À Charles Spon, le 5 décembre 1653

Note [11]

Légende des soixante-un docteurs, lesquels ont déclaré leurs sentiments touchant l’antimoine, et certifié qu’ils ont reconnu par un long usage et expérience continuelle ses qualités être grandement convenables à la guérison de quantité de maladies, et qu’il n’est chargé d’aucune malignité vénéneuse. {a} Fait le 26 mars 1652. {b}


  1. V. supra note [3] pour la liste des 61 « signeurs de l’antimoine ».

  2. Sans lieu, ni nom, ni date [1653], petit in‑fo de 2 demi-feuilles, soit 8 pages.

Guy Patin, qui attribuait ce libelle antistibial à Jean Merlet (v. note [39], lettre 101), fut suspecté d’en être l’auteur, mais l’a farouchement nié à plusieurs reprises dans la suite de sa correspondance. Le véritable auteur semble en avoir été François Blondel (v. note [11], lettre 342).

La joie d’avoir enfin mis la main sur cette Légende, en octobre 2018, grâce à Google Livres et après quinze années d’échecs répétés, m’a poussé à la citer amplement (ici et dans la note [55], lettre 348) : son introduction, quelques-unes de ses notices nominales les plus parlantes et sa conclusion. J’en ai modernisé l’orthographe et la ponctuation, mais respecté les majuscules et les italiques.

« Ce faiseur de Gazettes {a} n’a point oublié le métier, le but et dessein de la Gazette ayant toujours été de déguiser la vérité, et de donner le prix et estime aux personnes selon son caprice, et non sur leur mérite. Son Libelle Satirique {b} est rempli de menteries puantes et insupportables aux gens d’honneur, même à ceux qui ne sont engagés dans aucun des deux partis qu’il a déclarés. Comment peut-il espérer d’être cru dedans Paris, où sont connus les Médecins de la Faculté, lorsqu’il qualifie des Approbateurs d’Antimoine grands hommes célèbres, illustres, et les plus fameux Médecins ? Il a eu dessein d’imposer aux étrangers et à la postérité, qu’on désabusera, donnant avis très certain et véritable qu’il a omis en sa Liste (comme très éloignés de sa cabale) les plus vénérables par l’âge, et les plus honorés par leur vertu et mérite, docteurs de cette nombreuse Faculté ; et ne se trouvent dedans cette Liste que jeunes gens sans emploi et, par conséquent, qui ne peuvent avoir long usage et expérience continuelle des effets de l’Antimoine (ainsi qu’il écrit) ; {c} et les autres, quoiqu’ils aient de l’âge, ils n’ont ni usage ni expérience, non plus que les jeunes, pour n’avoir emploi dans leur profession. J’en excepte aucuns {d} et petit nombre qui travaillent, mais qui doivent leur emploi à l’Antimoine, duquel ils se servent contre leur conscience et la vraie science de la Médecine ; ce qui sera clairement autant que véritablement déclaré et donné à connaître dans cette Légende, qui n’est mise au jour que pour détromper ceux qui, pour être trop crédules, se laissent piper, tromper et souvent tuer par ces Cabalistes Antimoniaux.

Maître René Chartier est le premier dans cette Liste ; ce n’est pas sans mystère qu’un Chartier soit mis en tête de cette troupe, c’est sans doute pour la conduire en la place aux veaux. Ce bon Chartier, dans sa simplicité, déjouera cet Écrivain flatteur de l’avoir mis comme un illustre, célèbre et des plus fameux Médecins, reconnaissant combien il est éloigné de mériter tels éloges, et assure (suivant sa franchise ordinaire) qu’il n’a souffert d’être mis en ce nombre d’Approbateurs de l’Antimoine que pour l’intérêt de son âne de fils, lequel s’est fait voir tel dedans l’infâme libelle du plomb sacré. {e} […]

4. Me François Guénault, grand promoteur de l’antimoine, auquel il a donné l’éclat, comme cet auteur écrit en son Épître, et par conséquent obligé de lui ménager des fauteurs qui le publient et distribuent, a dû prendre sa place dans cette Liste afin d’y en engager plusieurs par son exemple ; mais plus par ses promesses, qu’il fait à des suppôts et associés, d’emploi en ville et proche les Princes, où il en a envoyé quelques-uns se morfondre ; en sorte qu’ils ont sujet de pester contre l’antimoine et contre cet illustre illustrateur. J’ai estimé heureux M. Germain, notre cher Collègue, d’avoir été orthodoxe, et non empirique antimonié ; autrement, il eût été un des premiers apostoliquement relégué, où deux sont morts trop tôt pour leurs familles. {f} […]

13. Me Élie Bède n’a dû refuser de souscrire à ce parti, par la règle que claudus perpetuo claudicat : {g} quoiqu’ignorantissime, il sait qu’en cette drogue, il y a du το δει μη και το οξυδης ; {h} et néanmoins, il n’a pu dénier au Coryphée {i} des antimoniaux, illustrateur de cette drogue, de signer avec lui, contre vérité et raison, d’autant que souvent il l’appelle en pratique comme s’il marchait droit en besogne. […]

50. Me Isaac Renaudot, il me semble que ces antimoniaux sont enivrés de leur vin, ou de la fumée de leurs fourneaux, de mettre cet approbateur pour fournir leur nombre, lequel ne doit être cru en ce sujet, étant intéressé en la cause de son frère, qui le comprend entre ces fameux et illustres Médecins, les champs desquels sont fertilisés par l’antimoine, que celui-ci baille avec une témérité punissable à toutes rencontres. {j}

51. Me Eusèbe Renaudot, Hé quoi ! l’Auteur de cette satire a été s’écrire en cette Liste pour certifier que le vin de sa taverne est bon ? Il n’en est point croyable non plus que lorsqu’il a écrit, très faussement, à la fin de son Avis au Lecteur, qu’il n’y a aucun Docteur de notre Faculté qui ne pratique l’antimoine ; quam impudenter mentiris nebulo : {k} il y en a plus de cinquante qui refuient {l} ce diable et le détestent comme un présent poison, tels qu’ils savent avoir été de tout temps condamné par cette même Faculté, de laquelle il doit attendre la condamnation de son libelle, plus diffamatoire pour lui que pour ceux qu’il prétend noircir d’injures.

52. Me Étienne Bachot, qui est à plus qui lui donne, {m} a trop grande affinité avec ce Gazetier pour lui avoir dénié sa signature ; mais restant encore un pygmée, pour n’avoir monté sur la Reine de Suède pour voir de plus loin ; {n} son approbation, et < celle > de trois douzaines de sa taille, ne sont et ne veulent donner aucun aveu ni autorité à ce Libelle, telle que lui auraient donné des Riolan, des Guérin, des Bouvard, des Perreau, des Merlet, des Moreau, des Charpentier, des Guillemeau, des Brayer, des Piètre. {o} Ce grand nombre qu’ils ont mendié de tels approbateurs peut imposer et tromper les étrangers, comme aussi la postérité. Et c’est en ce point que Renaudot et Guénault sont très criminels envers la Faculté de Paris. […]

54. Me Armand-Jean Mauvillain paraît être homme sans fiel ni désir de vengeance, ne témoignant aucun ressentiment contre cette drogue infernale qui a tué son beau-père, le sieur Cornuti ; mais au contraire, il semble la chérir, d’autant que l’ayant ôté du nombre des vivants, il lui est arrivé refusion de pratiques. {p} […]

56. Me Germain Hureau, élégant truchement {q} de l’antimoine, l’a fait parler à orthodoxe et lui reproche qu’il est mal reconnaissant de ce qu’il ne l’a point tué ainsi que plusieurs autres ; ce jeune étourdi a beaucoup davantage besoin d’ellébore que celui auquel il le propose, puisqu’il n’a aucun ressentiment contre ce venin qui a été plus pernicieux à son oncle Cornuti qu’à orthodoxe ; et on assure, et je le crois, qu’il a donné plus de louanges à l’antimoine que de De profundis pour son oncle, à qui ce bon remède a rompu le col. […]

On espère que tels manquements et vices ayant été considérés par ces Certificateurs, la plus grande partie d’iceux auront l’insigne déplaisir de voir leurs noms imprimés au commencement de cet infâme venin, qu’ils n’approuvent < pas > par leurs signatures, mais seulement < par > l’usage de l’antimoine ; et ils désavoueront avec nous cet avorton de la Faculté de Paris, laquelle a toujours porté honneur et révéré l’antiquité, qu’il méprise et injurie sottement. » {r}


  1. Eusèbe Renaudot, fils de Théophraste, éditeur de la Gazette (mort en 1653, v. note [6], lettre 57).

  2. L’Antimoine justifié… d’Eusèbe Renaudot (Paris, 1653, v. note [21], lettre 312), contenant le Sentiment des 61 docteurs régents de la Faculté de médecine de Paris en faveur de l’antimoine (v. supra note [3]).

  3. Trente-huit des 61 signeurs de l’antimoine appartenaient à la seconde moitié du tableau des docteurs régents de la Faculté (reçus après 1632) ; il en comptait un total de 111. L’objet de la Légende était de montrer que les 61 rebelles étaient les moins qualifiés d’entre eux et qu’ils avaient adhéré à la pétition sans bien se rendre compte de ce qu’ils faisaient : il ne s’agissait donc que d’une majorité factice.

  4. Certains.

  5. V. note [13], lettre 35, pour René Chartier, le père de Jean, auteur du Plomb sacré… (Paris, 1651, v. note [13], lettre 271).

  6. V. notes :

    • [21], lettre 80, pour François Guénault, meneur des antimoniaux parisiens ;

    • [21], lettre 312, pour la dédicace qu’Eusèbe Renaudot lui a adressée en tête de son Antimoine justifié ;

    • [2], lettre 276, pour Claude Germain, docteur régent antistibial de la Faculté de médecine de Paris, auteur d’Orthodoxe ou de l’abus de l’antimoine… ;

    • [13], lettre 164 et [4], lettre 328, pour les accusations qui couraient contre François Guénaut d’avoir causé les morts de son neveu, Pierre Guénault, et de sa propre fille, Catherine Guénault-Gamare, en leur faisant prendre du vin émétique.

  7. « qui boite toujours boitera ». V. note [27], lettre 155, pour Élie Béda des Fougerais et sa boiterie.

  8. « tempérament à la fois acide et non acide ».

  9. Meneur.

  10. V. note [16], lettre 104, pour Isaac Renaudot, frère aîné d’Eusèbe.

  11. « Avec quelle impudence mens-tu, vaurien ! »

  12. Refuir : « terme de vénerie, qui se dit des cerfs et autres gibiers qui fuient devant les chasseurs ; souvent le cerf ruse et refuit sur soi, c’est-à-dire retourne sur ses pas » (Furetière).

  13. « qui appartient au plus offrant » ; v. note [33], lettre 336, pour Étienne Bachot, auteur, en 1652, d’une longue épître dédicatoire à la reine Christine de Suède.

  14. Célèbre pour son physique ingrat, Christine de Suède était de petite taille, comme devait apparemment l’être aussi Bachot.

  15. Soit tous les grands noms du parti dogmatique et antistibial de la Faculté de médecine de Paris, où celui des Patin (Guy et Robert) fait figure de surprenant absent.

  16. « report de clientèle » d’un médecin sur un autre. V. notes [16], lettre 336, pour Armand-Jean de Mauvillain, et [5], lettre 81, pour son beau-père, Jacques-Philippe Cornuti, mort le 23 août 1651.

  17. Interprète ; v. note [24], lettre 237, pour Germain Hureau, neveu de Jacques-Philippe Cornuti et auteur d’une Epigramma contre Orthodoxe (v. note [10], lettre 342).

  18. Le style, le mordant et l’esprit de la Légende de l’antimoine ne ressemblent décidément pas à ceux de Guy Patin.

    V. note [55], lettre 348, pour 32 portraits supplémentaires dans les notules de l’avis qu’Isaac Cattier a donné sur la Légende (Seconde Apologie de Montpellier [Paris, 1653] qui lui est attribuée).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 5 décembre 1653, note 11.

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(Consulté le 19/04/2024)

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