À Charles Spon, le 9 novembre 1642

Note [1]

Hieronymi Cardani Mediolanensis, De propria vita liber. Ex Bibliotheca Gab. Naudæi [Autobiographie de Jérôme Cardan. Tiré de la bibliothèque de Gabriel Naudé] (Paris, Jacques Villery, 1643, in‑8o).

L’épître dédicatoire de Naudé Nobilissimo clarissimoque viro Ælio Diodato IC et philosopho doctissimo [Au très brillant Élie Diodati, jurisconsulte et très savant philosophe] est datée de Paris, le 29 octobre 1642. L’ouvrage commence par un Gabrieli Naudæi de Cardano iudicium [Jugement de Gabriel Naudé sur Cardan] long de 87 pages (non numérotées). Il n’y a ni privilège, ni achevé d’imprimer.

Le dédicataire, Élie Diodati (Genève 1576-Paris 1661), était le moins illustre des quatre amis que René Pintard (Pintard b pages 129‑131) a appelés la « tétrade des libertins érudits », dont les trois autres membres étaient Naudé, Pierre Gassendi et François i de La Mothe Le Vayer (v. note [14], lettre 172). Demi-frère aîné d’Alexandre, le médecin (v. note [2], lettre 557), et cousin de Giovanni Diodati, le ministre protestant (v. note [56], lettre 223), Élie était avocat au Parlement de Paris et grand voyageur européen. En Italie, il avait rencontré Galilée, admiré ses découvertes et développé une grande énergie pour en assurer la diffusion dans le monde savant. Homme généreux et désintéressé, Élie n’a lui-même publié aucun livre, en dépit de ses importantes activités érudites. La dédicace de Naudé est un témoignage suffisamment rare des mérites de Diodati pour que j’offre aux curieux le plaisir de la lire :

Passa tandem est exorari se modestia tua (Clarissime Diodati) ut præfationem, quam apparere sub tuo nomine, in Cremonini libello volueram, nunc demum, cum istis Hieronymi Cardini de vita sua commentarijs, acciperes. Atque hoc nomine beneficium me tibi debere profiteor, quod inter ferme innumera, quibus me devincere semper, quasi data opera consuevisti, non postremum censeri debeat. Nam torquebar ego vehementi desiderio testandæ meæ erga te voluntatis, si non alio, quæ mearum virium tenuitas est, at saltem eo modo, quo præclaris aliorum in me amicorum officijs, grati quoddam animi mei monumentum reponere, huc usque non destiti. Tu vero nihil aliud quærebas, quam tot officiorum, quibus me ab annis septem supra viginti, cumulatum esse voluisti, testem habere conscientiam tuam, quæ si bona sua, et præclara omnia facinora, prodire in lucem vellet, haberent profecto homines virtutum exempla pulcherrimarum, ex quibus, vitam suam non minus componere, quam ornare : et in omnem posteritatem, summa cum laude transmittere possent. At enim quemadmodum istud ex officio viri optimi, sapientissimique facere consuevisti ; sic meum esse prorsus intellexi, non pati diutius ea in occulto latere, quæ indicio esse possent, meæ non tantum iuventutis studia, sed ætatis quoque iam provectæ negotia, simulque etiam ocia liberalia, tibi curæ fuisse, recta semper ut procederent. Nam præterquam hæc ingenua confessio, me ab omni ingratitudinis labe immunem præstat, non levem præterea spem injicit, fore ut homines, meam, exactissima necessitudine quæ mihi tecum intercessit, vitam æstiment ; sibique persuadeant, eum quem optimus, eruditissimus, sapientissimusque bonorum omnium contestatione Ælius Diodatus, ab ineunte quasi ætate dilexerit, non posse esse ab amore, et imitatione virtutis alienum. Vale.

Parisiis iv. Kalend. Octob. m. dc. xlii.

[Votre modestie (très distingué Diodati) a enfin souffert de se laisser fléchir pour accepter que la préface, que je voulais vous dédier dans l’opuscule de Cremonini, {a} ne paraisse que maintenant avec ces commentaires de Jérôme Cardan sur sa propre vie. Et je déclare vous devoir cet honneur, mais il ne doit pas être tenu pour solde de tout compte, car vous avez toujours eu pour habitude de me combler d’innombrables bienfaits, comme à dessein. J’étais en effet tourmenté par l’ardent désir et le devoir de témoigner ma reconnaissance à votre égard. La faiblesse de mes ressources ne me permettant pas de le faire autrement, je le fais donc par un moyen que vous ne pouvez aller jusqu’à refuser, puisque c’est celui que j’emploie pour exprimer quelque gratitude envers mes autres amis. Par tant de services dont vous avez voulu me combler depuis plus de vingt-sept ans, {b} vous ne cherchiez cependant qu’à exprimer votre intime inclination ; mais si ce sentiment voulait mettre en pleine lumière ses bienfaits et ses brillantes actions, les hommes contempleraient les démonstrations des plus belles vertus, qui ne dirigent pas moins qu’elles n’embellissent l’existence de chacun, et ils pourraient les transmettre à la postérité avec extrêmes louanges. Ainsi, puisque vous avez pour habitude de remplir votre devoir avec autant de générosité que de sagesse, j’ai parfaitement compris que le mien est de ne pas tenir plus longtemps dans l’ombre tout ce qui pourrait montrer le soin que vous avez porté au bon déroulement non seulement de mes études de jeunesse, mais aussi des mes affaires et de mes loisirs érudits d’adulte déjà bien avancé en âge. Outre que cette confidence ingénue m’exempte de tout reproche d’ingratitude, elle exprime ma vive espérance de faire savoir aux hommes que je me trouve dans l’impérieuse nécessité de lier mon existence à celle d’Élie Diodati. Étant donné que cet excellent personnage m’a choisi, pour ainsi dire, dès le berceau, ma sincérité les persuadera aussi que je ne puis m’abstenir d’aimer et d’imiter la vertu de celui dont tous les honnêtes gens reconnaissent l’immense érudition et la très profonde sagesse. Vale.

À Paris, le 27 septembre 1642]. {c}


  1. Gabriel Naudé pouvait avoir eu l’intention d’éditer l’un des trois opuscules de Giulio Cesare Cremonini que son disciple Troile Lancetta fit paraître à Venise en 1644 (v. note [22], lettre 348).

  2. Naudé avait donc moins de 15 ans quand Diodati le prit sous son aile ; il était de 24 ans plus âgé que lui.

  3. Naudé était revenu d’Italie le 10 mars précédent (v. note [6], lettre Naudæana 4).

    Le style fort apprêté de son épître n’est pas parvenu à gommer tout à fait sa sincère et profonde gratitude envers l’ami qui l’avait protégé depuis son enfance.



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 9 novembre 1642, note 1.

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(Consulté le 18/04/2024)

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