À André Falconet, le 31 mars 1667

Note [6]

« “ En divers temps, je me suis trouvé trois épouses : comme jeune homme, comme homme mûr, et comme vieillard. La première s’est unie à moi pour le besoin de mes fougueuses années, la seconde pour ses richesses, la troisième pour me servir. ” Acquittez-vous d’une obole car vous avez eu une fable. »

Les lettres d’Étienne Pasquier [v. note [16], lettre 151] conseiller et avocat général du roi à Paris . Contenant plusieurs belles matières et discours sur les affaires d’État de France, et touchant les guerres civiles (Paris, Laurent Sonius, 1619, in‑8o), livre xix (tome second, page 486), « À Monsieur Loisel, avocat en la Cour de Parlement de Paris », lettre non datée :

« Ce que je vous discourrai présentement vous apprêtera par aventure à rire. Sortant des consultations avec monsieur du Hamel, avocat mien ami, un jeune avocat me fit présent d’un épitaphe fait {a} par Théodore de Bèze en faveur de la fille de sa femme. Et comme je lui eusse demandé si Bèze avait eu des enfants de sa Candide, {b} il me répondit que dès piéça il {c} était convolé en secondes noces avec une honnête veuve pour le soulagement de sa vieillesse, et que c’était la fille d’elle qu’il avait honorée de ce tombeau. {d} Après avoir remercié ce jeune avocat, je m’arrêtai à ce mot de soulagement, qui m’ouvrit l’esprit à une belle invention. Et comme le seigneur du Hamel et moi, mon {e} voisin, retournions en nos maisons, lui m’entretenant par les rues, et moi me gouvernant {f} à part moi, je fis ce quatrain en faveur de celui qui aurait épousé trois femmes. » {g}


  1. Mot masculin à l’ancienne mode.

  2. Candide est l’héroïne que Théodore de Bèze (v. note [28], lettre 176) a chantée dans ses Poemata.

  3. « il y a longtemps qu’il ».

  4. Épitaphe.

  5. Sic pour « son ».

  6. « suivant mes pensées ».

  7. Le conditionnel prouve que Pasquier n’attribuait que deux épouses à Bèze : c’était à un autre qu’il en donnait trois, pour ajouter du sel à son quatrain.

Bayle, dans sa note (N) sur Bèze, a donné une traduction plus libre de ce quatrain et l’a commenté :

« Voici le sens de ces vers : J’ai épousé trois femmes en divers temps, dans ma jeunesse, dans mon âge viril, et dans ma vieillesse. J’ai épousé la première pour le plaisir de l’amour, la seconde à cause qu’elle était riche, la troisième afin qu’elle eût soin de moi dans mes infirmités. Cela n’a pu convenir à Théodore de Bèze, puisqu’il n’a point eu trois femmes. {a} Il y en a qui disent que Pasquier ne fit ces vers que pour lui-même. Celui qui remarque cela ne laisse d’être dans l’erreur de Guy Patin touchant les trois femmes de Bèze. Il s’était marié pour la troisième fois à l’âge de septante ans, et en avait donné avis à son intime ami Junius, Hollandais, {c} en ces termes, “ Si c’est une folie de se marier à septante ans, voilà que je viens de la faire. ” C’était un vieux coq, qui ne pouvait se détacher du char de Vénus, auquel il avait été attelé dès sa jeunesse. {b} Ces paroles sont d’un moine crédule, et qui rarement est bien informé de ce qu’il dit. Si lui et Patin avaient consulté le xixe livre des Lettres d’Étienne Pasquier, {d} ils auraient parlé avec plus d’exactitude. »


  1. Bèze se maria deux fois et non trois : il vécut 40 ans avec sa première épouse, Claudine Denosse ; il se remaria à 69 ans, en 1588, avec une veuve qui lui survécut, nommée Catherine de la Plane, qui eut grand soin de lui tant qu’il vécut.

  2. Trésor historique et chronologique de Pierre de Saint-Romuald (Paris, 1647, v. note [7], lettre 23), troisième partie, année 1605, page 790.

  3. « Il n’était pas hollandais, ni en Hollande quand Bèze se remaria » (notule 56 de Bayle). V. note [15], lettre de Samuel Sorbière, datée du début 1651, pour Franciscus Junius, nom latin de l’érudit Français François Du Jon.

  4. Premier extrait transcrit supra.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 31 mars 1667, note 6.

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(Consulté le 11/11/2024)

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