À Charles Spon, le 11 juin 1649

Note [16]

« de sabot d’élan et de corne de licorne ».

V. note [5], lettre 796, pour le pied d’élan. Quantité de fables ont circulé sur la licorne (uncornis en latin, monoceros en grec) :

« C’est un animal fort craintif qui se retire dans les bois, et qui pourtant se hasarde quelquefois à venir dans la plaine. Il a une corne blanche au milieu du front de cinq palmes de longueur, {a} telles qu’on les dépeint ici. […] Les uns disent qu’elle ressemble à un cheval ou poulain, les autres à un âne, les autres à un cerf ou à un bouc par sa barbe, les autres à un éléphant, les autres à un rhinocéros, les autres à un lévrier. […] Enfin, tous les auteurs rapportent différemment la figure et la couleur tant de l’animal que de sa corne et de toutes ses parties. C’est pourquoi les plus sensés tiennent que c’est un animal fabuleux.  […] La Peyrère en sa Relation de Groënland {b} dit que ce qu’on croit corne de licorne est une dent d’un gros poisson nommé par les Islandais narval, {c} et dans d’autres lieux rohart, qui se trouve dans la mer Glaciale, qui a fourni abondance de ces cornes dans les cabinets des curieux. […]

Les Anciens ont cru que la corne de la licorne sert de contrepoison, et qu’elle la trempe dans l’eau pour l’épurer quand elle veut boire. Sa rareté fait qu’on lui attribue plusieurs vertus dans la médecine ; mais il est constant, comme l’a fort bien prouvé Ambroise Paré, que c’est une pure charlatanerie ; et il dit qu’il a expérimenté que toutes les vertus qu’on lui attribue sont fausses, quoique les marchands aient mis son prix si haut, qu’un Allemand en vendit une douze mille écus au pape, au rapport d’André Racci, médecin de Florence ; et que dans les boutiques la livre de 16 onces ait été vendue jusqu’à 1 536 écus en un temps où le même poids de l’or n’en valait que 148. » {d}


  1. Environ 50 centimères.

  2. Isaac de La Peyère ne s’intéressait pas qu’aux textes sacrés (v. notes [1] et [3], lettre 93) : sa Relation du Groënland, adressée à François i de La Mothe Le Vayer (v. note [1], lettre 172), a été publiée anonymement pour la première fois à Paris, Augustin Courbé, 1647, in‑8o de 278 pages.

  3. V. la note [5] de l’Observation iv sur la licorne.

  4. Les charlatans d’Extrême-Orient vendent encore aujourd’hui la corne de rhinocéros à des prix qui dépassent largement celui de l’or…

Le livre xxi (Des Venins) des Œuvres d’Ambroise Paré, conseiller et premier chirurgien du roi, divisées en 28 livres, avec les figures et portraits, tant de l’anatomie que des instruments de chirurgie, et de plusieurs monstres, revues et augmentées par l’auteur, quatrième édition (Paris, Gabriel Buon, 1585, in‑fo), s’achève sur un long Discours de la licorne (chapitres xlvii‑lxv), où Paré réfute l’existence du légendaire animal, et les vertus antivénéneuses de sa corne prétendue et « beaucoup plus chère que l’or » (page viii.cxxii) :

« Que s’il y a quelqu’un qui puisse m’assaillir de quelque bon trait de raison ou d’expérience, tant s’en faut que je m’en tienne offensé, qu’au contraire je lui en saurai fort bon gré de m’avoir montré ce qu’onc {a} je n’ai pu apprendre des plus doctes et signalés personnages qui furent, et sont encore en estime pour leur doctrine singulière, ni même d’aucun effet de notre licorne. Vous me direz : puisque les médecins savent bien, et publient eux-mêmes que ce n’est qu’un abus de cette poudre de licorne, pourquoi en ordonnent-ils ? C’est que le monde veut être trompé, et sont contraints lesdits médecins bien souvent d’en ordonner ou, pour mieux dire, permettre aux patients d’en user parce qu’ils en veulent. Que s’il advenait que les patients qui en demandent mourussent sans en avoir pris, les parents donneraient tous la chasse auxdits médecins et les décriraient comme vieille monnaie. »


  1. Que jamais.

Le dernier chapitre de ce Discours de la licorne (chapitre lxv, page viii.cxxiii) passe à l’autre sujet qu’évoquait ici Patin :

« Ceci me fait souvenir du pied d’hellend, {a} duquel plusieurs font si grand cas, spécialement lui attribuant la vertu de guérir de l’épilepsie. Et m’étonne d’où ils prennent cette assurance, vu que tous ceux qui en ont écrit ne font que dire : on dit, on dit ; je m’en rapporte à Gesnerus et à Apollonius Menabenus. Et quand ce ne serait que la misère de l’animal, qui tombe si souvent en épilepsie (dont les Allemands l’appellent Hellend, qui signifie misère) {b} et néanmoins ne s’en peuvent garantir, encore qu’il ait toujours son ongle {c} quant-et-quant soi : {d} il me semble que cela est suffisant pour révoquer en doute les vertus qu’on lui attribue. Voilà ce qu’il me semble de la corne de licorne, et si quelqu’un en peut découvrir d’avantage, je lui prie en faire part au public et prendre mon écrit en bonne intention. »


  1. Élan, v. note [5], lettre 796.

  2. Elend, étymologie inexacte selon Littré DLF ; élan se dit Elch en allemand.

  3. Sabot.

  4. Sur lui.

Tout ce Discours de la licorne et la Réplique d’Ambroise Paré, premier chirurgien du roi, à la Réponse faite contre son Discours de la licorne (pages viii.cxxiii‑xxvii) dressent un réquisitoire contre les abus des apothicaires et des charlatans, tout à fait dans les idées chères à Patin (fin du chapitre lxiiii, page viii.cxxiii) :

« Qui pourra se garder de ces bailleurs de balivernes, affronteurs et larrons, ce sera bien fait. » {a}


  1. « Plusieurs autres médecins, voire la plupart d’entre eux, ont même opinion ont même opinion, et ce que j’en sais, je ne l’ai appris que d’eux principalement, et premièrement du docte [Louis] Duret » (page viii.cxxvi, fin de l’avant-dernier paragraphe).

La thèse de Charles Guillemeau sur la « Médecine d’Hippocrate » (Paris, 1648) contient une observation sur la corne de licorne, à laquelle Patin a probablement mis la main.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 11 juin 1649, note 16.

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(Consulté le 11/10/2024)

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