À Gerardus Leonardus Blasius, le 28 janvier 1661

Note [33]

Page 99 des Commentaria, paragraphe intitulé Distinguantur : {a}

Ignorantiam adeo summam prodere haud pudet eos, qui cavitatem uteri in duas partes dividunt manifestas, quasi recto ductu duceretur protuberans quædam inæqualitas ab orificio sursum, quæ uterum dividat, in duos velut distinctos et a se invicem separatos sinus atque secessus. Inscitiæ in Anatomicos indicium non parvæ est ; in utero muliebri cellulas quærere ; majoris hinc contendere, posse fœminam fœtus plurimos concipere, superfœtationis enim causa non in utero sed semine quærenda. Monstruosos nasci tametsi rarum sit : rarior tamen superfœtatio est, et adeo quidem rara, ut nonnullis impossibilis habeatur. Cujus tamen manifestum in honesti civis uxore exemplum apparuit. Peperis hæc filium plene gestatum anno 1570. Decemb. die 7. hora decima vespertina, succedentibus omnibus, quæ ad felicem partum requiri solent. Postridie vero qui erat octavum, eadem hora, præter exspectationem obstetricis, ac sui ipsius, peperit eadem fœtum alterum, sed nondum quadrimestrem, utpote cui neque oculi, neque nares, neque os paterent, quem idcirco post conceptum fuisse satis manifestum. Beniven. de Abdit. Morb. causis cap. 3. Superfœtationis exemplum habet et Bernardus Gordonius cap. 2. particulæ vii.

[La honte de leur immense ignorance ne fait pas rougir ceux qui divisent la cavité utérine en deux parties distinctes, comme si une saillie anormale, s’étendant depuis l’orifice jusqu’au fond de l’utérus, y créait deux niches ou sinus bien séparés l’un de l’autre. Chercher de telles loges dans l’utérus de la femme est une preuve de profonde méconnaissance chez de tels anatomistes. Il est pire encore d’en déduire qu’une mère puisse concevoir plusieurs fœtus en même temps, car la cause de la superfétation n’est pas à chercher dans l’utérus, mais dans la semence. {b} Il est certes rare de voir naître des monstres, mais la superfétation est plus rare encore, et si rare même que certains la tiennent pour impossible. Néanmoins, un exemple manifeste en a été rapporté chez l’épouse d’un honnête citoyen : le 7 décembre 1570, à dix heures du soir, elle accoucha à terme d’un fils, avec toutes les suites qui ont coutume de marquer une heureuse délivrance ; mais le lendemain, le 8 à même heure, à la surprise de la sage-femme et bien sûr de la mère, sortit un second fœtus, âgé de moins de quatre mois, comme en attestaient l’absence d’yeux, de nez et de bouche, preuve manifeste du fait qu’il avait été conçu postérieurement au premier. {c} Dans Beniven., de Abdit. Morb. causis, chap. 3, se lit un exemple de superfétation, {d} ainsi que dans Bernardus Gordonius, chap. 2, particule vii]. {e}


  1. Gerardus Leonardus Blasius commentait ce propos de Johann Vesling sur l’utérus :

    Cavitatem intus exiguam obtinet, et simplicem in qua tamen dextræ a sinistris leviter prominula velut linea distinguuntur.

    [À l’intérieur, il possède une cavité étroite et simple, dans laquelle pourtant les parties droites et gauches sont séparées par une légère saillie ressemblant à une ligne].

  2. Tout cela est expliqué dans la suite de la présente note. L’utérus dit bicorne est aujourd’hui une anomalie congénitale bien connue et qui n’a rien d’exceptionnel ; mais elle n’est pas cause de superfétation.

  3. L’italique marque une citation dont je n’ai pas trouvé la source. Blasius l’a entièrement supprimée dans sa réédition de 1666, v. infra notes [34] et [57‑5], notule {a}.

  4. V. note [12], lettre 14, pour le traité posthume d’Antonius Benivenius de abditis nonnulis ac mirandis morborum et sanationum causis [sur quelques causes cachées et merveilleuses de maladies et de guérisons] (Florence, 1507). Le chapitre iii en est intitulée Lapides in tunica epatis reperti [Pierres trouvées dans la tunqiue du foie] (chez une femme qui n’était pas enceinte) ; j’ai vainement cherché, là comme ailleurs dans le livre, un cas de superfétation.

  5. V. note [58] du Traité de la Conservation de santé, chapitre ii, pour Bernard de Gordon, médecin montpelliérain du xiiie s., dont la plupart des écrits ont été réunis dans le Lilium Medicinæ [Lis de médecine], dont j’ai consulté l’édition de Lyon, Guilielmus Rouillius, 1559, in‑8o. Le chapitre ii de sa viiie et dernière particule (section), Quæ de passionibus membrorum generationis in utroque sexu, et antidotis ualentibus a capite ad pedes usque agit, continens capita xxiiii [Qui traite, en 24 chapitres, des maladies des organes de la reproduction dans les deux sexes, et des antidotes qui soignent de la tête aux pieds], et intitulé De satyriasis et priapismo [Du satyriasis et du priapisme], {i} avec cette remarque, pages 602‑603 :

    Quarto notandum, quod cætera animalia abhorrent coitum post conceptum. Primo, quia imaginatiua est propter naturam non propter uoluntatem, et si abundet, transit in pilos, cornua et ungues, quia appetitus est ad speciem et non ad delectationem. In mulieribus est contrarium, appetunt enim non solum propter speciem, sed propter delectationem, et cum hoc abundant in menstruis propter quæ stimulantur, et calfiunt, et cum hoc de delectatione præcedendi recordantur. Ideo accidit, quod quadam mulier peperit unum filium pulchrum, qui assimilabatur uiro suo, et post paucos dies peperit unum turpem qui assimilabatur amasio suo turpi, et hoc non fuisset nisi matrix post coitum fuisset aperta et dilatata. Appetunt igitur auidæ mulieres post coitum.

    [Il faut noter quatrièmement que les autres animaux fuient le coït après la conception. La première raison en est que l’imaginative dépend de la nature et non de la volonté, et si elle est excessive, elle passe dans les poils, les cornes et les griffes, {ii} car l’appétence est vouée à la préservation de l’espèce et non au plaisir. C’est le contraire chez les femmes : elles ont à la fois du désir pour la préservation de l’espèce et pour le plaisir ; elles en ont en abondance pendant les règles, qui les stimulent et les échauffent, et se souviennent du plaisit qu’elles ont éprouvé précédemment. {iii} Ainsi a-t-on vu une femme accoucher d’un beau garçon, qui ressemblait à son mari, et quelques jours après, mettre au monde un autre enfant hideux, qui ressemblait à son hideux amant ; et cela n’a pu se faire sans que la matrice demeurât ouverte et dilatée après le coït. Les femmes avides conservent donc leurs envies après le coït]. {iv}

    1. Page 601 :

      Satyriasis est continua uirgæ erectio cum desiderio et appetitu ad coitum. Priapismus est immoderata et continua erectio sine appetitu et desiderio.

      [Le satyriasis est une érection permanente de la verge avec désir et envie de copuler. Le priapisme est une érection irrépressible et permanente sans désir ni envie]. note [5], lettre 859, pour le dieu Priape qui est à l’origine du mot.

    2. L’imaginative est la « qualité qu’on attribue à une partie de l’âme, qui lui fait concevoir les choses, et s’en former une vraie idée » (Furetière), on dirait aujourd’hui « l’instinct » ; sa projection dans les phanères des animaux, quand il est excessif, me semble à interpréter comme sa transformation en agressivité.

    3. Avant que la grossesse n’ait supprimé leur règles (dont on peut douter qu’elles attisent ordinairement la libido).

    4. Sans adhérer à ces propos, je me suis efforcé de ne pas trahir la pensée de leur auteur en les traduisant.

La superfétation est une rareté obstétricale qui ne mériterait guère de s’y attarder ici si elle n’avait agité les esprits médicaux du xviie s., tiraillés entre l’émerveillement et l’incrédulité.

Le xviie s. ignorait encore les agents de la fécondation (ovule et spermatozoïde), avec une conception abstraite de ce qu’était la semence dans les deux sexes, laissant leur imagination vagabonder sur ses interactions et les caprices de ses aberrations.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Gerardus Leonardus Blasius, le 28 janvier 1661, note 33.

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(Consulté le 29/03/2024)

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