À Gerardus Leonardus Blasius, le 28 janvier 1661
Note [33]
Page 99 des Commentaria, paragraphe intitulé Distinguantur : {a}
Ignorantiam adeo summam prodere haud pudet eos, qui cavitatem uteri in duas partes dividunt manifestas, quasi recto ductu duceretur protuberans quædam inæqualitas ab orificio sursum, quæ uterum dividat, in duos velut distinctos et a se invicem separatos sinus atque secessus. Inscitiæ in Anatomicos indicium non parvæ est ; in utero muliebri cellulas quærere ; majoris hinc contendere, posse fœminam fœtus plurimos concipere, superfœtationis enim causa non in utero sed semine quærenda. Monstruosos nasci tametsi rarum sit : rarior tamen superfœtatio est, et adeo quidem rara, ut nonnullis impossibilis habeatur. Cujus tamen manifestum in honesti civis uxore exemplum apparuit. Peperis hæc filium plene gestatum anno 1570. Decemb. die 7. hora decima vespertina, succedentibus omnibus, quæ ad felicem partum requiri solent. Postridie vero qui erat octavum, eadem hora, præter exspectationem obstetricis, ac sui ipsius, peperit eadem fœtum alterum, sed nondum quadrimestrem, utpote cui neque oculi, neque nares, neque os paterent, quem idcirco post conceptum fuisse satis manifestum. Beniven. de Abdit. Morb. causis cap. 3. Superfœtationis exemplum habet et Bernardus Gordonius cap. 2. particulæ vii.[La honte de leur immense ignorance ne fait pas rougir ceux qui divisent la cavité utérine en deux parties distinctes, comme si une saillie anormale, s’étendant depuis l’orifice jusqu’au fond de l’utérus, y créait deux niches ou sinus bien séparés l’un de l’autre. Chercher de telles loges dans l’utérus de la femme est une preuve de profonde méconnaissance chez de tels anatomistes. Il est pire encore d’en déduire qu’une mère puisse concevoir plusieurs fœtus en même temps, car la cause de la superfétation n’est pas à chercher dans l’utérus, mais dans la semence. {b} Il est certes rare de voir naître des monstres, mais la superfétation est plus rare encore, et si rare même que certains la tiennent pour impossible. Néanmoins, un exemple manifeste en a été rapporté chez l’épouse d’un honnête citoyen : le 7 décembre 1570, à dix heures du soir, elle accoucha à terme d’un fils, avec toutes les suites qui ont coutume de marquer une heureuse délivrance ; mais le lendemain, le 8 à même heure, à la surprise de la sage-femme et bien sûr de la mère, sortit un second fœtus, âgé de moins de quatre mois, comme en attestaient l’absence d’yeux, de nez et de bouche, preuve manifeste du fait qu’il avait été conçu postérieurement au premier. {c} Dans Beniven., de Abdit. Morb. causis, chap. 3, se lit un exemple de superfétation, {d} ainsi que dans Bernardus Gordonius, chap. 2, particule vii]. {e}
- Gerardus Leonardus Blasius commentait ce propos de Johann Vesling sur l’utérus :
Cavitatem intus exiguam obtinet, et simplicem in qua tamen dextræ a sinistris leviter prominula velut linea distinguuntur.[À l’intérieur, il possède une cavité étroite et simple, dans laquelle pourtant les parties droites et gauches sont séparées par une légère saillie ressemblant à une ligne].
- Tout cela est expliqué dans la suite de la présente note. L’utérus dit bicorne est aujourd’hui une anomalie congénitale bien connue et qui n’a rien d’exceptionnel ; mais elle n’est pas cause de superfétation.
- L’italique marque une citation dont je n’ai pas trouvé la source. Blasius l’a entièrement supprimée dans sa réédition de 1666, v. infra notes [34] et [57‑5], notule {a}.
- V. note [12], lettre 14, pour le traité posthume d’Antonius Benivenius de abditis nonnulis ac mirandis morborum et sanationum causis [sur quelques causes cachées et merveilleuses de maladies et de guérisons] (Florence, 1507). Le chapitre iii en est intitulée Lapides in tunica epatis reperti [Pierres trouvées dans la tunqiue du foie] (chez une femme qui n’était pas enceinte) ; j’ai vainement cherché, là comme ailleurs dans le livre, un cas de superfétation.
- V. note [58] du Traité de la Conservation de santé, chapitre ii, pour Bernard de Gordon, médecin montpelliérain du xiiie s., dont la plupart des écrits ont été réunis dans le Lilium Medicinæ [Lis de médecine], dont j’ai consulté l’édition de Lyon, Guilielmus Rouillius, 1559, in‑8o. Le chapitre ii de sa viiie et dernière particule (section), Quæ de passionibus membrorum generationis in utroque sexu, et antidotis ualentibus a capite ad pedes usque agit, continens capita xxiiii [Qui traite, en 24 chapitres, des maladies des organes de la reproduction dans les deux sexes, et des antidotes qui soignent de la tête aux pieds], et intitulé De satyriasis et priapismo [Du satyriasis et du priapisme], {i} avec cette remarque, pages 602‑603 :
Quarto notandum, quod cætera animalia abhorrent coitum post conceptum. Primo, quia imaginatiua est propter naturam non propter uoluntatem, et si abundet, transit in pilos, cornua et ungues, quia appetitus est ad speciem et non ad delectationem. In mulieribus est contrarium, appetunt enim non solum propter speciem, sed propter delectationem, et cum hoc abundant in menstruis propter quæ stimulantur, et calfiunt, et cum hoc de delectatione præcedendi recordantur. Ideo accidit, quod quadam mulier peperit unum filium pulchrum, qui assimilabatur uiro suo, et post paucos dies peperit unum turpem qui assimilabatur amasio suo turpi, et hoc non fuisset nisi matrix post coitum fuisset aperta et dilatata. Appetunt igitur auidæ mulieres post coitum.[Il faut noter quatrièmement que les autres animaux fuient le coït après la conception. La première raison en est que l’imaginative dépend de la nature et non de la volonté, et si elle est excessive, elle passe dans les poils, les cornes et les griffes, {ii} car l’appétence est vouée à la préservation de l’espèce et non au plaisir. C’est le contraire chez les femmes : elles ont à la fois du désir pour la préservation de l’espèce et pour le plaisir ; elles en ont en abondance pendant les règles, qui les stimulent et les échauffent, et se souviennent du plaisit qu’elles ont éprouvé précédemment. {iii} Ainsi a-t-on vu une femme accoucher d’un beau garçon, qui ressemblait à son mari, et quelques jours après, mettre au monde un autre enfant hideux, qui ressemblait à son hideux amant ; et cela n’a pu se faire sans que la matrice demeurât ouverte et dilatée après le coït. Les femmes avides conservent donc leurs envies après le coït]. {iv}
- Page 601 :
Satyriasis est continua uirgæ erectio cum desiderio et appetitu ad coitum. Priapismus est immoderata et continua erectio sine appetitu et desiderio.[Le satyriasis est une érection permanente de la verge avec désir et envie de copuler. Le priapisme est une érection irrépressible et permanente sans désir ni envie]. note [5], lettre 859, pour le dieu Priape qui est à l’origine du mot.
- L’imaginative est la « qualité qu’on attribue à une partie de l’âme, qui lui fait concevoir les choses, et s’en former une vraie idée » (Furetière), on dirait aujourd’hui « l’instinct » ; sa projection dans les phanères des animaux, quand il est excessif, me semble à interpréter comme sa transformation en agressivité.
- Avant que la grossesse n’ait supprimé leur règles (dont on peut douter qu’elles attisent ordinairement la libido).
- Sans adhérer à ces propos, je me suis efforcé de ne pas trahir la pensée de leur auteur en les traduisant.
La superfétation est une rareté obstétricale qui ne mériterait guère de s’y attarder ici si elle n’avait agité les esprits médicaux du xviie s., tiraillés entre l’émerveillement et l’incrédulité.
« Quand la superfétation a lieu chez une femme, si le premier enfant est dans le milieu de la matrice, le produit de la superfétation tombe expulsé par l’ancien fœtus. Mais si le premier enfant est dans l’une des cornes, {a} la femme met au monde en dernier lieu le produit non viable, après que la matrice s’est relâchée et humectée, étant délivrée du produit viable. Si le produit de la superfétation ne sort pas aussitôt, il cause de la douleur, un flux fétide et de la fièvre ; le visage, les jambes, les pieds enflent, ainsi que le ventre ; anorexie jusqu’à ce qu’il soit expulsé. La superfétation arrive chez les femmes dont l’orifice utérin ne s’est pas fermé complètement après la première conception, ou s’est fermé sans que les signes aient paru. Les produits de la superfétation, si, n’ayant pas encore les membres distincts, ils ne sont qu’une chair, ne se gonflent pas, mais se putréfient jusqu’à ce qu’ils sortent. » {b}
- De l’utérus (matrice).
- Dans l’Argument de ce traité, Émile Littré a résumé les quelques très rares cas publiés avant 1850.
« À Larisse, {a} la femme de Gorgias avait ses règles supprimées depuis quatre ans, à part une très petite évacuation ; dans la matrice, de quelque côté qu’elle se couchât, il y avait battement et douleur. Cette femme devint enceinte et eut une superfétation ; elle accoucha, au neuvième mois, d’un enfant vivant, de sexe féminin, ayant une plaie à la hanche ; l’arrière-faix suivit ; un flux très abondant de sang eut lieu le lendemain, le surlendemain et le quatrième jour ; il sortit aussi des caillots ; la fièvre se maintint les dix premiers jours. Le reste du temps, il s’écoula du sang rouge ; le visage enfla beaucoup, ainsi que les jambes, les pieds et l’une des cuisses. Elle ne prenait aucun aliment ; la soif était vive ; l’eau la plus froide soulageait, mais le vin nullement. Le ventre, après la sortie du premier enfant, diminua un peu de volume, mais ne s’affaissa pas complètement ; il était plus dur, quoique sans douleur. Le quarantième jour à compter du premier, le produit de la superfétation sortit, c’était une chair ; le ventre s’affaissa, et disparurent tous les gonflements, l’écoulement ténu et le sang fétide ; et la femme guérit. »
« Les superfétations se font ainsi: quand les matrices sont naturellement chaudes et sèches, que la femme est chaude aussi et sèche, et que la semence arrive sèche et chaude, il n’y a plus dans les matrices aucune humidité qui surmonte la semence survenante ; aussi elle se coagule d’abord et vit, mais elle ne peut persister et entraîne l’avortement du fœtus préexistant, attendu que les mêmes choses ne conviennent pas à tous les deux. » {a}
- Explication parfaitement incompréhensible aujourd’hui.
Curieusement, aucune entrée du volumineux index des Opera omnia [Œuvres complètes] de Galien (Kühn, volume 20 tout entier) ne correspond, me semble-t-il, à la superfétation ni à quelque mot ressemblant ; ce qui incite a croire que Galien, le plus prolifique commentateur d’Hippocrate au iie s. de notre ère, n’a pas eu connaissance de ses textes sur la superfétation, ou n’y a pas attaché d’importance.
Terrebit Lectores historiæ titulus. Certe ipse mihi non satis credo, dum hæc perituræ chartæ illino, quæ nulla unquam ætas vidit vel audivit : Embryonem nempe alio embryone prægnantem fuisse. Indorum historiæ testantur bimula puellas peperisse. Sed plus est quod refero, cui fidem omnis posteritas denegabit, et ego invitus potui assensum præbere, nisi dignis testibus essem convictus, adeo multa in Naturæ ambitu monstrosa eduntur, seculumque nostrum ferax est rerum a quotidiano usu abhorrentium. Ea tamen fide monstrosam imprægantionem referam, qua accepi, judicium lectoribus æquis relicturus. Plusculis ab hic annis in oppido Fioniæ nostræ Affuentzlöff in parochia Uleslovania prope Neoburgum Matrona quædam Johanna uxor coloni Nicolai Petri parturientis dolores aliquot dies experta, parere non potuit, quanquam binas obstetrices plebejas sibi præsentes habuerit. Unde tertiam ex vicinia majoris famæ et experientiæ, nomine Sisseliam, advocavit, quæ magna difficultate tantum tandem promovit, ut onere ventris prægnans levaretur et a morte vindicaretur, sed fœtu mortuo sex9 excluso. Dum cadaver hujus ab obstetrice hac et matre puerperæ ablueretur et ad sepulturam præpararetur, mirantur tumidum fœtus ventrem, in quo ac tactum videbatur quasi osseosum quid delitescere, unde consilio inito, parvo cultello avia aperuit ventrem, et mirum dictu inventus in fœtu alius fœtus sexus femini in loco consuetus situs, perfectus omnibus membris, circiter spithamam longus, unguibus et pilis donatus ad morem fœtus perfecti, et sicut prior fœtus ex matre editus livebat et caro ejus nigricabat, quemadmodum fœtus mortui solent ; ita hic minor fœtus candicabat et carne sana præditus erat, ut ex omnibus indiciis concluderet avia, vitalem fuisse. Nec deerant huic secundæ, quibus in embryonis utero alligabatur. Hæc sancta fide asseveravit et juramento confirmavit obstetrix Sisselia, nuper que actæ rei seriem ennaravit Soræ in præsentia Perillustris Præsidis Academiæ Soranæ Dn. Georgii Rosæcrantzii rerum Medicarum valde periti, et Illustris Dn Hugonis Lutzen Regis Præfecti Anderschoviani, illorumque Conjugum Nobilissarum, inprimis incomparabilis Matronæ Dn. Brigittæ Tott, Dominæ de Turebye, eruditione judicio et morum gravitate sexum supergressæ, quibus mentiri frustra non licuisset. Affirmavit eadem obstetrix trium postea liberorum matrem fuisse Johannam, serioque cavisse ne ulli insolitus hic partus innotesceret, ut nec confessionario aperire voluerit, quæ causa fuit, quod hactenus rei novitas obliterata sit, quam ejusdem Nobilissimæ Matronæ Brigittæ Tott beneficio, iterata obstetricis confessione teste Viro Reverendo Dn. Petro Erasmio, olim discipulo meo, nunc vero Ecclesiaste Thurebyense, nuper rescivi. Si meæ conjecturæ locus, existimo gemellas hic molitam esse naturam sed errore quodam alteram in alterius abdomen inducta cuticula detrusam. Sed admirationem conjecturæ prætendo, aliis naturæ secreta rimandi traditurus occasionem. Idem enim erudito Lectori dictum velim, quod Licinio Suræ olim Plinius l. 4. Epist. ult. Scrutare tu causas, potes enim, quæ tantum miraculum efficiunt. Mihi abunde est, si satis expresso, quod efficitur.
[Le titre de mon histoire épouvantera les lecteurs. Sans y croire tout à fait moi-même, je la couche sur le papier pour que ne disparaisse pas ce que nulle époque n’a jamais vu ni ouï : un fœtus a été gros d’un autre fœtus ! Des histoires venues des Indes attestent qu’une enfant de deux ans a donné naissance à des petites filles ; mais ce que je relate est plus extraordinaire encore. Toute la postérité refusera d’y croire et j’aurais bien pu en être la dupe si des témoins dignes de foi ne m’avaient convaincu de sa véracité, tant les caprices de la Nature font naître de monstruosités et tant notre siècle est chaque jour abreuvé d’atrocités. Je transcrirai ici une fécondation monstrueuse, telle qu’on me l’a rapportée, laissant néanmoins aux lecteurs le soin d’en juger impartialement. Voilà peu d’années, en notre Fionie, dans la ville d’Affuentzlöff, paroisse d’Uleslovan, près de Nyborg, {a} une dame prénommée Johanna, épouse de Niels Peter, avait souffert de contractions pendant quelques jours sans pouvoir accoucher, bien qu’elle eût à son chevet deux sages-femmes de la contrée ; elle avait fini par en appeler une troisième du voisinage, très réputée et fort expérimentée, nommée Sisselia. Pour soulager la parturiente du poids qu’elle avait dans les entrailles et lui sauver la vie, elle parvint avec très grande difficulté à la faire accoucher d’un fœtus mort de moins de six mois. Tandis que la sage-femme et la mère lavaient l’enfant et le préparaient pour la sépulture, son ventre enflé les surprit car à la palpation, il semblait s’y cacher quelque chose de dur comme l’os ; après s’être concertée avec elle, la grand-mère maternelle ouvrit le ventre avec un petit couteau et s’émerveilla en découvrant dans le fœtus un autre fœtus de sexe féminin, en situation usuelle, parfait en toutes ses parties, ayant environ la longueur d’une paume de main, pourvu d’ongles et de duvet à la manière d’un fœtus bien développé. Tandis que celui dont la mère avait accouché avait une teinte plombée et des chairs qui viraient au noir, comme on voit ordinairement chez les enfants morts, le plus petit fœtus avait une teinte si claire et des chairs si saines que la grand-mère conclut qu’il présentait tous les signes d’un enfant vivant ; il ne manquait pas de secondines qui l’attachaient à l’utérus. La sage-femme Sisselia a recueilli toutes ces observations et les a confirmées sous serment ; elle les a racontées à Sora {b} en présence de M. Georg Rosencrantz, très illustre président de l’Academia Sorana et excellent connaisseur des questions médicales, et de l’illustre M. Hugo Lutzen, préfet royal d’Anderskov, {c} ainsi que de leurs très nobles épouses, notamment l’incomparable Brigitta Tott, dame de Turebye, qui dépasse toutes celles de son sexe en érudition, en jugement et en fermeté de mœurs ; {d} toutes personnes auxquelles la sage-femme se fût inutilement permis de mentir. Elle a en outre affirmé que par la suite Johanna a donné naissance à trois enfants, mais que, dans la profonde crainte que son accouchement insolite ne fût connu de quiconque, elle n’a jamais voulu en faire l’aveu ; c’est pourquoi jusqu’à ce jour, cette nouveauté est demeurée cachée ; je l’ai récemment découverte grâce à ladite très noble dame Brigitta Tott, laquelle a confié au révérend Peter Erasmius les aveux que lui avait répétés la sage-femme ; jadis mon élève, il est maintenant pasteur de l’Église de Turebye. Quant à savoir ce que j’en pense, je crois qu’il s’agissait d’une banale grossesse gémellaire, mais que par quelque vice de développement, un dédoublement de membrane a enfoui l’un des deux embryons dans l’abdomen de l’autre ; {e} mais je laisse à d’autres le soin d’examiner ma conjecture et leur confie cette occasion de fouiller les secrets de la nature. De même, je voudrais quitter le savant lecteur en lui rappelant ce que Pline a jadis écrit à Licinius Sura (dernière lettre du livre iv) : Scrutare tu causas, potes enim, quæ tantum miraculum efficiunt. Mihi abunde est, si satis expresso, quod efficitur]. {f}
- L’île de Fionie et sa ville de Nyborg, sur la berge danoise du Grand Belt, sont les deux seuls repères identifiés dans cette localisation géographique (en attendant qu’un lecteur plus avisé me renseigne mieux là-dessus…).
- Sorø, dans l’île de Sjælland, sur la route qui mène de Nyborg à Copenhague, était le siège d’une Académie royale (Academia Sorana).
- Ancienne localité de la municipalité de Slagelse, voisine de Sorø, dont le nom moderne est probablement Skovsø.
- Le Rijksmuseum d’Amsterdam conserve le portrait gravé en 1658 d’une Brigitta Tott af Skedebo (1603-1679), illustré de vers latins qui lui confèrent toutes les qualités signalées par Bartholin.
- Bartholin rapportait l’observation princeps de la rare anomalie du développement embryonnaire (embryogenèse) qu’on appelle aujourd’hui fœtus in fœtu [fœtus dans un fœtus]. Une grossesse gémellaire viciée reste une des deux hypothèses qu’on invoque pour l’expliquer ; la seconde étant qu’il s’agit d’un tératome, tumeur dite germinale, bénigne ou maligne, composée de tissu embryonnaire plus ou moins différencié (immature ou mûr), qu’on peut ne découvrir qu’à l’âge adulte, siégeant dans un ovaire, un testicule, ou même dans la boîte crânienne.
V. notule {d}, note [1], lettre latine 167, pour un débat tout à fait pertinent sur ces deux théories entre Guy Patin et Johann Daniel Horst.
- « C’est à toi de rechercher, car tu en es capable, les causes d’un phénomène si extraordinaire. Pour moi, je serai satisfait si je suis parvenu à bien dépeindre ce qui s’est passé » (Pline le Jeune, épître xxx, livre iv, La Fontaine merveilleuse, à Lucius Licinus Sura, sénateur romain du ier s., ami et conseiller de l’empereur Trajan).
Thomas Bartholin est revenu sur son observation dans le chapitre xvi, De Fœtu prægnante [Fœtus en portant un autre] (pages 124‑150), de sa De Insolitis Partus Humani Viis Dissertatio Nova… [Dissertation nouvelle sur les modalités insolites de l’accouchement humain…] (Copenhague, Peter Haubold, 1664, in‑8o). Il y expose toutes les curiosités reprises par Furetière dans la fin de sa définition, et propose (pages 132‑133) une autre explication du fœtus in fœtu, une fécondation du fœtus par la semence de son père, qui est à tenir aujourd’hui pour rigoureusement impossible :
Fieri ergo posse, ut virtus a paterno semine comunicata ipsi semini Matris, unde embryo primum constituebatur, ita efficax fuerit, ut succo alicui seminali Embryonis, ad hujusce uterum confluenti, (ut frequens est, fœtus femineos recens natos fluxum album pati, seu q. seminalis alicujus materiæ ad uterum confluxum, atq. ex utero effluxum,) efficaciam addiderit, qua ad fermentationem, seu spiritus ac naturæ, quæ in semine insunt exuscitationem, potuerit concitari.
[La vigueur que la semence paternelle a communiquée à la semence de la mère (ce qui a provoqué la conception du premier embryon) a pu être si puissante qu’elle a transmis sa force à quelque suc séminal de l’embryon en affluant vers son utérus (les filles nouveau-nées souffrent fréquemment de pertes blanches, comme si quelque matière séminale confluait vers l’utérus et s’en écoulait), qu’elle aurait pu féconder en lui imprimant l’excitation de l’esprit et de la nature qu’elle contient].
Mira tamen superfætatio in Venda urbe Livoniæ mulieri honestæ supervenit seculo superiori, quam a memoria nostra remotiorem, hactenusque sepultam in publicum protraham, lectu dignissimam. Uterum primo conceperat, et instantibus partus legitimi doloribus, nihil enixa est. Anno sequenti iterum gravida, justo puerperii tempore, masculum edidit. Anno demum insequente, morbo correpta primum conceptum exclusit, sed per partes et ossibus per vices exeuntibus. Superaret res fidem nostram, nisi publico instrumento Magistratus auctoritate sua firmasset, quod in pergamena sigillo publico munitum mihi exhibuit Vir excellentissimus D. Iohannus Below Archiater Magni Moschoviæ Ducis experimentissimus.
[Une remarquable superfétation est néanmoins survenue au siècle dernier chez une honnête dame de Venden en Livonie ; {a} la voici tirée de mes plus profonds souvenirs, où elle est restée enfouie jusqu’à ce jour, pour la présenter au public comme très digne d’être lue. Enceinte une première fois, cette femme avait été prise des douleurs normales qui annoncent un accouchement, mais n’avait rien enfanté. De nouveau enceinte l’année suivante, au terme normal, elle a donné naissance à un garçon. Un an plus tard, étant saisie d’une vive maladie, elle a expulsé le premier fœtus qu’elle avait porté, mais fragmenté et os après os. Le fait eût dépassé ma crédulité si l’autorité publique d’un magistrat ne l’avait confirmé par un parchemin portant son sceau officiel, que m’a montré le très éminent M. Johan Below, {b} très expérimenté archiatre du grand-duc de Moscovie]. {c}
- Aujourd’hui Ventspils en Lettonie.
- Johann Below (1601-1668) était professeur de médecine de l’Université de Tartu en Estonie.
- Suit (pages 166‑168), traduit de l’allemand en latin, le procès-verbal complet de cette observation extraordinaire, qui correspond probablement à un cas de grossesse extra-utérine (v. note [9], lettre 662) dont le fruit avait été incidemment expulsé au bout de deux ans.
Raram tamen superfœtationis historiam novissimam dabo. Anna mulier urbana quæ in mitris mulierum nostrarum confciendis occupatur, post festum Michaëlis ultimum, abortum exclusit solitis doloribus prægressis, remanente tumore quodam, quem pro hypochondriatico affectu interpretabatur. Frustra ad putaticium morbum varia Medicorum auxilia sollicitavit, cottidie enim aucto in majorem ventrem, mense hoc sanum alium vivumque fœtum natum vidit.
[Je vous relaterai pourtant une rare et toute récente observation de superfétation. Peu après la dernière Saint-Michel, {a} une femme dénommée Anna, passementière pour dames en notre ville, a avorté après avoir ressenti les douleurs coutumières ; il persistait une sorte de tumeur qui fut interprétée comme étant le fait d’une affection hypocondriaque. Elle a sollicité en vain le secours de divers médecins pour sa maladie imaginaire, {b} car son ventre augmentait tous les jours de volume et, ce mois-ci, elle a donné naissance à un autre enfant, sain et en vie.]
- Le 29 septembre.
- putaticium ne ressemble à aucune forme latine identifiable ; faute de meilleure idée, je l’ai interprété comme une coquille typographique pour putativum.
Le xviie s. ignorait encore les agents de la fécondation (ovule et spermatozoïde), avec une conception abstraite de ce qu’était la semence dans les deux sexes, laissant leur imagination vagabonder sur ses interactions et les caprices de ses aberrations.