À Jan van Horne, le 6 septembre 1665

Note [6]

V. notes [6], lettre 14, [1], lettre 404, et [4], lettre latine 48, pour le Clypeus [Bouclier] (Rouen, 1655) de Guillaume de Hénaut, pseudonyme de Jacques Mentel, qui s’y attribuait la priorité sur Jean Pecquet pour la découverte du réservoir du chyle (citerne dite de Pecquet, v. note [23], lettre 152). Guy Patin disait curieusement ne pas bien se souvenir de ce petit livre, alors qu’il l’a plusieurs fois commenté au moment de sa parution.

Jan van Horne restait sûrement morfondu d’avoir été étrillé, 13 ans plus tôt, pour son Novus ductus chyliferus… [Nouveau conduit chylifère…] (Leyde, 1652, v. le 3e extrait de la lettre de Sebastianus Aletophilus [Samuel Sorbière] cité dans la note [5], lettre 390) où il avait revendiqué la primeur de cette description, mais sans citer Pecquet qui l’avait incontestablement devancé (en 1651). Patin voulait peut-être ôter à l’anatomiste de Leyde le consolant plaisir de lire ce passage du Clypeus (pages 6‑8), qui prétendait, mais un peu tard, ranger Pecquet à ses côtés dans la catégorie des ursurpateurs :

Illic, quasi rerum abditarum, et a mundo condito reconditarum inventio illustri tuæ prosapiæ quadam prærogativa hæreditaria esset, tu vel imberbis Apollo, quippe Baccalaureus, et Philiatrorum Archidiaconus electus anno 1629, oblata de venis lacteis Asellii disserendi occasione, forte etiam edito cane in theatrum anatomicum, apertis a te, coram omnibus, eius visceribus, felici admodum successu, cum venarum lactearum insertionem sequeris, ecce cum omnium spectantium admiratione, et acclamatione publica, primus omnium mortalium chyli receptaculum aperis. Longua sic pour Longa > est a te facti periculi eiusdem historia ; nam ibidem anno 1635 Chirurgiæ Professor meritissimus eius artis Alumnis quamplurimis idem reseras : cuius rei testes oculati sunt non pauci ; præsertim eius fidem facit quidam Chirurgus Parisiensis nomine Fournier. Eodem loco anno 1647. Scholarum Parisiensium electus Professor Dignissimus, et sequentibus annis, cum frequentibus dissectionibus das operam magna comitante caterva, dissecante Chirurgico cognominato Gayant, præsente, et attestante vel ipso Pecqueto missa ad te epistola data secundo die augusti anno 1650, et quorum pars magna fui, rursus idem chyli receptaculum nobis indigitas. Cui sane tuo felici invento multum debet doctrina pecquetiana, et de te iure merito dicet, quod Æoliæ Rex olim Iunoni,

Tu mihi quodcumque hoc regni est, tu scept<r>a, Iovemque
Concilias, tu das epulis accumbere Divum
.

[Comme si tu avais hérité de ton illustre ancêtre le don de découvrir les secrets et les mystères enfouis dans le monde souterrain, {a} tu n’étais qu’un imberbe Apollon, un simple bachelier, mais élu archidiacre des philiatres en l’an 1629, {b} quand l’occasion t’a été offerte de discourir sur les vaisseaux lactés d’Aselli. {c} Alors, dans l’amphithéâtre d’anatomie, ayant tué un chien, tu lui as ouvert le ventre sous les regards de tous, et avec fort heureux succès, en disséquant les veines lactées jusqu’à leur terminaison, voilà qu’admiré par l’auditoire et sous ses acclamations, tu fus le premier de tous les mortels à trouver le réservoir du chyle. Cette expérience que tu fis a eu une longue histoire : en 1639, ayant hautement mérité d’être élu professeur de chirurgie dans cette même École, tu as répété ton observation devant quantité d’étudiants en médecine ; elle n’a pas manqué de témoins oculaires, comme en fit notamment foi un chirurgien parisien du nom de Fournier. {d} Toujours au même endroit, on t’a choisi en 1647 pour être élevé à la très haute dignité de professeur des Écoles de Paris, {e} et les années suivantes, en présence de nombreux spectateurs, tu as souvent dirigé des dissections que pratiquait un chirurgien dénommé Gayan ; {f} Pecquet en personne y a assisté, comme en témoigne la lettre qu’il t’a envoyée, datée du 2 août 1650 ; {g} je fus {h} présent à la plupart de ces séances, et tu nous y as encore et encore montré du doigt le réservoir du chyle. La doctrine de Pecquet doit vraiment beaucoup à ta découverte et tu mériteras bien qu’il te dise, comme fit jadis Éole à Junon :

Tu mihi quodcumque hoc regni est, tu sceptra, Iovemque
Concilias, tu das epulis accumbere Divum
]. {i}


  1. Le discours, adressé à Jacques Mentel, fait allusion à son ancêtre Jean Mentelin (ou Mentel), imprimeur de Strasbourg au xve s., à qui Johannes Gutenberg aurait volé la gloire d’avoir inventé l’imprimerie (v. note [34], lettre 242).

  2. Bachelier âgé de 30 ans (ce qui n’était pas particulièrement précoce), Mentel avait été élu prosecteur d’anatomie (archidiacre, v. note [49], lettre 152) par les étudiants (philiatres) de la Faculté de médecine de Paris. Mentel avait ensuite été reçu docteur régent en novembre 1633.

  3. V. note [10], lettre latine 15, pour Gaspare Aselli, professeur de Pavie qui a le premier décrit les vaisseaux lactés du mésentère en 1622 (observation publiée en 1627).

  4. V. note [13], lettre 514, pour Denis Fournier, chirurgien de Saint-Côme.

  5. V. notule {c}, note [5] des Actes de la Faculté de médecine (1650-1651) pour les deux « professeurs des Écoles de Paris » qui étaient élus pour enseigner la médecine pendant deux années consécutives (physiologie puis pathologie).

    La reconduction de Mentel, pour sa seconde année, a été prononcée par l’Assemblée du 2 novembre 1647 (Comment. F.M.P. tome xiii, page 358 votome xiii, page 358 ro) :

    Prorogata porro fuit professio docendi Medicinam Magistro Jacobo Mentel.

    [Maître Jacques Mentel a été reconduit pour un an dans la charge de professer la médecine].

    Guillaume de Hénaut, prétendu Rouennais, était décidément bien au courant des délibérations et pratiques des Écoles de Paris.

  6. Louis Gayant (ou Gayan), autre chirurgien de Saint-Côme (v. note [7], lettre 921).

  7. Je n’ai pas trouvé la trace imprimée de cette lettre. Pecquet a publié la réponse que lui a faite Mentel, le 13 février 1651, dans ses Experimenta nova anatomica [Expériences anatomiques nouvelles] (Paris, 1654), v. deuxième notule {a}, note [4], lettre 360.

  8. Ce « je fus » (fui) vient de Hénaut, mais Guy Patin a affirmé que Jacques Mentel se déguisait sous ce pseudonyme (v. note [4], lettre latine 48).

  9. « C’est toi qui me vaux ce que j’ai de pouvoir : et mon sceptre, et la faveur de Jupiter. C’est toi qui me donnes le droit de m’asseoir aux festins des dieux » : paroles d’Éole à Junon dans Virgile (v. note [2], lettre 431).

Pour conclure sur ce débat, j’adhère volontiers à l’opinion que Hyginus Thalassius, alias Pierre de Mersenne, a écrite en 1654 (v. la dernière partie de la note [5], lettre 390). Une lecture soigneuse du Clypeus m’a convaincu que Mentel était de bonne foi quand il afirmait avoir maintes fois montré le réservoir du chyle en disséquant publiquement à Paris, entre 1629 et 1647, sans douter que Pecquet eût asissté à ces séances. Néanmoins, le reste du livre répète et défend les étincelantes déductions que Pecquet en a tirées sur les voies du chyle et sur son rôle dans la formation du sang hors du foie (publiées en 1651), sans garantir au lecteur que Mentel avait lui-même entrevu ces découvertes capitales. Il y a un monde entre décrire une structure anatomique et démontrer sa fonction complète.

Quant à van Horne, sans l’accuser de plagiat volontaire, il est difficile de ne pas le blâmer pour avoir négligé de lire ce que Pecquet avait publié un an avant lui.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Jan van Horne, le 6 septembre 1665, note 6.

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(Consulté le 23/04/2024)

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