À Charles Spon, le 21 avril 1643

Note [15]

Philosophe athénien du ive s. av. J.‑C., Platon avait eu Socrate (v. note [4], lettre 500) pour principal maître, et c’est principalement lui qui nous a transmis sa doctrine. Enseignant dans son Académie, Platon s’est imprégné de tous les courants philosophiques de son époque, notamment pythagoriciens (v. note [27], lettre 405), pour les analyser et en proposer une synthèse, qui reste le modèle de la pensée grecque antique (logique, éthique, politique, scientifique). Monothéiste (v. note [15] du Patiniana I‑4), Platon croyait en l’immortalité de l’âme, mais la liait à la métempsycose (transmigration de l’âme du corps d’un individu dans celui d’un autre). On a donné le nom d’Académie à l’École qu’il a fondée.

Aristote, philosophe grec du même siècle, disciple puis critique de Platon, fonda l’École péripatéticienne et fut le précepteur d’Alexandre le Grand (v. note [21], lettre 197). Il a exercé une influence immense sur la pensée et les sciences de l’Europe à partir du xiie s., quand les Arabes y eurent introduit ses écrits commentés. Sous l’influence et dans l’interprétation de saint Thomas d’Aquin (xiiie s., v. note [24], lettre 345), relayé par les théologiens Byzantins, après la chute de Constantinople (1453), ces traités fondèrent la philosophie scolastique (v. note [3], lettre 433) qui, mêlant la théologie chrétienne et un péripatétisme fort déformé par rapport à sa source, servit de modèle à la plupart des Écoles occidentales.

Dans son traité De la Vertu des païens (Paris, 1642, v. note [36] du Naudæana 3), François i de La Mothe Le Vayer (v. note [14], lettre 172) a ainsi interprété la puissante influence d’Aristote sur la pensée de son siècle et de ceux qui l’ont précédé (pages 123‑124) :

« Comme Platon a eu ses admirateurs, qui lui ont donné le surnom de Divin, Aristote a reçu des siens les glorieux titres de Génie de la nature, et de fidèle interprète de tous ses ouvrages. L’un ne saurait en cela prétendre aucun avantage sur l’autre ; et si {a} l’on peut dire que les académiciens, non plus que les péripatéticiens, n’ont rien fait en parlant ainsi de leurs chefs que toutes les autres familles philosophiques n’aient pratiqué lorsqu’elles ont employé le nom de leurs fondateurs. Mais il semble qu’Aristote se pourrait glorifier d’avoir encore aujourd’hui ses sectateurs, et de régner presque aussi puissamment dans toutes les écoles qu’il fit jamais dans le Lycée, ce que pas un ne saurait prétendre. Car encore que la plupart des Pères, {b} qui avaient plus d’inclination pour Platon que pour lui, aient fait de grandes invectives contre sa doctrine, jusque-là que saint Ambroise, {c} dans ses Offices, et Origène, réfutant Celsus, {d} soutiennent qu’elle est beaucoup plus à craindre que celle d’Épicure. {e} Si est-ce {f} que depuis Albert le Grand {g} et saint Thomas, principalement, se furent donné la peine d’expliquer, autant qu’il leur fut possible, tous les mystères de notre religion avec les termes de la philosophie péripatétique, nous voyons qu’elle s’est tellement établie partout qu’on n’en lit plus d’autre par toutes les universités chrétiennes. Celles mêmes qui sont contraintes de recevoir les impostures de Mahomet n’enseignent les sciences que conformément aux principes du Lycée, auxquels ils s’attachent si fort qu’Averroès, Alfarabius, Almubassar {h} et assez d’autres philosophes arabes se sont souvent éloignés des sentiments de leur Prophète pour ne pas contredire ceux d’Aristote, < mot > que les Turcs ont en leur idiome turquesque, et en arabe […]. Ce qui me fait rapporter au siècle de saint Thomas seulement cette réception générale du péripatétisme parmi les chrétiens, et non pas à celui de Charlemagne, du vivant duquel on veut qu’il fût déjà en vogue dans l’Université de Paris, la première de toutes et celle qui a succédé aux Athènes des Anciens, c’est qu’il paraît que longtemps depuis cet empereur on n’y connaissait le nom d’Aristote que pour le détester. » {i}


  1. « et même ».

  2. Les Pères de l’Église.

  3. Au ive s., v. note [24], lettre 514.

  4. Au iiie s., v. note [8], lettre 530.

  5. V. note [9], lettre 60.

  6. Tant et si bien.

  7. Au xiiie s., V. note [8], lettre 133.

  8. V. note [51] du Naudæana 1 pour Averroès (xiie s.). Al Fârâbî est un philosophe persan du xe s. Al-Mubashshir est un érudit égyptien du xie s.

  9. Moins compatible avec le christianisme et plus ésotérique que l’aristotélisme, la philosophie de Platon (et donc de Socrate) perdit son influence ouverte sur la pensée occidentale. Elle était promue par les platoniciens (v. note [52], lettre 97) que l’Église tenait pour hérétiques, assimilés aux magiciens.

    Le renouveau philosophique du temps de Guy Patin et de La Mothe Le Vayer (dont le « libertinage érudit », auquel on l’a rattaché, ne fut qu’un atelier) s’est en bonne partie établi sur la critique sceptique de la scolastique et du péripatétisme : Ramus, Bacon, Descartes, Gassendi, etc.

    V. note [57] du Faux Patiniana II‑7 pour une brève histoire de l’aristotélisme : transmission des ouvrages d’Aristote et leurs censures par l’Église romaine.


Aristote a fait preuve d’un savoir encyclopédique. Il a consacré plusieurs ouvrages à la description des êtres vivants, et la médecine en tira nombre d’enseignements et de dogmes qui s’ajoutèrent à ceux d’Hippocrate (ve s. av. J.‑C., v. note [6], lettre 6) dont il avait soigneusement étudié les écrits. Fondateur de l’anatomie comparée des animaux, Aristote a décrit les parties du corps humain avec plus ou moins de bonheur quant à leur physiologie : trachée-artère, aorte, veines, uretères, rate, foie, etc. Sa conception erronée du mouvement et de la fonction du sang a largement alimenté les querelles sur la circulation. La théorie aristotélicienne de la santé était fondée sur le principe d’équilibre : les maladies sont toujours causées par excès ou par défaut, principalement de chaleur ou d’humidité ; elles sont souvent guéries par l’excès contraire ; la santé est l’état moyen. Quant à l’âme, ce sont les sensations qui y engendrent les idées.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 21 avril 1643, note 15.

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(Consulté le 18/04/2024)

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