À Claude II Belin, le 16 septembre 1637
Note [14]
Délibéré : « déterminé à ».
M. Jean-François Vincent, rédacteur en chef de notre édition, a attiré mon attention sur l’extravagant privilège du roi, daté du 8 avril 1639, qu’on trouve à la fin du tome xiii (Paris, sans nom, 1639, in‑fo). Louis xiii y vante bien sûr les mérites de l’auteur, et les primauté et primeur de son ouvrage :
« combien qu’Hippocrate et Galien aient été reconnus de tout temps premiers auteurs de la vraie médecine rationnelle, et princes de tous les médecins, et que, sans la lecture de leurs œuvres et la doctrine de leurs écrits et préceptes, aucune personne ne puisse bien savoir ni heureusement pratiquer la médecine, iceux œuvres, néanmoins, n’ont encore jusqu’à présent été tous ensemble imprimés, In folio e regione, {a} grecs et latins ; et par cette négligence des siècles précédents, plusieurs ont été perdus au détriment commun de la doctrine, santé et vie de tous les hommes. Toutes lesquelles raisons et autres ont mû ci-devant le sieur Chartier à rechercher et tenter tous moyens de poursuivre, et produire une nouvelle parfaite et glorieuse édition de tous les œuvres d’Hippocrate et Galien, distribués par lui selon l’ordre de médecine en treize tomes, de les coucher en la plus belle et plus grande forme In folio e regione, {a} grecs et latins, de les imprimer en caractères royaux, d’en ouvrir et proposer ses desseins à notre très célèbre Faculté de médecine de Paris, qui lui en a donné son approbation avec actions de grâces par un décret fait exprès et inséré à la fin du préface de cette édition. Cet avis conçu, étant parvenu dès le temps de notre longue maladie de Villeroy au mois de juillet 1630 à la connaissance de notre très cher et très amé cousin le cardinal-duc de Richelieu, pair de France, grand maître chef et surintendant général des Navigations et commerces de ce royaume, gouverneur et notre lieutenant général en notre province, pays et duché de Bretagne, a incontinent été enfanté par l’unique exhortation faite au dit sieur Chartier en notre présence, par notredit très cher cousin porté toujours à toutes choses hautes, utiles et glorieuses à notre État et bien public. »
Suit l’attribution de deux étonnants avantages.
« À ces causes, désirant et voulant autant qu’il nous sera possible assister, favoriser et gratifier ledit sieur Chartier en une telle entreprise importante à la santé de notre personne, au bien commun de tous nos sujets et à l’honneur de toute la France, considérant d’ailleurs les services que ledit sieur Chartier a rendus près de notre personne, de nos très chères et très aimées sœurs, et les grandes dépenses qu’il a faites jusqu’à présent, De notre certaine science, pleine puissance et autorité royale, Nous avons dit, voulu et ordonné, disons, voulons et ordonnons que ledit sieur Chartier puisse seul privativement à tous autres par lui, et par tel des imprimeurs et libraires qu’il voudra choisir, imprimer ou faire imprimer, vendre et débiter tous les œuvres desdits princes de médecine, Hippocrate et Galien, grecs et latins, e regione in folio, {a} et en toute autre et telle forme, grande, petite et médiocre {b} qu’il voudra, de toutes grandeurs et sortes de lettres et caractères, en telles marges et autant de fois que bon lui semblera pendant le temps et espace de vingt ans suivants et consécutifs, à commencer du premier jour de l’année 1639, jusqu’à l’année 1660. Faisons inhibitions et défenses (pendant le temps desdites vingt années) à tous docteurs, imprimeurs et libraires, et autres personnes généralement quelconques, régnicoles et étrangères, de telle condition, grade et qualité qu’ils soient, d’imprimer ou faire imprimer, vendre et débiter pour eux ou pour autrui, en tels caractères, grands, petits et médiocres, et en telle forme que ce soit, conjointement ou séparément, lesdits œuvres d’Hippocrate et Galien, sous prétexte d’autre forme, lettre ou version {c} ancienne ou nouvelle, corrigée, changée, augmentée, commentée, revue, ou annotée, ou aussi de quelques livres non encore vus ni imprimés, et des textes augmentés, ou compendiés, {d} ou sous prétexte de quelque arrêt de notre Conseil, ou privilège obtenu de nous au-dedans et dehors de ce royaume, pays et terres, et seigneuries de notre obéissance ; comme aussi de faire venir et apporter autre impression de tous lesdits œuvres ou de quelque portion d’iceux, si ce n’est du gré, consentement et volonté dudit sieur Chartier ; à peine de confiscation de tous les exemplaires qui se trouveront, de dix mille livres d’amende, et de tous dépens, dommages et intérêts ; le tout applicable au profit dudit sieur Chartier. Voulons et ordonnons au surplus que par ci-après les œuvres d’Hippocrate et Galien ne puissent être imprimés en grande ni petite forme, en tout ni partie, si le texte grec et la version latine ne sont conjointement imprimés, e regione, {a} et ce tant en faveur et mémoire perpétuelle de ces deux grands personnages, princes des médecins, Hippocrate et Galien, que pour soigneusement conserver ce qui nous reste de leurs œuvres tant salutaires, et aussi pour mieux juger des versions de textes, faciliter l’explication des livres, et assurer le sens de la doctrine des auteurs. »
Plus surprenant encore est le second avantage, d’exigibilité :
« Et d’autant que notre célèbre Faculté de médecine de Paris, légitimement assemblée, a déclaré que tous ceux qui professent la médecine doivent avoir un exemplaire de ladite édition, comme la première, la plus ample et la plus signalée de toutes, et aussi afin que nos sujets soient plus sûrement assistés par les médecins bien instruits en la vraie doctrine d’Hippocrate et Galien, Nous voulons et ordonnons que tous candidats et aspirants à la médecine en toutes les facultés de médecine de ce royaume, terres et seigneuries de notre obéissance, ne puissent être admis à aucun acte, ni reçus à aucun degré ordinaire de médecine, de baccalauréat, licence et doctorande, que premièrement ils ne soient pourvus et munis chacun d’un exemplaire des œuvres d’Hippocrate et Galien, de l’édition dudit sieur Chartier, et sans avoir préalablement fait paraître avoir reçu et payé ledit exemplaire, et justifié la vérité par certificat dudit sieur Chartier, ou de ceux qu’il aura commis à la vente desdits livres et donné pouvoir de ce faire, sur peine de cent livres d’amende applicable au profit dudit sieur Chartier. »
Françoise Lehoux (pages 337-338) a montré comment Louis xiii et Charles ier, roi d’Angleterre, s’étaient rendus débiteurs de Chartier pour les honoraires que lui valait, depuis 1625, sa charge auprès de Henriette-Marie, sœur du premier et épouse du second. En 1631, il y allait d’au moins 2 600 livres d’arriérés. Ce pourrait être une explication des privilèges extraordinaires d’exclusivité et d’exigibilité que Louis xiii avait accordés en 1639 à l’Hippocrate et Galien de son créancier. Guy Patin dut peiner à admettre qu’on pût ainsi s’accaparer tout le corpus qui fondait alors l’enseignement de la médecine. Ce fut sans doute une raison de sa constante malveillance à l’encontre de René Chartier puis de ses fils.