À André Falconet, le 22 juin 1649

Note [4]

« sur le mouvement de la Terre. »

Jean-Baptiste Morin (Villefranche dans le Beaujolais 1583-Paris 6 novembre 1656) avait été reçu docteur de la Faculté de médecine d’Avignon ou Valence (selon Guy Patin) en 1613. L’année suivante, il était venu à Paris pour entrer au service de Claude Dormy, évêque de Boulogne (de 1600 à sa mort en 1626), qui l’envoya faire des recherches sur la nature des métaux dans les mines de Hongrie. Il descendit dans les plus profondes et ayant cru reconnaître que la Terre est divisée comme l’air en trois régions, il fit un livre là-dessus : Nova Mundi sublunaris anatomia… [Nouvelle Anatomie du monde sublunaire…] (Paris, Nicolaus Du Fossé, 1619, in‑8o de 144 pages). De retour chez son prélat, Morin avait été initié à l’astrologie judiciaire (prémonitoire) par un Écossais. Dès 1617, il avait prédit avec exactitude l’emprisonnement de Dormy, ce qui lui permit d’entrer dans l’entourage des grands du royaume et d’obtenir en 1630 la charge de professeur royal de mathématiques. Ses talents divinatoires lui valurent beaucoup d’admirateurs aussi crédules qu’influents, mais aussi bien des ennemis.

Dans les remous de la condamnation de Galilée par l’Église de Rome, {a} une âpre querelle astrophysique avait opposé Morin à Pierre Gassendi, {b} principalement inaugurée par trois ouvrages : {c}

L’avis Au lecteur du Recueil sur la querelle entre Morin et Gassendi (Paris, 1650, v. supra notule {b}) en a résumé le motif :

« M. Gassendi ayant été toujours très curieux de chercher à justifier par les expériences la vérité des spéculations que la philosophie lui propose, et se trouvant à Marseille avec Monseigneur le comte d’Alais {a} en l’an 1641, fit voir, sur une galère qui sortit exprès en mer par l’ordre de ce prince […], qu’une pierre lâchée du plus haut du mât, tandis que la galère vogue avec toute la force et la vitesse possible, ne tombe point ailleurs qu’elle ne ferait si la même galère était arrêtée et immobile ; si bien que soit qu’elle aille ou qu’elle n’aille pas, la pierre tombe toujours le long du mât à son pied et de même côté. Cette expérience […] sembla tenir quelque chose du paradoxe à beaucoup qui ne l’avaient point vue ; ce qui fut cause que M. Gassendi composa un traité De Motu impresso a motore translato, que nous vîmes de lui la même année en forme de lettre écrite à M. Dupuy. M. Morin qui avait fait imprimer quelque temps auparavant son ouvrage intitulé Famosi problematis terræ motu hactenus optata, nunc tandem demonstrata solutio, {b} crut que M. Gassendi n’avait eu autre dessein que d’écrire contre son livre, pource que dans cette lettre à M. Dupuy, il détruisait une des plus fortes raisons que l’on a toujours opposées au mouvement de la Terre, et que M. Morin employait pour fondement d’une de ses principales démonstrations. Ce déplaisir joint à l’ambition qu’il a de se signaler en attaquant les hommes de réputation, le porta à faire cet autre livre auquel il donna pour titre Alæ Telluris fractæ, où il ne se contente pas d’impugner {c} à sa mode les raisons de M. Gassendi ; mais il s’oublie jusques à le taxer d’hérésie, en lui déconseillant le voyage de Rome, comme n’y faisant pas sûr pour lui. Alors M. Gassendi suivit l’exemple de Jésus-Christ, lequel n’ayant pas ouvert la bouche durant tous les outrages qu’il avait soufferts jusques là, montra quelque ressentiment de celui que le satellite {d} insolent lui fit, en lui reprochant qu’il offensait le Pontife. Ainsi, M. Gassendi voyant que M. Morin lui faisait un semblable reproche, pensa qu’il ne devait plus se taire et fit son Apologie. » {e}


  1. Louis-Emmanuel de Valois, comte d’Alais, gouverneur de Provence (v. note [42], lettre 155).

  2. « Solution, longtemps souhaitée et maintenant enfin démontrée, du célèbre problème lié au mouvement de la Terre » (Paris, chez l’auteur, 1631, in‑8o), dédié au cardinal de Richelieu.

  3. D’attaquer.

  4. Séide : « celui qui accompagne un autre pour sa sûreté, ou pour exécuter ses commandements. […] On le prend d’ordinaire en mauvaise part pour un archer, un pousse-cul [agent subalterne préposé à arrêter et emprisonner les gens], ou quelque mauvais garnement qui sert aux captures, ou à faire de mauvais traitements à quelqu’un » (Furetière).

  5. La dispute s’envenima plus encore quand elle s’étendit à l’astrologie, après que Morin eut prédit la mort de Gassendi en juillet-août 1650, qui n’arriva pas (Bayle, note I).

Cette querelle de la plus haute importance scientifique dépassant mes compétences, j’ai interrogé mon frère aîné, Jean-Pierre Capron, ancien ingénieur du Corps des Mines, et lui sais profondément gré de m’avoir renvoyé aux Dialogues que Galilée a rédigés à la demande du pape Urbain viii et publiés en italien (Florence, 1632, v. notule {b}, note [19], lettre 226). Guy Patin ne pouvait avoir lu que leur édition latine :

Galilæi Galilæi Lynci, Academiæ Pisanæ Mathematici, Serenmi. Magni-Ducis Hetruriæ Philosophi et Mathematici Primarii Systema Cosmicum : in quo Dialogis iv. de duobus maximis Mundi Systematibus, Ptolemaico et Copernicano, rationibus utrinque propositis indefinite disseritur. Accessit locorum S. Scripturæ cum Terræ mobilitate concilatio.

[Système cosmique de Galileo Galilei, lyncéen, {a} mathématicien de l’Université de Pise, premier philosophe et mathématicien du sérénissime grand-duc de Toscane : {b} où, sous la forme de quatre Dialogues sur les deux plus grands systèmes du monde, ptoléméen et copernicien, sont discutés sans parti pris les arguments proposés par chacun des deux. Y est adjointe une réconciliation des passages de la sainte Écriture avec la mobilité de la Terre]. {c}


  1. Membre de l’Académie romaine des Lynx, v. seconde notule {a}, note [35] du Naudæana 2.

  2. Ferdinand ii de Médicis (v. note [9], lettre 367), à qui Galilée a dédié son livre.

  3. Lyon, Jean-Antoine i Huguetan, 1641, in‑4o ilustré de 377 pages ; réimpression de la toute première édition (Trèves, Elezevier, David Hauttus, 1635), dans la traduction latine de Matthias Bernegger (v. notule {h}, note [11], lettre latine 101) ; dédiée par le libraire à Balthazar de Monconys (v. note [52], lettre 420), alors conseiller au présidial de Lyon.

Le Dialogue, réparti en quatre journées, fait intervenir trois personnages fictifs : Filippo Salviati (Salv. qui défend les idées de Copernic et Galilée), Simplicio (Simpl. qui représente les aristotéliciens) et Giovan Francesco Sagredo (Sagr. dont l’opinion est neutre). La iie journée relate deux expériences menées sur des bateaux en déplacement, qui permettent d’éclairer, sans anachronisme, les échanges entre Gassendi et Morin.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 22 juin 1649, note 4.

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(Consulté le 25/04/2024)

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