À Claude II Belin, le 24 mai 1660

Note [7]

Johann Jakob Wepfer (Schaffhouse 1620-1695) {a} avait étudié pendant huit ans à Bâle et à Strasbourg, visité les universités d’Italie, puis pris le bonnet de docteur en 1647 à Bâle. Plusieurs princes d’Allemagne l’attachèrent à leur service (Jourdan in Panckoucke). Deux de ses ouvrages sont remarquables :

Les rééditions largement augmentées des Observationes au xviiie s. {a} s’ouvrent sur une biographie de J.J. Wepfer écrite par son gendre, Johann Konrad von Brunn (ou Brunner, 1653-1727), archiatre de l’électeur palatin. Intitulée Memoria Wepferiana, elle donne sa mort {b} pour le résultat d’une insuffisance cardiaque très avancée. {c} Fait exceptionellement rapporté en détail à l’époque, {d} l’autopsie a ouvert et exposé la totalité de l’aorte et des origines de ses branches (page XX vo) :

Tandem aortam exemptam integumentis liberavimus. àc dextre mundavimus, ad comtemplandam illam penitius, quin ad interiora quoque lustranda incidimus, non citra vim, forfice. Intus nativus ille candor atque lævitas periit, et quamvis non intercepta penitus, scabra tamen horrida et salebrosa hæc sanguinis via fuit, variisque inæqualittaibus ac protuberantiis osseis difficilis, circa exortum cœliacæ et infra renales tunica interior disrupta, lacera ac fracida fuit, non citra ruptionis metum, colorisque obscuri hinc inde. Utrum vi et evulsione, an erosione factum fuerit, ambegimus, hæc omnia, ut eo melius elicerent, iconismo illustrare operæ pretium duximus.

[Enfin, nous avons libéré l’aorte en la détachant de ses enveloppes et l’avons adroitement nettoyée, pour l’examiner plus complètement, puis, pour en inspecter l’intérieur, nous l’avons ouverte avec des ciseaux, et non sans effort. Le dedans de ce vaisseau sanguin avait perdu son aspect blanc et lisse, et bien qu’il n’eût pas parout disparu, il était raboteux, hérissé et rocailleux, défiguré par de nombreuses et diverses inégalités et protubérances osseuses ; autour de l’ostium de l’artère cœliaque et sous les rénales, la tunique interne était creusée, lacérée et gâtée, non sans faire craindre une rupture, là où sa couleur était sombre. Nous nous demandions si tout cela s’était fait par force et arrachement ou par érosion, et pour mieux en rendre compte, nous sommes donné la peine de l’illustrer d’un dessin.].


  1. J’ai ici recouru aux :

    Joh. Jacobi Wepferi, Diversor. S.R.I. Elector. et Principum, dum viveret, Archiatri, Reipubl. Scaphusianæ Physici Ordinarii, Academiæ naturæ Curiosorum Adjuncti d. Machaonis iii. Observationes Mecio-Practicæ, de Affectibus capitis internis et externis. Nunc demum publici Juris redditæ Studio et Opera Nepotum, Bernhardini Wepferi, Sereniss ? Princip. Aur. Archiatri, et Georgii Mich. Wepferi, M.D.

    [Observations médico-pratiques {i} sur les affections de la tête, recueillies par Joh. Jakob Wepfer qui, de son vivant, a été archiatre de divers électeurs et princes du saint Empire romain, médecin ordinaire de la République de Schaffhouse, mémbre de l’Académie des Curieux de la Nature, sous le nom de Machaon iii. {ii} Mises aujourd’hui pour la première fois à la disposition du public par le travail et les soins de ses neveux, {iii} Bernhardinus Wepfer, archiatre du sérénissime prince d’Orange, et Georgius Mich. Wepfer, docteur en médecine]. {iv}

    1. Au nombre de 222, touchant à l’ensemble de la pathologie céphalique.

    2. V. notes [1] de la Biographie de Philipp Jakob von Lewenhaimb pour cette académie allemande (Academia Leopoldina), et [4], lettre 663, pour le pseudonyme de Machaon que, suivant sa coutume, elle avait donné à J.J. Wepfer.

    3. Qui pouvaient être les fils de Johann Wepfer.

    4. Schaffhouse, Joh. Adamus Zieglerus, 1727, in‑4o de 984 pages ; avec un portrait de J.J. Wepfer, accompagné de ce distique signé G. Thomasius (sans doute le médecin érudit Gottfried Thomasius von Troschenreuth, Leipzig 1660-Nuremberg 1746) :

      Wepferum signasse sat est, abscedite vates,
      Non capiunt maius nomina tanta decus
      .

      [Il est suffisant de dire que Wepfer a laissé une marque indélébile : taisez-vous, poètes, car si grands soient-ils, vos mots ne peuvent embrasser l’immensité de sa gloire].

  2. Le 28 janvier 1695 en sa 75e année d’âge.

  3. S’y ajoutait, dit la Memoria, la profonde inquiétude que lui avait causée la mort de Charles Patin, survenue le 10 octobre 1693, et la relation de son autopsie, parue immédiatement après (v. la fin des Déboires de Carolus). Leurs symptômes et les lésions anatomiques consignées à l’ouverture de leurs cadavres autorisent à conclure que tous deux étaient morts d’une maladie coronaire avec infarctus du myocarde.

  4. Contrairement aux veines, les artères sont vides de sang chez le cadavre : l’intérêt qu’y ont porté les médecins (dont J.J. Wepfer a été l’un des pionniers) ne s’est réellement éveillé que vers le milieu du xviie s., après que leur fonction primordiale dans la circulation du sang a été admise par la grande majorité d’entre eux.

  5. Ce qui correspond indiscutablement à la calcification très prononcée de la paroi, allant jusqu’à la métamorphose osseuse.

  6. La paroi des artères est composée de trois couches ou tuniques : intima interne, média moyenne et adventice externe.

  7. Par la présence de thrombus (agrégations de substance sanguine solidifiée).

Quiconque s’intéresse à l’histoire des maladies artérielles reste pantois devant ce dessin de l’aorte et de ses branches : du haut en bas, la surface interne du vaisseau y est partout pavée de zones claires qui ont la forme et la répartition de ce qu’on appelle aujourd’hui des plaques d’athérosclérose, dont certaines se situent même sur les premiers segments des artères coronaires (v. note [8], lettre 725) ; et ce sans confusion possible avec l’aortite syphilitique (v. note [9‑3], lettre 122), dont les lésions sont d’aspect différent et limitées au premier segment (ascendant) de l’aorte.

L’athérosclérose est réputée avoir été bien caractérisée au xviiie s., par les Anglais William Heberden et Edward Jenner, et surtout au xixe, par l’Autrichien Carl von Rokitansky et l’Allemand Rudolf Virchow. Ce dessin prouve néanmoins avec éclat qu’elle existait bel et bien en 1695, mais avait probablement échappé à l’attention des médecins, faute d’intérêt pour la pathologie des artères. Par ironie du sort, son expression à présent la plus commune et la plus meurtrière, a été figurée pour la première fois (à ma connaissance) lors de l’autopsie du pionnier qui en a entrepris l’investigation raisonnée.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 24 mai 1660, note 7.

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(Consulté le 25/04/2024)

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