À André Falconet, le 20 mai 1661

Note [4]

Louis de Maupeou, chevalier de Malte, seigneur de Noisy (1631-1669), 17e des 18 enfants de René de Maupeou, président à la Cour des aides, était frère d’un autre René, conseiller au Parlement (v. note [10], lettre latine du 10 septembre 1655) ; major au régiment des gardes, il était cousin issu de germain et intime ami de Nicolas Fouquet. Son mariage avec Antoinette Catelan avait été célébré le 6 mai 1661 au château de Vaux-le-Vicomte.

Le 18 mai 1661, Brienne fils écrivait de Fontainebleau à M. du Housset (Archives de la Bastille, volume 2, pages 275‑277) :

« L’ordre que M. le comte de Soissons a reçu ce matin de sortir de la cour servira présentement de matière à notre entretien ; mais afin que vous sachiez bien toute l’affaire, il est nécessaire de la reprendre de son commencement. Vous avez sans doute entendu parler des différends qui étaient entre Mme la comtesse de Soissons {a} depuis qu’elle est surintendante de la Maison de la reine et Mme de Navailles, {b} dame d’honneur. […] La principale difficulté consistait dans l’autorité que la surintendante prétendait que sa charge lui donnait sur la dame d’honneur et dans l’indépendance que celle-ci voulait se conserver. Elles s’échauffèrent à un point l’une et l’autre que, les amis communs n’ayant pu les accommoder, l’affaire tomba entre les mains du roi, qui dit qu’il les réglerait. Pour lors, M. Colbert prend les devants auprès de S.M., {c} et comme il lui témoigna que le seul zèle qui le faisait agir était celui qu’il devait avoir pour la nièce de son maître, {d} il sut si bien rallumer les sentiments que S.M. avait pour le défunt et qui ne sont pas encore éteints, que se laissant emporter au mouvement de son amour, elle accorda à Mme la comtesse de Soissons, par un règlement qui fut fait il y a quelques jours, plus même qu’elle ne pût prétendre. Il subsista trois jours, durant lesquels Mme la comtesse de Soissons triompha et fit semer, tant ici qu’à Paris, plusieurs copies de ce règlement avantageux ; mais elle fut bien étonnée lorsque, la reine ayant fait entendre au roi qu’il avait décidé avec trop de précipitation contre les dames d’honneur sans avoir entendu leurs raisons, S.M. fit un second règlement comme en explication du premier, mais qui, en un mot, le détruisait absolument ; accordant à la dame d’honneur d’être logée dans la maison de la reine préférablement à la surintendante lorsqu’il n’y aurait qu’une chambre, la place avant elle dans le carrosse, etc. Ce changement eût été bien moins sensible à Mme la comtesse de Soissons si elle n’eût pas étalé, comme elle avait fait aux yeux de tout le monde, sa conquête ; et ce fut pour lors que M. le comte de Soissons, voulant paraître bon mari, prit avec chaleur la querelle de sa femme et crut ne pouvoir mieux témoigner son ressentiment qu’en faisant appeler M. de Navailles. Le chevalier de Maupeou porta la parole du duel de la part de M. le comte de Soissons ; et M. de Navailles lui ayant répondu seulement qu’il ne pouvait manquer à ce qu’il devait à la mémoire de M. le cardinal et que M. le comte lui était trop proche pour qu’il pût s’offenser de rien qui lui vînt de sa part, mais que s’il l’attaquait, il serait obligé de se défendre, M. le comte de Soissons, qui croyait retirer un grand avantage de cette bravoure, la fit éclater dans toute la cour (et Maupeou même ne se cacha pas d’avoir fait l’appel), croyant par là de nuire à M. de Navailles ou au moins de faire connaître qu’il était si sensible à ce qui touchait sa femme, que cela pût obliger Mme de Navailles d’entrer avec elle en quelque ajustement. La chose s’est tournée d’une autre manière car étant ainsi venue aux oreilles du roi, quoiqu’il ait fait tout ce qu’il a pu pour ne pas entendre ce qui s’était passé, il n’a pu néanmoins refuser à la foi des édits, qui aurait été violée si une telle action était impunie, et aux clameurs des dévots, de faire assembler ce matin les maréchaux de France pour informer du fait ; ils n’ont rien prononcé néanmoins car il n’y avait pas de preuve. Mais le roi n’a pas laissé, sur la notoriété publique, de faire donner ordre à M. de Soissons, par M. Le Tellier, de se retirer de la cour {e} sans pouvoir aller à Paris ou à son gouvernement, et d’envoyer Maupeou à la Bastille pour six mois. Voilà comme tout s’est passé. » {f}


  1. Olympe Mancini.

  2. V. note [2], lettre 792.

  3. Sa Majesté (Louis xiv).

  4. Mazarin.

  5. À Creil.

  6. Mémoires de Louis xiv (tome 2, page 420, année 1661) :

    « Quoique les duels eussent été plusieurs fois défendus, néanmoins, parce que je savais que toutes ces défenses étaient éludées par divers artifices, j’ajoutai de nouvelles précautions à celles qui avaient été déjà prises. Et pour montrer que je voulais qu’elles fussent exécutées, je bannis de ma cour le comte de Soissons pour avoir fait appeler le duc de Navailles, et fis mettre en prison celui qui avait porté la parole de sa part, quoi qu’elle n’eût point eu d’effet. »


Raoul Allier (La Cabale des dévots, pages 324 ‑334) a salué le rôle courageux que la Compagnie du Saint-Sacrement (v. note [7], lettre 640) a obstinément joué dans l’interdiction des duels ; sans se soucier de la « terrible irritation des gentilshommes de la cour » que provoquait son zèle ; ce qui fut d’ailleurs une raison de sa perte.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 20 mai 1661, note 4.

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(Consulté le 28/03/2024)

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