À André Falconet, le 17 février 1660

Note [3]

« Luxembourg » était le palais parisien de Monsieur, Gaston d’Orléans, frère cadet de Louis xiii. Monsieur était mort à Blois le 2 février 1660, ne laissant que des filles et sans trop faire pleurer les siens. Fille unique de son premier mariage, la Grande Mademoiselle était alors auprès du roi en Provence et a laissé un souvenir amer sur les circonstances de ce deuil (Mlle de Montpensier, Mémoires, deuxième partie, chapitre ii, pages 427‑433) :

« < Monsieur > fit, dans le peu de temps que le relâche de sa maladie lui donna, toutes les choses qu’un bon chrétien doit faire. Depuis quelques années, il songeait à la mort ; la mauvaise santé, l’exil et beaucoup d’esprit font revenir les gens, à de certains âges, et l’on doit dire, à la louange de Mme de Saujon, {a} qu’elle avait fort contribué à lui faire songer à son salut. Il allait souvent à l’église, ne manquait ni vêpres, ni grand-messe, ni autres prières, ne voulait plus que l’on jurât devant lui ni chez lui, il s’était désaccoutumé de cette méchante coutume. Il donna sa bénédiction à mes sœurs ; tout le monde était si troublé là que l’on ne songea point à la lui demander pour moi et il n’en parla pas.

[…] Il reçut ses sacrements à midi, dont il mourut sur les quatre heures. Madame ne s’y trouva pas. Comme son dîner était porté et que ses femmes allaient et venaient dans l’antichambre, où tout le monde était à genoux pleurant, on pouvait croire qu’elle aurait dîné dans ce temps, mais je crois que, quelque sujette qu’elle soit aux vapeurs où le manger est bon, en pareille occasion il serait mortel, et que ni elle ne l’aurait pas voulu ni personne n’aurait osé par toutes sortes de raisons le lui proposer. On emporta le corps de Monsieur à Saint-Denis {b} avec quelques gardes et quelques aumôniers, peu d’autres officiels. Cela se fit sans pompe ni dépense. Quand on l’ordonne, c’est bien fait d’obéir et ce serait de bons sentiments à ceux qui meurent ; mais pour les vivants, je ne sais si ces sentiments sont plus méritoires devant Dieu que devant les hommes. Pour moi, si j’y avais été, je crois que tout se fût passé d’une autre manière.

[…] On apprit que Madame, au lieu de faire sa quarantaine {c} à Blois dans une chambre noire à l’ordinaire, sans sortir, était partie, je crois, dix ou douze jours après la mort de Monsieur (je ne me souviens pas précisément du temps, mais enfin avant les quarante jours) pour aller à Paris et qu’elle y était allée inconnue, c’est-à-dire dans un de ses carrosses. Je ne sais même s’il était encore noir ou si elle n’avait point craint que la senteur ne lui en eût fait mal ; mais cela n’aurait pas été plus extraordinaire que ce qui remplissait la voiture. Elle était en portière avec son médecin, masquée d’une manière si différente de celle des autres qu’il ne fallait l’avoir vue qu’une fois pour la reconnaître. Il y avait dans le carrosse un apothicaire, son chirurgien et deux femmes de chambre. Elle alla coucher à Orléans, et traversa la ville, en arrivant et repartant de cette manière. Comme c’était la principale ville de l’apanage de Monsieur, tout le monde la connaissait. Sa vue causa autant de douleur que d’étonnement. Mes sœurs arrivèrent avec dignité dans un carrosse et le reste du voyage se passa de même jusqu’à Paris, où elle arriva de cette manière. Elle fit en arrivant détendre mon appartement et s’y planta, et ses filles dans le sien, comme si je n’avais jamais dû revenir, sans me faire faire aucune civilité. Quand j’appris cela, je ne fus pas très modérée dans les premiers mouvements ni sur ce que je dis à tous ceux qui m’en parlèrent. J’en parlai à la reine et à M. le cardinal de la même manière, qui me témoignèrent avoir sur cela les sentiments que je pouvais désirer. Je ne me souviens plus si je lui écrivis, mais si je le fis, ce ne fut pas obligeamment ni tendrement. »


  1. Maîtresse de Gaston.

  2. V. note [27], lettre 166.

  3. Deuil avec retrait complet du monde pendant les quarante premiers jours suivant la mort d’un parent très proche.
  4. .


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 17 février 1660, note 3.

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(Consulté le 16/04/2024)

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