À Claude II Belin, le 18 janvier 1637

Note [7]

« qui fut autrefois de votre pays, assurément Troyen, vraiment célèbre, “ fleur détachée du peuple, et moelle de Suada ”. »

La citation est de Quintus Ennius (Annales de la République romaine, ix, 308), poète latin (239-169 av. J.‑C.) protégé et favori des Scipion qui lui donnèrent après sa mort une place dans leur tombeau de famille. Son œuvre eut une grande influence sur la poésie latine, mais il ne nous en est parvenu que des fragments.

Suada (ou Suadela) est la déesse ou Grâce romaine (Peitho des Grecs) « de la persuasion et de l’éloquence, fille de Vénus et sa compagne chérie, une des déesses qui présidaient au mariage » (Fr. Noël).

Guy Patin travaillait alors à la réédition des :

Io. Passeratii eloquentiæ professoris et interpretis regii, Orationes et præfationes [Discours et préfaces de Jean Passerat, {a} professeur et interprète royal d’éloquence]. {b}


  1. Mort en 1602, v. note [2], lettre 21.

  2. Paris, Mathurin Hénault, 1637, in‑8o de 335 pages ; les précédentes éditions avaient été imprimées à Paris (David Douceur, 1606, in‑8o) et à Francfort (W. Richter, 1615, in‑12, et F. Weiss, 1622, in‑12).

    L’index fournit la liste des 31 oraisons et préfaces réunies dans l’ouvrage.


Je remercie beaucoup Gianluca Mori (v. note [5], lettre latine 302) d’avoir attiré mon attention sur la dédicace de cette édition :

Clarissimo et Nobilissimo Viro D.D. Carolo Guillemeau, Regis Christianissimi Consiliairio, et Medico ordinario, et Facultatis Medicæ Parisiensis ex Decano, G.P.B. S.P.D.

[G.P.B. {a} adresse ses profondes salutations au très brillant et noble M. Charles Guillemeau, conseiller et médecin ordinaire du roi très-chrétien, et ancien doyen de la Faculté de médecine de Paris]. {b}


  1. Guy Patin natif de Beauvaisis.

  2. Charles Guillemeau (v. note [5], lettre 3) avait été doyen de la Faculté de 1634 à 1636.

S’agissant, à ma connaissance, de la seule épître dédicatoire que Patin ait signée, {a} il vaut la peine de la transcrire et traduire dans une édition de ses écrits qui ambitionne d’être complète :

Affero tibi delicias tuas, (Vir Clarissime) nimirum Ioannis Passeratii του μακριτου Epistolas et Præfationes ; imo Passerativm ipsum, in arte sua plane Roscium, tuæ virtuti debitum, gratissima mentis veneratione offero atque appendo : Tuum, inquam, an potius bonorum omnium ? qui justi rerum æstimatores, nec transuersa tuentibus hirquis, magnorum virorum monumenta in æternum victura, ardentiore animi studio amplectuntur ? E quibus sane quamplurimi postquam politioribus Musis suam dicarunt operam, ferme necquidquam, (vel seueriore Censorum, queis ραον μωμεισθαι η μιμεισθαι, iudice,) hoc opere præstantius, hoc Orationum suauius, hoc Præfationum monimento elegantius existimant. Unde facile conijcias quanta cum iniuria, quam immerito, id opus densiori oblivionis et tenebrarum caligini immersum sepeliretur, quam nostro periculo videntur in regnum literarium subinducere nebulones quidam, qui optima quæque vel damnant iniqui, vel euirant inuidi, ut abortiua nobis obtrudant sua : quique suis hinc et inde emendicatis laboribus ; et inuiso puluere collectis atque consutis centonibus, nihil aliud, quam meram cum Lauernæ sacris impolitiam et horridam barbariem afferunt. Ne vero male recoctum olus, quod ajunt, fastidioso præsertim huius seculi palato obijcerem ; vtque in posterum fieret optimi Scriptorum illustrior memoria ; placuit operis fronti, in partes distracta varias doctorum virorum Elogia huc adcribenda transferre : quæ eo præsertim nomine tibi offero, ut Passerativm, meque ipsum, quem iamdudum noto singulari foues, deinceps amare pergas : Operis argumentum et a se, et ab Auctore, satis apud Te obtinet commendationis : Offerendi ratio, si te spectes, multum habet æquissimæ ; si me, plurimum officiosæ, necessitudinis. Vale.

[Voici des friandises que je vous offre (très distingué Monsieur) : ce sont les Épîtres et Discours de feu Jean Passerat, et même Passerat en personne, qui fut un parfait Roscius {b} en son art. Je l’offre et ajoute à ce qui est dû à votre vertu, en témoignage de ma très reconnaissante vénération. À vous, dis-je, mais n’est-ce pas plutôt au meilleur de tous les honnêtes gens ? de ceux qui, en impartiaux arbitres des choses, embrassent, nec transversa tuentibus hirquis, {c} avec le plus ardent zèle de l’esprit, les chefs-d’œuvre des grands hommes qui vivront pour l’éternité ? Vous êtes de ceux qui, en vérité fort nombreux, après avoir dédié leur travail aux plus brillantes Muses, en toute gratuité, estiment que (sauf jugement plus sévère de censeurs, pour qui il est plus aisé de blâmer que d’imiter) {d} rien n’est plus remarquable que ce recueil, plus plaisant que ces Discours, plus élégant que ces Préfaces. Imaginez donc sans peine avec quel outrage et quelle injustice un tel ouvrage gît enseveli dans cette épaisse profondeur d’oubli et de ténèbres dont on voit certains vauriens, à notre détriment, subrepticement couvrir le royaume des lettres, soit en y condamnant iniquement tout ce qu’il a de meilleur, soit en le châtrant jalousement, pour nous accabler de leurs avortons. Ce sont les mêmes qui, par les travaux qu’ils ont mendiés çà et là, et par les centons que leur invisible sable a assemblés et cousus, {e} ne font rien d’autre qu’honorer le culte Laverne {f} de leur pure grossièreté et de leur sauvage barbarie. En vérité, pour ne pas arroser d’un potage mal recuit les palais particulièrement dégoûtés de notre siècle, et pour que désormais brille la mémoire du meilleur des écrivains, j’ai cru bon, en tête de ce livre, de transcrire les éloges de savants hommes que j’ai tirés de divers endroits. {g} Je vous les offre afin que vous ne cessiez désormais d’aimer Passerat, tout autant que moi-même, que vous avez jusqu’ici honoré d’une particulière faveur. Quant au corps de l’ouvrage, son contenu et son auteur suffisent pour se recommander à votre attention. Mes raisons de vous le dédier ne sont que trop légitimes et comblent en grande part les obligations que j’ai à votre égard. Vale].


  1. Dans les livres qu’il a édités, Patin préférait se cacher derrière la signature des libraires qui les publiaient : v. note [12], lettre 44, pour le remarquable exemple des Opera de Daniel Sennert (Paris, 1641).

  2. V. note [132], lettre 166.

  3. « sans que les boucs les regardent de travers », clin d’œil amical de Patin à Guillemeau, emprunté à une célèbre gaillardise de Virgile, (Bucoliques, églogue iii, vers 7‑8), où le berger Damétas dit à son camarade Ménalque :

    Parcius ista viris tamen obicienda memento,
    novimus et qui te transversa tuentibus hircis
    .

    [Souviens-toi pourtant d’être plus avare de reproches, car nous savons que les boucs t’ont regardé de travers].

    Voltaire a interprété sans ambages cette allusion (Dictionnaire philosophique, au mot « bouc ») :

    « C’est aux boucs et aux chèvres, aux asirim, qu’il est dit que les juifs se sont prostitués : asiri, un bouc et une chèvre ; asirim, des boucs et des chèvres. Cette fatale dépravation était commune dans plusieurs pays chauds. Les juifs alors erraient dans un désert où l’on ne peut guère nourrir que des chèvres et des boucs. On ne sait que trop combien cet excès a été commun chez les bergers de la Calabre, et dans plusieurs autres contrées de l’Italie. Virgile même en parle dans sa troisième églogue, vers 8e : le Novimus et qui te transversa tuentibus hircis n’est que trop connu. »

  4. Adage grec cité par d’autres auteurs, mais dont je n’ai pas identifié la source.

  5. Notre glossaire explique ce qu’est un centon, genre littéraire de rhapsodie où Patin s’est lui-même plu à exceller dans ses thèses sur l’Homme n’est que maladie (1643) et sur la Sobriété (1647).

  6. Déesse des pillards, v. notule {a}, note [8] de L’Esprit de Guy Patin, faux Patiniana II‑7.

  7. Les Elogia virorum eruditorum de Ioannis Passeratio Trecensi, regio Eleoqueniæ Professore Lutetiæ Parisiorum, ex eorum scripta [Éloges de Jean Passerat, natif de Troyes, professeur royal d’éloquence à Paris, tirés des écrits de savants hommes], composés de 33 pièces (surtout en latin, mais aussi en français, pour les dernières), occupent les 50 pages qui suivent l’épître dédicatoire et confèrent son originalité à l’édition de Patin.

Un Recueil des Œuvres poétiques de Jean Passerat avait paru en 1606 (Paris, Claude Morel, in‑8o). N’en ayant pas trouvé de réédition au xviie s., je conclus que, dans sa lettre à Claude ii Belin, Patin a par mégarde écrit « poésies » au lieu de « discours ».


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 18 janvier 1637, note 7.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0033&cln=7

(Consulté le 25/04/2024)

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