À Charles Spon, le 22 novembre 1656

Note [8]

Antoine Le Maistre (Paris 1608-Port-Royal-des-Champs 1658) était fils de Catherine Arnauld (1590-1651), sœur d’Antoine, le Grand Arnauld (v. note [46], lettre 101). Il avait reçu, sous la direction de son grand-père, Antoine i Arnauld, avocat au Parlement (v. note [17], lettre 433), une forte et solide instruction, et dès l’âge de 20 ans, il avait débuté avec un tel éclat au barreau de Paris qu’il se plaça aussitôt au premier rang auprès de Patru (v. note [5], lettre 597). Peu après, il avait été nommé conseiller d’État et avocat général au parlement de Metz, mais il refusa ces fonctions et continua à plaider jusqu’en 1637. À cette époque, à la suite d’un mariage manqué, et à l’instigation de Saint-Cyran (mort en 1643, v. note [2], lettre 94), il avait renoncé tout à coup au monde pour aller s’enfermer dans la retraite de Port-Royal.

À partir de ce moment, comme les membres de cette solitude, il partagea son temps entre des exercices de piété et l’étude, fit des traductions, composa des ouvrages religieux, travailla avec son frère Le Maistre de Sacy à la traduction du Nouveau Testament et fournit des documents à Pascal pour ses Provinciales. À Port-Royal, où quatre de ses frères se retirèrent avec lui, Le Maistre exerça une grande influence, enflammant sans relâche l’ardeur et le zèle de tous. Ou l’avait surnommé le Père des solitaires (G.D.U. xixe s.).

Guy Patin annonçait la parution des :

Plaidoyers et harangues de Monsieur Le Maistre, ci-devant avocat au Parlement, et conseiller du roi en ses Conseils d’État et privé. Donnés au public par M. Issali {a} avocat au Parlement. {b}


  1. Jean Issali (1620-1707), avocat janséniste, ami et exécuteur testamentaire de Le Maistre.

  2. Paris, Pierre Le Petit, 1657, in‑4o de 707 pages, contenant 38 plaidoyers.

La préface d’Issali explique la difficile genèse de ce livre, et illustre la mentalité des solitaires de Port-Royal et les abus de certains libraires parisiens :

« Tout le monde sait qu’il y a près de vingt ans que M. Le Maistre est sorti du barreau et s’est même retiré du monde, et que depuis il a mené une vie qui, l’attachant au seul service de Dieu, l’a autant éloigné de la vue des hommes que les dix années qu’il avait passées au Palais l’avaient exposé à la lumière de tout Paris et avaient fait connaître son nom en toutes les provinces du royaume.

Aussitôt qu’il eut quitté sa profession, en 1637, il fit une revue de tous ses écrits. Et après en avoir brûlé une partie, il eut la pensée de brûler aussi tous ses plaidoyers, et ce ne fut que la déférence qu’il eut pour l’avis d’un de ses amis, qu’il consulta sur ce sujet, {a} qui l’empêcha de le faire. Il croyait alors que lui seul les avait, et ainsi le sacrifice qu’il en eût fait eût été tout entier dans son esprit ; {b} mais Dieu s’est contenté de sa bonne volonté : sa providence a conservé ce qu’on voulait perdre, et nous a laissé le moyen d’étouffer aujourd’hui les copies contrefaites et falsifiées, par la vérité de l’original. […]

C’est ce qui fit qu’en 1651 on vit paraître la première édition de ses Plaidoyers, avec son nom à la tête, et un privilège du roi que deux libraires {c} avaient obtenu par surprise. ce procédé me parut, aussi bien qu’à l’auteur, d’autant plus étrange qu’il st tout à fait contre l’ordre de la société civile d’imprimer les ouvrages d’un homme vivant à son desçu {d} et sans sa participation. […] Car tout ce qu’on put faire envers ces libraires ne produisit aucun effet ; et le mal même s’accrut encore davantage, puisqu’aussitôt que cette première édition fut vendue, ils en publièrent une seconde en 1653, plus ample que la première, et qui contenait dix plaidoyers, dont il n’y en avait que huit de l’auteur ; les deux autres étaient absolument faux et il n’en avait jamais ouï parler. Ils y ajoutèrent même une longue lettre qu’on lui avait attribuée, et qu’il avait trouvé moyen de faire supprimer lorsqu’elle fut imprimée la première fois en 1652. […]

Mais il fut bien étonné quand un ou deux ans après il reçu avis qu’on en préparait une troisième, qui serait beaucoup plus ample que la seconde, parce qu’un homme de Paris offrait d’ajouter pour sa part douze nouveaux plaidoyers aux dix autres, et qu’avec ceux qu’on pourrait avoir d’un gentilhomme de Bordeaux pour qui il a plaidé autrefois, qu’on dit en avoir dix-neuf, on pourrait composer un juste volume. Ce fut alors que j’appris avec certitude que ses plaidoyers avaient été copiés il y a vingt ans, quoique sur des minutes toutes brouillées, et qu’ainsi il n’en était plus le maître. » {e}


  1. L’abbé de Saint-Cyran, selon le Dictionnaire de Port-Royal (page 537).

  2. Eût été entièrement accompli comme il l’entendait.

  3. Il y a eu quatre éditions non autorisées par l’auteur (1651-1656). La seconde (1655, dix plaidoyers et trois harangues) est signée « À Paris, chez Henry Le Gras, au troisième pilier de la grande salle du Palais, et Michel Bobin, au même pilier ». Le privilège du roi en est daté du 7 octobre 1652.

  4. Insu.

  5. Tout cela convainquit Le Maistre d’autoriser Issali à faire la première édition approuvée de ses plaidoyers : « Après s’y être opposé, il s’y est rallié ; mais tout aussitôt, dans son entourage, des voix se sont élevées pour regretter qu’il renonce au silence et à l’obscurité qu’il avait choisis » (ibid. notule {a} supra).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 22 novembre 1656, note 8.

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(Consulté le 29/03/2024)

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