À Charles Spon, le 2 juin 1645
Note [9]
La vérole tout court, ou grosse vérole (par opposition à la petite qui est la variole, v. note [4], lettre 81), aujourd’hui appelée syphilis, est l’infection bactérienne spécifique provoquée par une bactérie, le tréponème pâle (Treponema pallidum, identifié à Berlin en 1905 par Fritz Schaudinn et Erich Hoffmann). Extrêmement contagieuse, elle se contracte presque exclusivement par la voie vénérienne. Hautement contagieuse, la syphilis est une infection chronique qui se déroule en trois phases :
Les phases primaires et secondaires sont bénignes et se résolvent spontanément, mais l’infection n’en est pas guérie pour autant ; sans traitement, la phase tertiaire est lentement mortelle, dans un état de cachexie, mais l’issue peut être brutale en cas d’atteinte artérielle (infarctus myocardique ou cérébral, rupture d’anévrisme).
Encore très commune de nos jours (12 millions de cas nouveaux annuellement dans le monde estimés en 2004, dont neuf sur dix dans les pays en voie de développement), la syphilis est aisément guérie par le traitement antibiotique. Au xviie s., la vérole était un fléau extrêmement redouté.
On discutait ses origines (non encore parfaitement résolues), avec une alternative (v. note [1], lettre latine 158) :
« Suer la vérole » c’était se soumettre au seul traitement qu’on connût alors, et qui est resté en vigueur, car il n’était pas dénué d’efficacité, jusqu’à la découverte des vertus anti-infectieuses spécifiques du salvarsan (dérivé arsenical, 1907), des sulfamides (1932), puis de la radicale pénicilline (1941). Les médications antisyphilitiques étaient principalement des sudorifiques (ou diaphorétiques) et provenaient des trois règnes : animal pour l’ammoniaque ; minéral pour le mercure ; et végétal pour une foule de plantes, les unes exotiques, comme le gaïac (v. note [8], lettre 90), la squine, la salsepareille, le sassafras, l’ébène ou le cèdre, les autres indigènes (domestiques) comme le genièvre, le cyprès, le buis, l’astragale ou le mézéréon. Le traitement sudorifique, combinant diversement ces produits, durait plus ou moins longtemps selon l’ancienneté du mal, l’intensité des symptômes et la résistance du malade. La cure ordinaire s’étalait sur deux mois et demi à trois mois. Un premier traitement n’était pas toujours suffisant, on était quelquefois obligé de recommencer plusieurs fois avant d’obtenir une guérison jugée complète. Ces opérations se déroulaient ordinairement dans les établissements de bain public, tenus par les baigneurs ou étuvistes (v. notule {c}, note [5] du Traité de la Conservation de santé, chapitre x).
Quelle que fût l’exacte composition du remède, le mercure (hydrargyre, c’est-à-dire argent liquide) en était l’ingrédient le plus constant et le plus spectaculairement efficace : « Le mercure chez les médecins s’appelle le furet, parce que par sa subtilité il va chercher les mauvaises humeurs jusque dans les parties les plus solides. C’est pourquoi on l’emploie à guérir le mal de Naples [la vérole] ; et il a une vertu merveilleuse pour faire mourir toute la vermine subitement. Ceux qui travaillent aux mines de mercure sont sujets à la paralysie » (Furetière). Trop toxique pour être administré par la voie orale, le métal était appliqué sur la peau sous la forme d’un onguent mercuriel, souvent en quantités effrayantes. Suer la vérole, c’était aussi la saliver (P.‑É. L.M.) :
« La première friction demandait deux onces d’onguent mercuriel double. On faisait coucher le malade dévêtu sur une couverture devant une cheminée où brûlait un grand feu. On frictionnait larga manu, cessant la friction lorsque le flux de bouche apparaissait. On roulait alors le patient dans la couverture et on plaçait auprès de lui un grand vase dans lequel il laissait tomber la salive. Le flux de bouche avait fait son effet quand le malade avait salivé cinq, six, huit litres de salive. Vingt-quatre heures après, on faisait une seconde friction pour laquelle on employait quatre onces de l’onguent. Le flux de bouche apparaissait encore plus abondant que le jour précédent. Tout le venin vérolique sortait avec la salive et la maladie exigeait rarement une troisième friction. L’intoxication hydrargyrique (flux de bouche, flux de ventre, flux d’urine) avait relégué au second plan l’affection syphilitique. Son apparition annonçait la fin de la maladie, la “ période critique de la vérole ”, comme on disait alors. Un pareil traitement nécessitait un arrêt complet de la vie sociale du vérolé. Cet arrêt constituait la “ retraite ”. La durée de la retraite était variable, mais cette variabilité reposait sur le degré d’intoxication hydrargyrique du patient et sur sa résistance plus ou moins grande à cette thérapeutique barbare. Les gens riches faisaient leur retraite chez eux ; les gens de condition moyenne et les artisans la faisaient le plus souvent dans des maisons spéciales. La chambre où se faisaient les frictions possédait pour tout ameublement une ou deux couchettes, pas de fenêtre, une haute cheminée où brûlait un grand feu de bois, les murs noirs de mercure. On y enfermait sous clef les patients qui n’en devaient sortir que lorsque la salivation avait atteint son maximum. Un pareil régime cellulaire entraînait bien des inconvénients et des accidents. Aussi la crainte du traitement par le mercure expliquait l’engouement du peuple parisien pour tous les charlatans qui, par des spécifiques infaillibles, guérissaient la vérole sans mercure et flux de bouche. »