À André Falconet, le 30 août 1655
Note [5]
« Nous donnons parole quand nous trompons, car c’est dans notre nature de tromper, et quand nous trompons, nous ne donnons rien sinon notre parole. » {a}
Ces deux vers latins étaient dirigés contre Nostradamus (Michel de Nostre-Dame, Saint-Rémy-de-Provence 1503-Salon 1566), docteur en médecine de la Faculté de Montpellier. Ami de Jules-César Scaliger, il alla d’abord exercer la médecine à Agen, puis s’installa à Salon et publia ses premières Centuries (1555) qui lui valurent un renom immédiat et les faveurs de la reine Catherine de Médicis.
On y répliqua au xviie s. par une « Réponse au 2e chef de la calomnie qui le voulait le faire tenir pour un rêveur » : {a}
« Nous n’aurons pas beaucoup à démêler avec ces plus modérés, puisque nous avons déjà donné la cause qui le fit ainsi mépriser des uns et des autres ; savoir est l’avarice {b} des libraires et imprimeurs qui empruntèrent son nom pour le débit plus grand de leurs faux almanachs. C’est pourquoi, si Jodelle, fondé sur cette cause, fit le distique latin si mordant, je lui en oppose un autre qui doit être plus reçu, puisque sa pointe n’est pas seulement agréable, mais encore très véritable.
Nostra damus, cum verba damus, quæ Nostradamus dat,
Nam quæcumque dedit, nil nisi vera dedit.En français :
“ Nous disons toujours vrai parlant par Nostradame,
Car tout ce qu’il a dit est pure vérité,
Accusez-vous, menteurs, traitez cette belle âme
Comme Benjamin de la Divinité. ” {c}C’est la contrepointe{d} que je fais au distique de Jodelle, et que je mets au frontispice du livre. Je lui en fournirai une meilleure :
Vera damus cum verba damus, quæ Nostradamus dat,
Sed cum nostra damus, nil nisi falsa damus.En français :
“ Nous disons toujours vrai parlant par Nostradame,
Quand c’est nous qui parlons, nous mentons avec blâme. ” » {e}
- Vers du poète gantois Caerle Utenhove (v. infra note [7]), attribués parfois à Théodore de Bèze (v. note [28], lettre 176) ou au dramaturge Étienne Jodelle (Paris 1532-ibid. 1573), poète de la Pléiade.
- § xi, ages 49‑50 de l’ouvrage anonyme, attribué au médecin Étienne Jaubert, intitulé : Éclaircissement des véritables Quatrains de Maître Michel Nostradamus, docteur et professeur de médecine, conseiller et médecin ordinaire des rois Henri ii, François ii et Charles ix, grand astrologue de son temps, et spécialement pour la connaissance des sciences futures (sans lieu ni nom, 1656, in‑12 de 458 pages.
- C’est-à-dire la cupidité.
- Les deux derniers vers transforment le distique en quatrain et désignent Nostradamus comme le Benjamin (fils préféré) de Dieu.
- Le contrepoint.
- Plus littéralement : « Nous disons le vrai quand nous donnons les présages de Nostradamus, mais quand nous donnons les nôtres, nous ne disons rien que le faux. »
Dans les brouillons manuscrits des Mémoires historiques qu’on lui attribue, Guy Patin (ms BnF fr. no 2803) a consacré une courte entrée à Nostradamus (fos 95‑96) où il ajoutait un commentaire au distique d’Utenhove :
« Michel de Nostradamus portait un nom qui n’était qu’un sobriquet, son vrai nom était Michel Crespin. {a} Il était médecin en Provence en une ville nommée Salon de Craux. Il y en a qui le tiennent pour prophète ; pour moi, je crois qu’il était fou car toutes les prédictions qu’il a faites seront aussi vraies dans dix mille ans qu’aujourd’hui et chacun les explique comme il l’entend ; joint que les imprimeurs en ont bien supposé et qu’on lui attribue sans qu’il en soit l’auteur […]. »
- Le rédacteur de ce propos se laissait ici tromper par Antoine Crespin, l’un des auteurs qui usurpèrent au xvie s. le nom de Nostradamus ; Gassomet était le véritable nom d’origine de la famille Nostradamus.