À Charles Spon, le 26 juillet 1658

Note [22]

De manière fort surprenante, ce propos de Guy Patin a suscité une réplique cinglante de celle qu’il visait, avec une lettre de Christine à M. [Charles] Spon, médecin qui a paru dans les Lettres de Marie Stuart, reine d’Écosse, et de Christine, reine de Suède… Publiées par Léopold Collin. Tome troisème (Paris, Léopold Collin, 1807, in‑8o), lettre lxiii, pages 235‑237 (sans lieu ni date) :

« Illustre médecin,

Patin vous écrit sur moi mille contes et mille mensonges de sa fabrique; pouvez-vous entretenir un commerce réglé avec un homme de cette sorte, qui a la sotte folie d’étourdir tout le monde de ses rêveries ?

Quelqu’un qui vous connaît de longue main m’a assurée que ce bâtard d’Esculape {a} vous avait mandé dernièrement que j’allais me faire religieuse; qu’à cette occasion, ce fou débitait gravement que la reine de Suède a déjà joué bien des personnages différents et fort éloignés de son premier état ; depuis ce temps, on l’appelait la dixième Muse du Septentrion.

Vous devez juger si je suis instruite de tout ce qui se passe. Je me flatte que vous lui ferez entendre de se comporter sagement à l’avenir, sans quoi j’y mettrai bon ordre.

Ce marpeau {b} dit tant de mal de moi que, si je n’étais pas Christine, je m’écrierais avec Catulle :

Lesbia mi ficit semper male, nec tacet unquam ;
De me, Lesbia, me dispeream, nisi amat
.

Lesbie parle si souvent mal de moi que je meurs à présent si je ne crois qu’elle m’aime. {c}

En attendant, je lui prépare une loge {d} à la première incartade qu’il fera à mon égard ; quoiqu’à Rome, j’aie des amis puissants en France ; mais je croirais m’avilir si je faisais châtier cet insolent.

Vous qui me connaissez, pouvez-vous croire que je sois femme à m’enterrer dans un cloître ! Quand cela arrivera, dites à tout venant : Christine, fille du grand Gustave, qui a préféré son repos à une couronne, qui a quitté son pays pour vivre à Rome dans une aimable oisiveté, est à présent archifolle ; ce ne sera pas ce siècle qui verra pareille sottise. Avant que l’autre commence, j’habiterai en paix, avec mes bons amis du Parnasse, le royaume des ténèbres. » {e}


  1. V. note [5], lettre 551.

  2. Marpaut : « homme qui prend toujours quelque chose » (Trévoux), mendiant, bandit, escroc, vaurien.

  3. Deux premiers des quatre vers du poème xcii de Catulle, Ad Lesbia [À Lesbie (sa maîtresse)], dont une traduction plus littérale est : « Lesbie médit de moi constamment et jamais ne tarit sur mon compte ; que je meure si Lesbie ne m’aime pas. »

  4. Loge : « petite prison séparée où l’on resserre les fous, les furieux, les enfants de famille qu’on veut châtier » (Furetière).

  5. Exhumée par l’historien lyonnais Yves Moreau (vBibliographie), qui m’en a aimablement communiqué la référence, cette lettre avait paru pour la première fois, avec d’infimes variantes, dans les Lettres secrètes [et inédites] de Christine, reine de Suède, aux personnages illustres de son siècle, dédiées au roi de Prusse (Genève, Cramer, 1761, in‑8o ; lettre xliii, pages 116‑118). Aucune des deux éditions n’en cite la source, ce qui peu laisser planer un doute sur son authenticité ; mais il ne s’agit probablement pas d’un texte apocryphe forgé à partir d’une édition des lettres de Patin, puisque la présente, qui attaque Christine de Suède (morte en 1689), n’a, à ma connaissance, été imprimée pour la première fois qu’en 1846 par Joseph-Henri Reveillé-Parise (v. supra note [a]). On se perd en conjectures sur la manière dont les mots de Patin à Spon ont bien pu arriver sous les yeux courroucés de l’ancienne reine.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 26 juillet 1658, note 22.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0532&cln=22

(Consulté le 18/04/2024)

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