À Charles Spon, le 20 décembre 1652

Note [37]

Louis-Marie-Victor d’Aumont (1632-1704), marquis de Villequier, était le fils aîné du maréchal d’Aumont (v. note [1], lettre 248). Il avait été nommé capitaine des gardes du corps du roi en 1651 et devint gouverneur de Boulogne quand son père reçut le gouvernement de Paris (1662), puis duc d’Aumont quand le maréchal mourut (1669).

Journal de la Fronde (volume ii, fo 188 vo, Paris, 20 décembre 1652) :

« M. le cardinal de Retz ayant résolu de prêcher le jour de Noël à Saint-Germain-l’Auxerrois, qui est la paroisse du Louvre, le roi lui manda hier au matin qu’il serait bien aise de le voir auparavant ; et parce qu’il savait bien qu’on le tenait pour suspect à la cour et qu’on l’accusait de cabaler dans Paris pour les Enquêtes et les rentiers, il balança d’abord à la résolution qu’il devait prendre et quelques-uns lui conseillèrent de n’aller point au Louvre ; mais il ne laissa pas d’y aller et se trouva à la messe du roi, à la sortie de laquelle M. de Villequier, capitaine des gardes du corps du roi, l’arrêta prisonnier entre midi et une heure, et le retint dans le Louvre jusqu’à trois heures après midi qu’on le fit passer par la grande galerie du Louvre et sortir par le pavillon des Tuileries, d’où on le conduisit dans le château de Vincennes escorté de quatre compagnies des gardes des gendarmes et chevau-légers du roi. »

Retz (Mémoires, pages 1094‑1096) :

« J’allai ainsi au Louvre le 19e de décembre et j’y fus arrêté dans l’antichambre de la reine par M. de Villequier qui était capitaine des gardes en quartier. Il s’en fallut très peu que M. d’Hacqueville ne me sauvât. Comme j’entrai dans le Louvre, il se promenait dans la cour ; il me joignit à la descente de mon carrosse et il vint avec moi chez Mme la maréchale de Villeroy où j’allai attendre qu’il fût jour chez le roi ; il m’y quitta pour aller en haut où il trouva Montmège qui lui dit que tout le monde disait que j’allais être arrêté ; il descendit en diligence pour m’en avertir et pour me faire sortir par la cour des cuisines qui répondait justement à l’appartement de Mme de Villeroy ; il ne m’y trouva plus, mais il ne m’y manqua que d’un moment, et ce moment m’eût infailliblement donné la liberté. […]

M. de Villequier me mena dans son appartement où les officiers de la bouche m’apportèrent à dîner. L’on trouva très mauvais à la cour que j’eusse bien mangé, tant l’iniquité et la lâcheté des courtisans est extrême. Je ne trouvai pas bon que l’on m’eût fait retourner mes poches comme l’on fait aux coupeurs des bourses, M. de Villequier eut ordre de faire cette cérémonie qui n’était pas ordinaire. L’on n’y trouva qu’une lettre du roi d’Angleterre {a} qui me chargeait de tenter du côté de Rome si l’on ne lui pourrait point donner quelque assistance d’argent. Ce nom de lettre d’Angleterre se répandit dans la basse-cour ; il fut relevé par un homme de qualité au nom duquel je me crois obligé de faire grâce, à la considération de l’un de ses frères qui est de mes amis ; il crut faire sa cour de le gloser d’une manière qui fut odieuse, il sema le bruit que cette lettre était du Protecteur. {b} Quelle bassesse ! L’on me fit passer, sur les trois heures, toute la grande galerie du Louvre et l’on me fit descendre par le pavillon de Mademoiselle. Je trouvai un carrosse du roi dans lequel M. de Villequier monta avec moi et cinq ou six officiers des gardes du corps. Le carrosse fit douze ou quinze pas du côté de la ville, mais il tourna tout d’un coup à la porte de la Conférence. Il était escorté par M. le maréchal d’Albret à la tête des gendarmes, par M. de La Vauguyon à la tête des chevau-légers et par M. de Vennes, lieutenant-colonel du régiment des gardes, qui y commandait huit compagnies. Comme l’on voulait gagner la porte Saint-Antoine, il y en avait deux ou trois autres devant lesquelles il fallait passer ; il y avait à chacune un bataillon de Suisses qui avaient les piques baissées vers la ville. Voilà bien des précautions, et des précautions bien inutiles. Rien ne branla dans la ville. La douleur et la consternation y parurent ; mais elles n’allèrent pas jusqu’au mouvement, soit que l’abattement du peuple fût en effet trop grand, soit que ceux qui étaient bien intentionnés pour moi perdissent le courage, ne voyant personne à leur tête. L’on m’en a parlé depuis diversement. Le Houx, boucher, mais homme de crédit dans le peuple et de bon sens, m’a dit que toute la boucherie de la place aux Veaux {c} fut sur le point de prendre les armes et que, si M. de Brissac ne lui eût dit que l’on < me > ferait tuer si l’on les prenait, il eût fait les barricades dans tout ce quartier-là avec toute sorte de facilité. L’Épinay m’a confirmé la même chose de la rue Montmartre. Il me semble que M. le marquis de Châteaurenault, qui se donna bien du mouvement ce jour-là pour émouvoir le peuple, m’a dit qu’il n’y avait pas trouvé jour ; et je sais bien que Malclerc, qui courut pour le même dessein les ponts de Notre-Dame et de Saint-Michel qui étaient fort à moi, y trouva les femmes dans les larmes, mais les hommes dans l’inaction et la frayeur. Personne du monde ne peut juger de ce qui fût arrivé s’il y eût eu une épée tirée. Quand il n’y en a point de tirée en ces rencontres, tout le monde juge qu’il n’y pouvait rien avoir ; et s’il n’y eût point eu de barricades à la prise de M. Broussel, l’on se serait moqué de ceux qui auraient cru qu’elles eussent seulement été possibles. »


  1. Charles ii alors sans trône et en exil.

  2. Oliver Cromwell.

  3. Dans le Halles.

Retz cherchait à se flatter, mais l’état d’esprit du peuple n’était plus ce qu’il avait été lors de l’arrestation de Broussel au tout début de la Fronde, en août 1648. On sent d’ailleurs qu’il n’était pas vraiment dupe de cette illusion (Bertière a).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 20 décembre 1652, note 37.

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(Consulté le 25/04/2024)

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