À Hugues II de Salins, le 31 octobre 1656

Note [2]

La mentagra (mot latin que Littré a adapté en mentagre) est une maladie aujourd’hui énigmatique de la peau.

D. J., L’Encyclopédie, dit du mentagra que c’était :

« une espèce de dartre {a} lépreuse de mauvaise qualité, qui selon le rapport de Pline (livre xxvi, § j) parut pour la première fois à Rome sous le règne de Claude ; {b} elle commençait par le menton, d’où elle prit son nom, s’étendait successivement aux autres parties du visage, ne laissait que les yeux de libres et descendait ensuite sur le cou, sur la poitrine et sur les mains. Cette maladie ne faisait pas craindre pour la vie, mais elle était extrêmement hideuse ; Pline, de qui nous tenons ce récit, ajoute que les femmes, le menu peuple et les esclaves n’en furent point atteints, mais seulement les hommes de la première qualité. On fit venir, continue cet auteur, des médecins d’Égypte qui est un pays fertile en semblables maux. La méthode qu’on suivait généralement pour la cure était de brûler ou de cautériser en quelques endroits jusqu’aux os pour éviter le retour de la maladie ; mais ce traitement faisait des cicatrices aussi difformes que le mal était laid. Galien parle d’un Pamphile qui guérissait cette dartre sans employer les cautères et qui gagna beaucoup d’argent par ses remèdes. Manilius Cornutus, gouverneur d’Aquitaine, composa avec le médecin qui entreprit de le guérir pour une somme marquée dans Pline de cette manière, H‑S , cette ligne mise au-dessus de deux C, {c} indiquerait qu’il faut entendre 200 000 grands sesterces qui font environ deux millions de livres. Mais comme cette somme paraît follement excessive pour avoir été le salaire de la guérison d’une simple maladie, où d’ailleurs la vie ne se trouvait point en danger, le P. Hardouin a sans doute raison de croire qu’il faut entendre seulement 200 sesterces, c’est-à-dire environ 20 000 livres, ce qui est toujours une récompense magnifique. On prétend que sous le pontificat de Pélage ii, {d} dans un été qui suivit l’inondation du Tibre, il parut à Rome une espèce de dartre épidémique que les médecins n’avaient jamais vue et qui tenait des caractères de la mentagra dont Pline a donné la description ; mais il ne faut pas s’y tromper, la maladie qui ravagea Rome sous le pape Pélage, et dont lui-même périt, était une peste si violente que souvent on expirait en éternuant ou en baillant ; c’est de là qu’est venue, selon quelques historiens, la coutume de dire à celui qui éternue Dieu vous bénisse, et celle de faire le signe de la croix sur la bouche lorsqu’on baille, coutume qui subsiste encore parmi le petit peuple ».


  1. L’empereur Claude a régné sur Rome de 41 à 54 (v. note [6], lettre 215).

  2. V. la triade 74 du Borboniana manuscrit (notule {c}, note [39]), pour la définition de la dartre ou lichen.

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  4. Pape de 579 à 590.

Le passage de Pline sur la mentagra est au début du livre xxvi (chapitres i‑iii) de l’Histoire naturelle (Littré Pli, volume 2, page 196) :

Sensit et facies hominum novos, omnique ævo priore incognitos, non Italiæ modo, verum etiam universæ prope Europæ, morbos : tunc quoque non tota Italia, nec per Illyricum, Galliasve, aut Hispanias magno opere vagatos, aut alibi, quam Romæ, circaque : sine dolore quidem illos, ac sine pernicie vitæ : sed tanta fœditate, ut quæcumque mors præferenda esset.

Gravissimum ex his lichenas appellavere Græco nomine : Latine, quoniam a mento fere oriebatur, joculari primum lascivia (ut est procax natura multorum in alienis miseriis), mox et usurpato vocabulo, mentagram : occupantem in multis totos utique vultus, oculis tantum inmunibus, descendentem vero et in colla pectusque ac manus, fœdo cutis furfure.

Non fuerat hæc lues apud majores patresque nostros. Et primum Tiberii Claudii Cæsaris principatu medio irrepsit in Italiam, quodam Perusino equite Romano quæstorio scriba, quum in Asia apparuisset, inde contagionem ejus importante. Nec sensere id malum feminæ, aut servitia, plebesque humilis, aut media, sed proceres veloci transitu osculi maxime : fœdiore multorum qui perpeti medicinam toleraverant, cicatrice, quam morbo. Causticis namque curabatur ; ni usque in ossa corpus exustum esset, rebellante tædio : adveneruntque ex Ægypto, genetrice talium vitiorum medici, hanc solam operam afferentes, magna sua præda. Siquidem certum est, Manilium Cornutum e prætoriis legatum Aquitanicæ provinciæ, H‑S  elocasse in eo morbo curandum sese
.

« Le visage même de l’homme a éprouvé des maladies nouvelles et inconnues à toute l’Antiquité, non seulement en Italie, mais presque dans l’Europe entière et alors même ces maladies ne se sont guère répandues dans l’Italie, l’Illyrie, les Gaules et l’Espagne, ni ailleurs ; mais elles ont sévi à Rome et dans les environs. Elles n’étaient ni dangereuses our la vie ni douloureuses ; mais elles étaient si dégoûtantes, qu’on eût préféré la mort, sous quelque forme qu’elle se fût présentée.

La plus insupportable de toutes fut celle qu’on appelle d’un nom grec, lichen ; comme elle commençait généralement par le menton, les Latins, par plaisanterie d’abord (tant le commun des hommes est porté à plaisanter des maux d’autrui) lui donnèrent le nom de mantagre, dénomination qui est restée. Chez beaucoup de malades, elle occupait le visage entier à l’exception seulement des yeux ; mais elle descendait aussi sur le cou, la poitrine et les mains, en laissant sur la peau de sales croûtes farineuses.

Ce fléau n’était point connu de nos aïeux ni de nos pères ; c’est vers le milieu du règne de l’empereur Tibère qu’il se glissa pour la première fois en Italie. Il fut apporté d’Asie par un certain chevalier romain de Pérouse, greffier du questeur. Cet homme en fut l’introducteur. Le mal gagna, par les femmes, les esclaves, le bas peuple ou même la classe moyenne ; mais il attaqua les grands, se propageant surtout par le contact rapide d’un simple baiser. Plusieurs de ceux qui avaient pu se résoudre à souffrir l’application des remèdes en conservaient des cicatrices plus hideuses que le mal. On le traitait en effet par les caustiques ; et si l’on ne cautérisait pas jusqu’aux os, le mal repullulait. Il vint alors d’Égypte, mère d’affections semblables, des médecins qui n’avaient que cette spécialité, et qui en firent bonne curée. Il est certain que Manulius Cornutus, personnage prétorien, lieutenant de la province d’Aquitaine, s’engagea à payer pour le traitement deux cent mille sesterces. »

L’herpès du visage (v. note [16], lettre 524) semblerait être le diagnostic moderne le plus probable de la mentagra.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Hugues II de Salins, le 31 octobre 1656, note 2.

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(Consulté le 19/04/2024)

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