lettre 15), Henri ii Blacvod (v. note [29], lettre 390), avait entrepris de critiquer cette prescription en écrivant et faisant soutenir par le jeune bachelier Jean Piètre une thèse intitulée An visceribus nutriis æstuantibus aquarum metallicarum potus salubris ? [La boisson d’eaux métalliques est-elle salutaire dans l’inflammation (v. note [6], lettre latine 412) des intestins (v. note [6], lettre 558) ?] (conclusion négative), soutenance initialement fixée au 17 novembre 1633. Le doyen, François Boujonnier, en avait autorisé l’impression préalable à la soutenance, mais le candidat était tombé malade et l’affaire s’était ébruitée. Bouvard avait manœuvré pour que le tour de Piètre fût reporté, en proposant un autre candidat, Jacques Barrelier, sur un sujet moins polémique et sous la présidence d’un allié, Philibert Morisset.

Le doyen avait pris ombrage d’une telle intrusion dans une affaire qui relevait de sa seule autorité. Le 6 novembre, il avait adressé une requête au Parlement, visant à rétablir le tour de Piètre et à interdire la soutenance de Barrelier. Les juges avaient décidé que Barrelier passerait le premier sous la présidence de Blacvod et que Piètre soutiendrait ensuite, mais sous le premier régent dont le tour de présider viendrait. C’était, en désunissant le président de son bachelier, résoudre la querelle au profit de Bouvard, mais cela ne lui avait pas suffi. Le vaniteux archiatre voulait une censure complète et avait fait appel de la décision du Parlement devant le Conseil du roi. Deux pièces officielles transcrites dans le tome xii des Comm. F.M.P. (seconde année du décanat de François Boujonnier) prouvent la surprenante importance que prit cette querelle, dont l’enjeu n’était rien de moins que l’indépendance de l’Université face à la volonté du pouvoir royal.

Bouvard n’était pourtant toujours pas satisfait. Il voulut définitivement humilier la Faculté qui avait osé douter de sa haute compétence. Les Comm. F.M.P. en font état, en février 1634 (ibid. fos 362 vo‑363 r) :

Cum magister Carolus Bouvard doctor et primarius regis medicus disputationi quodlibetariæ ex ordine præesse debuit decretum sacri consistorii ad postulationem ipsius datum decano vigesima quinta Januarii significandum curavit, quo vix permittebar doctoribus et baccalaureis faculatis Medicinæ disceptationem quæstionis de qualitate et virtute aquarum metallicarum. In actu illo disputationis cui præsidere debebat M. Carolus Bouvard regius primarius medicus haud vero in aliis actibus atque cum hoc decreto quæstionem quam disputandam susceperat his verbis per apparitorem sacri consistorii significavit An naturis calidis omnes aquæ metallicæ potus insalubres quam aliter per bidellum facultatis enunciandam curavit in scholis et disputavit vigesima tertia februarii. Ægre admodum tulit facultas quod in fine disputationis conclusionem suam a decano in commentariis facultatis iubente se et imperante referendam esse ut veram nec aliis disputationibus agitandam protulerit.

[Quand vint son tour de devoir présider une thèse quodlibétaire, Maître Charles Bouvad, docteur régent et premier médecin du roi, prit soin de faire connaître au doyen l’arrêt que le Conseil privé avait prononcé sur sa propre demande le 24e de janvier, qui ne permettait guère aux docteurs et bacheliers de la Faculté de débattre sur une question relative aux qualité et vertu des eaux minérales. M. Charles Bouvard, premier médecin du roi, fit savoir par l’appariteur du Conseil privé que, dans cet acte qu’il devait présider, contrairement à ce qu’interdisait ledit arrêt pour les autres actes, on disputerait sur la question ainsi énoncée : « Toutes les eaux métalliques sont elles malsaines à boire chez les personnes de nature chaude ? » ; et il eut soin aussi d’en faire annoncer le titre dans les Écoles par le bedeau de la Faculté. Il la soumit à la dispute le 23e de février. {a} La Faculté supporta de fort mauvaise grâce qu’à la fin de sa thèse, il ordonna et commanda que le doyen relatât sa conclusion comme vraie dans les Commentaires de la Faculté, et il déclara qu’elle ne devait pas être contestée lors d’autres actes].


  1. Thèse disputée le 23 février (jeudi gras) 1634 par le bachelier François Le Vignon, présidée et rédigée par Bouvard, dont le titre imprimé est : An calidis naturis qualiumcumque metallicarum aquarum potus insalubris ? [La boisson d’eaux métalliques de quelque sorte que ce soit est-elle insalubre pour les natures chaudes ?], avec conclusion bien évidemment négative.

Le doyen eut pourtant l’audace de ne pas obtempérer : la Faculté décida que le sujet initialement confié au jeune Piètre serait disputé, sous la présidence de Jean iii Des Gorris, par un autre bachelier, Pierre Yvelin, qui s’engageait pourtant à donner une conclusion contraire à celle qu’avait prévue son prédécesseur ; mais bien entendu, il y aurait discussion publique et les objecteurs pourraient se faire entendre… La Compagnie des docteurs régents finit néanmoins par se soumettre à contrecœur, comme en attestent deux autres extraits des mêmes Comm. F.M.P.

La thèse de Piètre et Blacvod a néanmoins été réimprimée in‑4o quatre ans après la mort de Louis xiii (Paris, Nicolas Boisset, 1647), avec sa conclusion négative. L’exemplaire mis en ligne par Medica porte cette mention manuscrite :

« Un arrêt du Conseil, du 16 déc. 1633 empêcha qu’elle ne fût soutenue. Il fut sollicité par Bouvard, alors premier médecin, qui prétendit qu’elle attaquait sa juridiction sur les eaux minérales du royaume. »

Bouvard avait épousé Anne Riolan, fille de Jean i Riolan (v. note [9], lettre 22) et d’Anne Piètre ; il était donc beau-frère du Grand Piètre, Simon ii. Pourtant, comme on vient de le voir, cela ne l’empêcha pas de se brouiller gravement avec son clan. Cela a pu contribuer à interrompre la carrière médicale de Jean ii Riolan à la cour. La fille de Bouvard, Anna, fut mariée à Jacques ii Cousinot qui lui succéda dans la charge de médecin du roi, en 1642.

V. note [23], lettre 417, pour le seul livre qu’on connaisse de Bouvard, son énigmatique discours de la Historicæ hodiernæ medicinæ rationalis veritatis [Vérité historique de la médecine d’aujourd’hui] (sans lieu, 1655). Il était partisan de la saignée et surtout des purgatifs, ce qui lui valait la relative bienveillance de Guy Patin.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 6 février 1634, note 15.

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(Consulté le 19/04/2024)

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