À Charles Spon, le 26 mai 1654
Note [11]
Isaac Cattier, natif de Paris, était allé étudier la médecine à Montpellier ; inscrit en décembre 1636, il y avait été reçu docteur en juin 1637. Il était ensuite revenu à Paris paré du titre de médecin ordinaire du roi. Guy Patin l’a dit âgé d’environ 45 ans en 1654 et médecin du Bureau d’adresse de Théophraste Renaudot (O. in Panckoucke et Dulieu). Cattier a publié divers traités de médecine (contre la poudre de sympathie [v. note [28] de « L’homme n’est que maladie » (1643)], sur la macreuse, le rhumatisme, etc.) et pris part à la querelle entre les médecins de Paris et de Montpellier dans sa Μορολογια contre René Moreau (1646, v. note [4], lettre 137), et dans sa Seconde Apologie… (1653, v. note [54], lettre 348).
Dans ses Curieuses recherches sur les Écoles en médecine de Paris et de Montpellier… (1651, v. note [13], lettre 177), Jean ii Riolan avait écrit (pages 12‑13) :
« Partant la France était bien misérable, et malheureuse, avant qu’elle eût acquis la ville de Montpellier, d’où lui vient tout le secours qu’elle reçoit dans ses maladies, par les médecins de Montpellier, qui étaient en la naissance de l’École, arabes, mahométans, juifs ; puis sont devenus aragonais, espagnols, et ont continué longtemps après la réduction de la ville à l’obéissance du roi, à posséder et gouverner l’École de médecine. »
Cattier (ou Siméon Courtaud, v. note [42], lettre 442) lui répondait dans sa Seconde Apologie, (section lviii, Honteux d’être sortis des juifs et mahométans, pages 83‑84) :
« L’idolâtre et le superstitieux donnent de la compassion et des mouvements de douceur et d’humanité pour leur salut, mais le savant donne du désir de se communiquer, d’apprendre et de se connaître. C’est la seule cause de tant de voyages des plus savants en tous pays ; ceux du Ponant allant pour apprendre de ceux du Levant, et ceux du Nord de ceux du Midi. La reine de Saba, Arabesque, vint dans la Palestine pour y voir et apprendre de Salomon, et les premiers philosophes grecs furent apprendre des Égyptiens et des Juifs. La science de la Nature n’est point une plante ni une influence particulière à quelque climat, elle est partout où se trouvent la Nature et la Raison. L’Américain et le cannibale en est autant capable que le Grec et le Romain, et le barbare autant que l’éloquent. La langue étrange fait le barbare, mais la science demeure toujours nette et aimable partout. La vérité, de quelque bouche qu’elle sorte, est toujours vérité : entre les Scythes, elle était toujours vénérable en la parole d’Anacharsis. {a} La différence de croyance n’apporte ni division, ni aigreur entre les philosophes, moins encore de la honte. Aucune religion n’a jamais été mise entre les vices, mais bien entre les erreurs, parce que le vice est tout de la nature défaillante ou malade. Mais la religion, si elle est vraie, elle est toute de la grâce, et la fausse est toute de la fantaisie erronée de l’homme. Pourquoi donc avoir honte pour une différente religion ? Il nous faudrait chasser toute l’ancienneté de nos cabinets pour ce que nous ne pourrions recevoir qu’avec notre honte. Il faudrait jeter hors Aristote, Philon et Josèphe, et les livres sacrés. Non seulement la différence de la croyance, mais aussi le vice particulier à quelque nation ou à quelque personne ne peuvent point violer la bonne intelligence des naturalistes, laquelle consiste en la contemplation d’une même fin, la vérité de la Nature. […]
S’il fallait avoir honte parce que les Juifs et les Arabes sont de diverse croyance, il ne faudrait point apprendre d’eux aucune chose, ni contracter avec eux une amitié particulière. […] Ne criez donc point tant contre eux, vu que vous-même tombez tous les jours entre les mains de ceux que vous abominez tant. Car vous n’oseriez nier qu’à tous moments vous n’ayez un commerce bien particulier avec les païens et idolâtres, et que par leur aide et entremise vous ne possédiez tout le bien et l’honneur duquel vous jouissez. S’il faut avoir honte et en exécration ceux qui sont de contraire ou diverse croyance, cela combat l’humanité en quelque façon. »
Difficile aujourd’hui, après cela, de ne pas trouver les « coquins et cocus » de Montpellier plus aimables que les dogmatiques engoncés de Paris.