À Charles Spon, le 1er avril 1650

Note [47]

Journal de la Fronde (volume i, fo 192 ro et vo, 27 mars 1650) :

« Le même jour arriva un courrier extraordinaire de Provence qui a passé Dijon et rapporté que le 17, le comte d’Alais ayant su, par des gens qu’il avait dans Marseille, l’élection qui avait été faite de nouveaux consuls par la brigue de sept ou huit factieux et que s’il y voulait aller, il les pourrait mettre facilement à la raison par une brigue contraire qu’il trouverait, au lieu que s’il n’y venait pas, il y perdrait tout son crédit, ce qui lui fit prendre résolution d’y s’y acheminer ; mais les nouveaux consuls l’ayant su lui députèrent le sieur de Cabres pour lui faire compliment et le supplier de n’y point venir, attendu la rumeur qui était dans la ville, où toute la bourgeoisie était en armes en attendant que le sieur de Montholieu eût obtenu de la cour la confirmation de cette élection, et où la ville avait levé mille soldats pour faire réussir ce dessein par la force. Ce député ayant rencontré le comte d’Alais en chemin à quatre lieues de Marseille, accompagné d’environ 200 cavaliers, lui fit son compliment et le supplia de la part de la ville de s’en retourner ; à quoi ce comte ayant répondu qu’il souhaitait de voir les nouveaux consuls, pria le député de leur aller dire qu’il les verrait ce jour-là ; mais comme il fut à deux lieues de Marseille, le même député revint pour la seconde fois le prier de n’y point venir à cause que les esprits du peuple y étaient si aigris contre lui qu’on en pourrait appréhender quelque désordre à son arrivée, et l’affront de voir qu’on lui refusât la porte ; sur quoi ayant conféré avec quelques-uns des siens, il ne laissa pas de résoudre de passer outre et étant arrivé à la plaine de Saint-Michel, à la portée du canon de la ville, il envoya le sieur de Matan, capitaine de ses gardes, et le chevalier Thomas de Village avec six ou sept de ses gardes à la Porte Royale ; où étant arrivés, ils demandèrent à parler aux consuls, ce qui leur ayant été refusé, ils demandèrent le capitaine de ce quartier-là, qui étant proche de là, vint parler à eux et leur refusa la permission qu’ils demandaient de saluer les consuls de la part du comte d’Alais ; ce qui mit en colère ledit sieur de Matan qui, après avoir menacé de mettre le feu à toutes les métairies qui sont autour de Marseille, lâcha son pistolet sur ce capitaine, qui néanmoins ne fut point blessé ; ce qui obligea les soldats de tirer sur ledit Matan qui fut tué sur la place, et le chevalier du Village eut son cheval tué sous lui. En mêmes temps, les bourgeois, qui avaient accouru au bruit sur les murailles, tirèrent aussi sur eux ; et les soldats qui étaient dans les tours ayant vu qu’on brûlait une métairie vers la plaine de Saint-Michel, mirent le feu à deux couleuvrines qui étaient chargées, lesquelles tuèrent deux des gardes de ce comte à ses côtés et couvrirent de terre son carrosse et ses chevaux, ce qui l’obligea de se retirer, voyant que sa faction ne faisait aucun effet. Il est à remarquer qu’un moine de l’abbaye de Saint-Victor avait fait entrer garnison dans cette abbaye pour la ville, et qu’un avocat s’était aussi saisi de Notre-Dame de la Garde. M. de Montholieu étant venu ici avec le courrier qui a apporté cette nouvelle, cette affaire fut réglée le 28 au Conseil qui se tient au palais d’Orléans, où il fut ordonné que tout ce qui s’était passé dans Marseille touchant l’élection des consuls serait cassé et annulé ; néanmoins, afin que l’autorité du roi fût mise à couvert, il fut arrêté que le roi enverrait des lettres patentes par lesquelles Sa Majesté, usant de clémence, nommerait les mêmes consuls que le peuple avait élus ; sur quoi le sieur de Montholieu partit le lendemain pour aller en cour faire signer cette résolution par M. de Brienne qui a le département de Provence. »


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 1er avril 1650, note 47.

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(Consulté le 25/04/2024)

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