À André Falconet, le 4 août 1665

Note [3]

V. note [50] des Préceptes particuliers d’un médecin à son fils pour la « pierre de scandale ». Après le procès qu’elle avait gagné en janvier 1663 contre une thèse défendant l’infaillibilité pontificale, {a} la Sorbonne revenait devant la Grand’Chambre du Parlement de Paris pour attaquer une bulle pontificale qui fulminait contre les censures qu’elle avait prononcées, touchant à deux livres qui prônaient l’infaillibilité du pape.

Daté du 29 juillet 1665, l’Arrêt du Parlement de Paris, en faveur des censures de la Faculté de théologie contre Vernant et Amédée Guimenée, {b} contre une bulle du pape Alexandre vii {c} condamna ladite bulle fulminée contre la Sorbonne, à nouveau défendue par Denis Talon : {d}

« […] Le pape dépouille la Faculté d’un droit qui lui est acquis, et dont elle jouit depuis plus de cinq cents ans, en déclarant ses censures présomptueuses et téméraires ; qu’il est aisé de justifier par plusieurs exemples que les facultés de théologie ont toujours censuré les livres qui contiennent de mauvaises doctrines, ou contre la foi, ou contre les mœurs, […]

Cette bulle va directement à établir l’infaillibilité du pape et sa supériorité prétendue au-dessus du concile comme un article de foi, puisque c’est particulièrement ce point dont la Cour de Rome n’a pu souffrir la censure. Qu’on sait avec quelle facilité cette Cour s’applique à établir cette prétendue infaillibilité, qu’elle tire avantage de tout, et qu’elle fait sans cesse de nouveaux pas, dont elle ne recule jamais ; que la Faculté de théologie étant un des plus grands obstacles qu’elle ait rencontré pour l’établissement de ses prétentions, elle a résolu dans cette rencontre de la flétrir par une censure injurieuse et pleine d’outrages afin, par ce moyen, de lui imposer silence et établir ensuite paisiblement leurs {e} maximes ultramontaines. […]

Que la doctrine de l’infaillibilité ruine absolument les libertés de l’Église gallicane et établit, par une suite nécessaire, la puissance absolue du pape, même sur la temporalité des rois ; qu’il ne sert de rien, pour empêcher cette conséquence, de dire que les papes demeurent toujours faillibles dans les faits, puisqu’ils font, quand il leur plaît, des points doctrinaux de ces mêmes prétentions sur la temporalité des rois et sur leurs sacrées personnes, comme a fait Boniface viii dans sa bulle Unam Sanctam, {f} où il déclare qu’il est de foi de croire que le pape est au-dessus de toutes les puissances spirituelles et temporelles.

Qu’il s’ensuivrait aussi de cette doctrine qu’il faudrait admettre en France le tribunal de l’Inquisition, {g} dont nous fuyons jusqu’à l’ombre, et réduire le royaume au même état que les pays qu’on nomme d’obédience, qui gémissent sous un joug si insupportable ; que, suivant le style de ce tribunal, la bulle condamne par avance tous les livres où les censures de la Faculté seraient énoncées ou défendues, {h} en quoi sont compris les arrêts de la Cour ; ce qui ne doit pas paraître fort surprenant, puisqu’ils ont bien eu l’insolence de mettre dans l’Index l’arrêt contre Jean Chastel, comme il paraît dans l’Index qui a été imprimé l’année dernière. {i}

Ainsi, que c’est dans cette rencontre qu’il faut apporter toute la vigueur possible pour repousser ces injustes entreprises de la Cour de Rome, qui n’avait point encore fait de démarches si hardies que celle-ci ; qu’encore que l’excommunication portée par la bulle soit nulle et qu’elle ne puisse rejaillir que contre ceux qui l’ont prononcée, il est néanmoins de conséquence de prévenir les mauvais effets qu’elle pourrait avoir parmi les peuples si la Cour, {j} par son autorité, n’<en > empêchait les mauvais effets. Qu’on n’est que trop informé des cabales et des brigues de certaines gens, {k} qui font tous leurs efforts pour établir au milieu de nous les nouvelles maximes, et qui entretiennent une liaison secrète avec les officiers de la Cour de Rome, leur faisant entendre qu’ils disposeront tout le monde à recevoir avec respect leurs récrits et leurs bulles : il est de la dernière conséquence de réprimer ces sortes de gens, comme des perturbateurs du repos public contre lesquels nous demandons qu’il soit permis d’informer. […] » {l}


  1. V. note [2], lettre 741.

  2. Le 24 mai 1664 puis le 25 juin 1665, Rome avait censuré les condamnations que la Sorbonne avait prononcées contre deux ouvrages qui professaient l’infaillibilité ; parut ensuite la :

    Censura Sacræ Facultatis Theologiæ Parisiensis in librum cui titulus est : La Défense de l’autorité de N.S.P. le Pape, de Nosseigneurs les Cardinaux, les Archevêques et Évêques, et de l’emploi des Religieux mendiants, contre les erreurs de ce temps, par Jacques de Vernant, à Metz 1658. Confirmata ex Scripturis Sacris, Conciliorum gestis, Sanctorum Patrum Auctoritatibus, Veterum Theologorum sententiis, ac Probatorum Historicorum Monumentis, etc. Opera et studio quorundam Theologorum Parisiensium.

    [Censure de la Sacrée Faculté de théologie de Paris contre le livre intitulé :… {i} Solidement établie sur les Saintes Écritures, les actes des conciles, les autorités des saints Pères, les jugements des anciens théologiens, les mémoires des historiens approuvés, etc. par les soins et l’étude de certains théologiens parisiens]. {ii}

    1. Jacques de Vernant était le pseudonyme de Bonaventure de Sainte-Anne (Nantes 1606-ibid. 1667, carme de la Réforme de Bretagne qui s’est fait connaître par ce livre qui affirmait l’infaillibilité du pape. Outre les carmes, les principaux ordres religieux mendiants français étaient les franciscains, les dominicains, les augustins, les capucins et les minimes.

    2. Paris, Guillelmus Desprez, 1665, in‑4o de 273 pages.

    V. note [4], lettre 812, pour l’Opusculum (Lyon, 1664, pour la dernière édition alors disponible) d’Amadæus Guimenius (Amédée Guiménée, pseudonyme du jésuite Matias de Moya), que censurait aussi la Sorbonne.

  3. Libertés de l’Église gallicane par Pierre-Toussaint Durand de Maillane (Lyon, 1771, v. notule {a}, note [2], lettre 741), tome quatrième, pages 50‑55.

  4. Avocat général du Parlement de Paris (v. note [10], lettre 358) et défenseur convaincu du gallicanisme.

  5. Sic pour « ses ».

  6. Émise le 18 novembre 1302 contre le roi Philippe le Bel.

  7. Sic pour « que la Faculté aurait énoncées [les censures] ou défendus [les livres] ».

  8. V. note [11], lettre 146.

  9. V. notes [30], notule {c}, du Naudæana 2 pour la Congrégation de l’Index, et [13] du Grotiana 1 pour Jean Chastel, auteur d’une tentative d’assassinat contre le roi Henri iv en 1594, dont les jésuites furent tenus pour avoir été les instigateurs.

  10. Le Parlement de Paris.

  11. Les jésuites et les moines, tous soumis à l’obédience directe de Rome.

  12. L’arrêt se conclut sur l’interdiction formelle de publier et imprimer la bulle de censure pontificale, ou d’en enseigner les interdits dans les écoles de théologie parisiennes, et nommément dans les monastères des ordres mendiants et le Collège jésuite de Clermont. Il ajoute que :

    « Maître Étienne Sainctot et Pierre de Brillac, conseillers du roi en ladite Cour, se transporteront samedi prochain {i} dans l’Assemblée de la dite Faculté de théologie, avec un des substituts du procureur général, et exhorteront ladite Faculté de continuer ses censures, lorsque les occasions se présenteront, avec le même zèle qu’elle a fait par le passé, et feront lire en leur présence le présent arrêt […]. {ii}

    1. Le 31 juillet 1665.

    2. Un Récit de ce qui s’est passé au Parlement au sujet de la bulle de N.S.P. le pape Alexandre vii contre les censures de Sorbonne (sans lieu ni nom, 1665, in‑4o) est attribué au janséniste Noël de Lalane (v. note [114] des Déboires de Carolus).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 4 août 1665, note 3.

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(Consulté le 23/04/2024)

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