À Charles Spon, le 13 janvier 1655

Note [14]

Soteria pro Petro Gassendo, huius ætatis philosophorum principe, recens e peripneumonia recreato.

[Sotérie {a} pour Pierre Gassendi, prince des philosophes de ce siècle, récemment guéri d’une pneumonie]. {b}


  1. « Nos poètes chrétiens appellent sotéries les pièces de vers latins qu’ils font pour remercier Dieu ou les saints de les avoir conservés en quelque occasion. Le P. Petau ayant été délivré par l’intercession de sainte Geneviève d’une grande maladie, fit à l’honneur de cette sainte la belle pièce de vers que nous avons sous le nom de Sotérie » (Trévoux).

  2. Lyon, Guillaume Barbier, 1654, in‑fo de 10 pages, sans nom d’auteur.

Les vers à la gloire de Guy Patin se trouvent aux pages 8‑9 :

Circunstant lecto interea, certantque medentum
Turba sagax, avidi tantæ incubuisse saluti,
Spemque metumque inter dubii : Cum clarus ab arte
Phœbæa, (sanctæ forte hic faciebat Hygeæ)
Extrema exclamat subito
Patinus ab aula,
Macti animis ! Et sunt (mihi credite) Numina cœlo ;
Audimur socii ; risit mihi dexter Apollo,
Et subiens auras hæc verba novissima dixit :
Invidiæ est dandus sanguis ; quod pectora vincat
Omnia solerti
Gassendus pectore, Livor
Vrit edax, pestis primum hæc vitalibus hæsit
Frigida, sed rabido post paulo accensa furore
Excitat in venis incendia ; sensit Alumni
Pene sibi incautæ repsisse oblivia Virtus,
Utque loco cedat Stygis implacabile monstrum,
Invidiæ est dandus sanguis, sic Numina poscunt.
Vix bene desierat
Patinus, Apollinis arma
Expediunt moniti, paterisque capacibus instant
Liventem penitus venis haurire cruorem.
Tum lapsæ redeunt vires, vigor ore revixit
Pristinus, adspirant iterum vitalibus auræ
Follibus. O superi ! quot pectora respirare
Unus dat vacuo liber spiramine pulmo
.

[Pendant ce temps, les médecins se pressent en foule autour du lit ; partagés entre l’espoir et la crainte, ils rivalisent, jaloux d’avoir à veiller sur la santé d’un si éminent personnage ; quand soudain Patin, illustre en l’art de Phébus (peut-être était-il grand prêtre la sainte Hygie), {a} s’écrie depuis le fond de la salle, « Haut les cœurs ! » Et voilà (croyez-moi) des injonctions qui viennent du ciel. « Mes frères, nous voici exaucés ! L’habile Apollon m’a souri. » Et suspendant tous les souffles, il a prononcé ces paroles tout à fait nouvelles : « il faut donner du sang à la jalousie ; sous prétexte que l’habile intelligence de Gassendi surpasse tous les autres esprits, une malignité vorace le consume. Cette peste froide s’est emparée de ses parties vitales, mais bientôt embrasée par une folle furie, elle allume des incendies dans les vaisseaux ; elle engloutit sans résistance la vertu imprévoyante, oublieuse de son disciple. Pour que le monstre implacable du Styx lâche pied, il faut donner du sang à la jalousie, ainsi l’exigent les dieux. » Patin l’avait à peine dit qu’il prépare ses armes d’Apollon avisé, pour vider promptement dans de profondes coupes tout le sang livide qui est à l’intérieur des veines. Alors les forces se relèvent de leur effondrement, la parole retrouve sa vigueur d’antan, le souffle vital revient aux poumons. Ô dieux, comme seul un poumon que sa bronche dégagée a libéré permet à la poitrine de respirer !] {b}


  1. Phébus est l’autre nom d’Apollon, dieu de la médecine (v. note [8], lettre 997) ; Hygie, fille d’Esculape, est la déesse de la santé.

  2. Je remercie Yves Capron pour son aide à traduire ces vers fort alambiqués.

L’auteur de cette pièce est le jésuite Jean Bertet (Tarascon 1622-Paris vers 1693). Une lettre de Balthazar de Monconys, {a} à Gassendi, datée de Lyon le 22 décembre 1654, parle de lui à mots couverts : {b}

« Je ne saurais vous remercier plus agréablement des vers que vous m’avez envoyés sur votre convalescence, de la façon de M. Du Périer, {c} qu’en vous faisant part de ceux que le Père B. a composés sur le même sujet, et que Barbier a imprimés. Il ne veut pas qu’on sache qu’il en est l’auteur, pour des raisons que vous pouvez conjecturer. {d} Il m’a dit qu’il vous écrirait, et m’a chargé cependant de vous assurer qu’il n’est personne qui ait été plus touché de votre mal et qui ait ressenti une joie plus sincère du rétablissement d’une santé dont dépend celle de la philosophie. Vous communiquerez s’il vous plaît ces vers à M. de Montmor, {e} à la censure duquel il les soumet aveuglément. Il vous aime avec passion et ne parle de vous qu’avec des transports qui témoignent l’estime qu’il fait de votre mérite. » {f}


  1. V. note [52], lettre 420.

  2. Journal des voyages… (Lyon, 1666, v. note [6], lettre 825), troisième partie page 33.

  3. V. note [12], lettre 386.

  4. V. note [17], lettre 399, pour les vers litigieux que Bertet préféra modifier.

  5. V. note [12], lettre 337.

  6. La version originale de la Soteria du P. Bertet est imprimée dans les pages suivantes.

Entré chez les jésuites en 1637, Bertet enseignait alors à Lyon. Devenu plus tard préfet des études d’Emmanuel-Théodore de Bouillon, futur cardinal de Bouillon, Bertet vint à Paris en 1671 dans la maison professe de sa Société. En 1681, son intérêt curieux pour les horoscopes de l’empoisonneuse La Voisin déplut profondément au roi et il eut ordre de sortir de la Compagnie. Il se retira au monastère bénédictin de Sauze d’Oulx en Piémont (Moréri 1749, supplément, tome premier, Corrections et additions, page 25). Son principal ouvrage littéraire a été la monumentale édition des Opera omnia [Œuvres complètes] du P. Théophile Raynaud en 19 volumes in‑fo (Lyon, 1665, v. note [6], lettre 736). Dans ses lettres ultérieures, Patin a plusieurs fois parlé du P. Bertet avec respect et affection. Il a même correspondu avec lui, mais il n’est rien resté de leurs échanges.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 13 janvier 1655, note 14.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0387&cln=14

(Consulté le 19/04/2024)

Licence Creative Commons "Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.