À Charles Spon, le 5 juillet 1652

Note [41]

Dubuisson-Aubenay a donné le récit le plus minutieux des faits (Journal des guerres civiles, tome ii, pages 246‑251, juillet 1652) :

« Jeudi 4, après dîner, grande assemblée en l’Hôtel de Ville, où sont invitées douze personnes de chaque quartier, à savoir six officiers du roi aux cours souveraines et six notables bourgeois.

Ce matin, on a trouvé placard sanglant portant que M. le Prince ayant fait voir ces jours comme il expose sa personne pour le salut de la Ville, elle doit aussi s’exposer pour lui et courir sus à tous ses ennemis, la Chevreuse et le coadjuteur, qui pervertit même M. d’Orléans, qui est si lâche que d’abandonner ce prince en ses généreuses résolutions, et qu’en un mot, il faut faire main basse à tous les mazarins. […]

Cette après-dînée même, s’est introduite la manière de se déclarer non-mazarin en portant sur la tête un bouquet de paille. {a} Ceux et celles qui n’en avaient pas étaient dans la rue arrêtés par la canaille avec menaces de mort. Les carrosses même en avaient, et dit-on que c’est Mademoiselle qui a commencé d’en porter. Le signal par un bouquet de paille fut donné par le capitaine de la compagnie bourgeoise gardant l’Hôtel de Ville, et étant posté à l’entrée d’icelui sur les degrés montant dans la cour, tous les soldats {b} en avaient en leurs chapeaux et mousquets, et lui au sien ; et en donnaient à tous ceux qui entraient pour être de l’assemblée en leur disant : “ Point de Mazarin ! ”

L’assemblée de Ville se tenant en son Hôtel, sur la Grève, les princes s’y rendirent. On y lut la lettre du roi portant plainte de ce qu’on avait, le mardi soir, {c} reçu les troupes des princes en retraite dans la ville contre l’expresse promesse qu’on avait faite du contraire, et ajoutant que Sa Majesté croyait certainement que ç’avait été la canaille, et non l’ordre de la Ville et la bonne bourgeoisie, qui avait donné cette retraite ; qui n’empêcherait point que Sadite Majesté ne continuât ses bonnes volontés à sadite bonne ville, l’assurant qu’elle lui ferait monter des vaisseaux chargés de grain et venir le pain des environs à l’ordinaire.

Le procureur du roi et de la Ville, le sieur Piètre, {d} parla sur la lettre du roi devant la venue des princes et conclut que pour le vrai et seul remède aux maux, il fallait aller vers le roi derechef le supplier de venir à Paris. Les frondeurs là-dessus firent grand bruit et le contraignirent de s’expliquer, et dire s’il entendait que ce fût sans Mazarin.

Les princes sortirent là-dessus et aucuns de leur suite – on dit que ce fut le comte de Béthune – dirent à la populace assemblée en Grève que ces Messieurs assemblés demandaient encore huit jours de temps et de délai pour faire l’union qu’ils avaient promise aux princes et que, partant, c’était au peuple à faire ce qu’il aviserait là-dessus. {e} […]

Notez que ce peuple était persuadé que l’assemblée se tenait pour faire ladite union.

Alors, la canaille commença à crier qu’il fallait égorger et brûler les mazarins. Et aucuns des plus forts et robustes prirent sur leurs épaules des solives qui sont d’ordinaire posées à terre près de la Croix de Grève, vers la rue de la Tannerie, {f} où l’on met hors de la fange les sacs des échantillons de blé exposés aux marchands, et s’efforcèrent de rompre avec lesdites solives la grande porte de l’Hôtel, tandis que les fusiliers et mousquetaires tiraient aux fenêtres ; mais ladite porte se trouvant forte, ils eurent recours à la paille et aux fagots, et mirent le feu tant à ladite grande porte qu’aux deux petites, qui furent bientôt consumées.
Cela commença sur les quatre ou cinq heures après midi, que l’on vit la fumée de toutes extrémités de Paris, où l’on dit que c’était pour brûler les mazarins.
Le sieur du Buys, avocat au Conseil du roi, voyant de chez dame Compagnon, tante de sa femme, chez Bourdelas, chirurgien, mettre le feu à l’Hôtel de Ville, se sauva avec un sien parent, et trouvant dans la rue de la Verrerie un grand homme d’apparence accompagné et ayant un haussecol doré, {g} dit exprès : “ Voilà grande pitié de laisser périr tant d’honnêtes gens que l’on pourrait sauver s’il y allait au secours seulement une escouade de chacune des compagnies de la colonelle de ce quartier. ” À quoi cet homme à haussecol, qui sans doute était exprès pour cela, répondit : “ Mort Dieu ! il faut que désordre arrive. ”

Il dit avoir vu arriver en Grève par la rivière, avant le désordre, un bateau plein de soldats des princes, qui se mêlèrent avec la canaille en place ; et un conseiller de la Ville nommé de Bourges a dit affirmativement à M. d’Orléans qu’il y avait reconnu des officiers, et entre eux le major du régiment de Languedoc, assurant de plus que ceux qui le sauvèrent et reconduisirent chez lui pour de l’argent étaient soldats des troupes des princes. Ledit Bourges donna cent écus.

Un M. Poncet, officier de Cour souveraine, donna cent louis < en > écus d’argent au trompette du régiment de Valois qui entreprit de le sauver, comme il fit.

La grande bourgeoisie, {h} là postée par ordre de la Ville pour la conservation de l’assemblée, fut la première qui, se mêlant avec la populace, tira mousquetades dans les fenêtres de l’Hôtel de Ville ; ce que le sieur Duret, trésorier de France à Moulins qui était de l’assemblée comme notable bourgeois, m’a dit avoir éprouvé comme < quand > il pensa se sauver du côté du Saint-Esprit, {i} et que l’on le fit rentrer au trou par où il sortait à coups de mousquet. Ce que l’assemblée voyant, quitta ladite salle et se retira, se barricada contre les portes où le feu avait été mis, jeta force billets par les fenêtres, portant comme elle avait résolu et conclu l’union avec les princes selon le désir du peuple ; mais il ne s’y arrêta point et continua le désordre, voulant tuer et piller.

Ladite assemblée aussi cria “ Union, union ! ” dès la sortie des princes, se doutant bien qu’ils étaient malcontents. Elle tenait même aux fenêtres de la salle où elle était un drap blanc au lieu de drapeau en signe de paix, que la canaille trouva moyen d’abattre ; et l’ayant visité < pour voir > s’il n’y aurait point d’argent noué aux coins, le brûla.

Du commencement, elle {j} se défendit et tua plusieurs de la canaille à coups de fusil que tirèrent < des > gens du maréchal de l’Hospital ; et s’il y eût eu de bons mousquets et grenades, ils eussent fait retirer la canaille.
La grande porte brûla lentement, les petites furent bientôt consumées. On y mit aussi le feu du côté du Saint-Esprit […], et ainsi la foule entra. »

Et commencèrent le massacre, la débandade et le sauve-qui-peut…

« Le maréchal de L’Hospital donna de l’argent aux plus hardis des séditieux qui le sauvèrent.

Le président de Guénégaud promit dix pistoles à d’autres qui le tirèrent de là ; mais au premier corps de garde du carrefour des rues de la Coutellerie, Jean-Pain-Mollet et Jean-de-l’Épine, etc., ils le perdirent et furent contraints de l’abandonner aux mains d’autres plus forts qui le menèrent par la place aux Veaux et du Chevalier du Guet {k} vers la Monnaie où ce voyant, il leur persuada de le mettre en maison bourgeoise (qui fut chez M. de Sève-Plotard) plutôt que dans un cabaret où ils le pensaient mener ; mais il leur fallut encore composer et doubler la dose, et ainsi ils eurent deux cents livres et bien à boire ; et les premiers avant eux lui avaient pris son chapeau et un manteau et pourpoint de taffetas rayé, lui baillant haillons au lieu de cela pour le déguiser et faire passer pêle-mêle avec ceux qui étaient par tous les corps de gardes, qui étaient très fréquents ; et sans cela, ils ne l’eussent jamais pu faire passer ni conserver avec eux.

Il était le troisième recommandé après et avec le gouverneur de la Ville et le prévôt des marchands.

À la fin, sur les dix à onze heures, {l} le duc de Beaufort y fut, qui fit tirer des pièces de vin dudit hôtel et rouler au loi, au bout de la Grève, où, tandis que la canaille s’enivra, il fit sortir ceux qu’il voulut.

Mademoiselle y fut aussi et sauva, dit-on, le prévôt des marchands qui était caché dans une chambrette, à la charge de donner sur-le-champ sa démission de la prévôté des marchands, ce qu’il fit volontiers. {m} Il fut indiqué par Lallemand, conseiller des Requêtes, à la charge qu’il ne lui serait fait aucun mal, ni à lui aussi.
Le maréchal de L’Hospital se sauva en habit de l’un de ses gardes, lesquels gardes firent défenses et en tuèrent plus de vingt ;mais n’ayant plus de quoi tirer, cessèrent et se retirèrent des portes et cours au dedans, où il n’y eut personne tué ni blessé que Le Maire, greffier, qui a quatorze ou quinze coups, sans que pourtant l’on désespère de sa vie. »


  1. Comme avaient fait les soldats de Condé au cours de la bataille du 2 juillet pour se reconnaître dans la mêlée.

  2. Tous les soldats de la milice bourgeoise.

  3. Le 2 juillet.

  4. Germain Piètre (procureur général de la Maison royale d’Orléans).

  5. Le Journal de la Fronde (volume ii, fo 107 vo) attribue ces paroles à Monsieur lui-même, « Faites ce que vous voudrez ».

  6. Proche de l’actuelle avenue Victoria.

  7. Plaque de fer distinctive des officiers d’infanterie.

  8. La garde bourgeoise de Paris.

  9. Hôpital du Saint-Esprit-en-Grève, mitoyen de l’Hôtel-de-Ville, côté nord.

  10. L’assemblée.

  11. Place où habitait Guy Patin.

  12. Du soir.

  13. V. note [3], lettre 292.



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 5 juillet 1652, note 41.

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(Consulté le 20/04/2024)

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