À Charles Spon, le 28 novembre 1656
Note [4]
Sur Isaac de La Peyrère et ses préadamites, {a} Bayle (note C) cite les Éphémérides de Pierre de Saint-Romuald, {b} en date du 25 décembre 1655 (Partie d’été, pages 586‑587) :
« L’an même, l’évêque de Namur fit publier une censure du livre des Préadamites fait par le sieur La Peyrère, toutefois sans le nommer, parce qu’il ne s’en était pas dit l’auteur, encore qu’on ne le sût que trop. Mais il en fut bien plus maltraité pour le même sujet, étant à Bruxelles au mois de février 1656. Trente hommes armés entrèrent d’insulte dans sa chambre et l’enlevèrent ; puis l’ayant mené par de longs et divers détours des rues de Bruxelles, ils le jetèrent enfin dans la tour de Turemberg, et cela du consentement de l’archiduc Léopold. On lui dit que c’était de l’autorité de M. le grand vicaire de l’archevêque de Malines. Enfin, après avoir demeuré quelque temps en cette cour, il en sortit par le crédit de son maître M. le prince de Condé, et aussitôt par son avis, s’en alla à Rome se jeter aux pieds du pape et se soumettre entièrement à sa volonté, lui et son livre, devenant par ce moyen catholique avec tout le bon succès qu’il pouvait souhaiter. C’est ce qu’il a rapporté lui-même dans sa requête au très Saint-Père le pape Alexandre vii. »
Dans sa note G, Bayle ajoute :
« Comme je me fie peu à Pierre de Saint-Romuald, j’ai voulu savoir d’un gentilhomme de beaucoup de mérite, qui était alors chez M. le prince de Condé, si ce bon feuillant narre bien la chose. Voici la réponse qui m’a été faite. “ Je crois vous pouvoir parler juste sur ce que vous me demandez parce que M. de La Peyrère était fort de mes amis. Il fut arrêté à Bruxelles dans le temps que votre auteur rapporte ; mais l’anecdote de cela est que feu M. le Prince entra dans cette affaire par le moyen d’un jésuite son confesseur, qui aimait M. de La Peyrère, à sa religion près, dont il voulait qu’il changeât. On remua donc la machine du préadamite ; {c} on l’arrêta et on lui fit craindre les suites de ce livre s’il ne changeait de religion. Le bon homme, qui n’était pas obstiné sur ce qui s’appelle religion, en changea bientôt, {d} et son maître lui donna de quoi aller quérir son absolution à Rome, dont il ne faisait pas grand cas. Il revint chez son maître qui a toujours eu de l’amitié pour lui et qui l’a entretenu depuis son retour en France chez les pères de l’Oratoire à Paris. {e} Je l’ai vu là souvent et trouvé très peu papiste, mais fort entêté de son idée des préadamites, sur quoi il a écrit et parlé à ses amis en secret jusqu’à sa mort. Le procureur général de cet Ordre, qui est de mes amis et qui l’aimait, m’a donné à dîner avec lui et lui fit avouer qu’il écrivait toujours des livres, qu’il m’assura tout bas qui seraient brûlés dès que le bon homme serait mort. La Peyrère était le meilleur homme du monde, le plus doux, et qui tranquillement croyait fort peu de choses. ” »
- V. notes [1] et [3], lettre 93.
- Paris, 1662, v. notes [15] du Patiniana I‑3.
- V. note [6] du Patiniana 3 pour l’extension de la discussion aux peuples antipodes.
- D’origine juive (marrane), La Peyrère devint donc successivement calviniste puis catholique, ce qui faisait au moins de lui un fin connaisseur des dogmes religieux qu’il aimait secouer.
- V. note [1], lettre 29.