À Jan van Horne, le 18 juin 1668

Note [5]

Pages 217‑218 de la Microtekne de Jan van Horne (1668), sur la transfusion sanguine et l’injection intraveineuse, filles de la circulation du sang :

Intelligo autem Chirurgiam Infusoriam Cl. Professoris Jo. Dan. Majoris, aut D. Elsholzii Clysmaticam Novam, quando per apertam venam immisso tubulo, mediante siphone liquor aliquis nutriens, alterans, cardiacus aut purgans injicitur, qui ad Cor transiens, et deinceps arterias universumque corporis habitum perambulans, eosdem producit effectus, sed breviori tempore, ac si ore haustus in ventriculum demissus fuisset. Hoc ipsum artificium postea amplificatum fuit, facta transfusione sanguinis arterioso canis in venas alterius canis. Imo, ut diarium Doctorum 28 Junii anni superiorioris Gallico idiomate conscriptum, nobis retulit, tentatum fuit hoc experimentum in duobus hominibus, in quorum venas, ad aliquot uncias exinanitas, transfusus fuit sanguis arteriosus agni, qui etiam melius exinde habuerunt : Nec mirum, in locum enim sanguinis haud ita probi, alius inculpatus substitutus fuit. Alium modum transfusendi sanguinem excogitavit D. Tardy M. Doct. Parisiensis ex uno homine in alium : quandoquidem verò arterias majores aperire fas non est in homine, consulit idem, ut sanguis ex unius hominis vena emissus in alterius venam derivetur mediante tubulo : quod & nos in canibus duobus, multis præsentibus ostendimus. Nihil amplius addam, quia Chirurgica Operatio est nova, cujus utilitas frequentioribus experimentis est confirmanda.

[Mais j’entends aussi la Chirurgia infusoria du très distingué professeur Johann Daniel Major, {a} ou la Clymatica nova de M. Elsholtz : {b} quand, après avoir introduit un petit tuyau dans une veine qu’on a incisée, on injecte à l’aide d’un siphon quelque liqueur nutritive, altérante, cardiaque ou purgative, elle se transporte vers le cœur puis circule dans les artères et dans tout le corps, produisant les mêmes effets, mais en un temps plus bref que si elle était descendue dans l’estomac en la buvant. Ce même procédé a ensuite été élargi en transfusant le sang d’un chien dans les veines d’un autre chien. Et même, comme cela a été relaté en français dans le Journal des Sçavans daté du 28 juin de l’an dernier, l’expérience a été tentée chez deux hommes : le sang artériel d’un agneau a été transfusé dans leurs veines, d’où on a vidé quelques onces de sang, et ils s’en sont encore trouvés mieux ; ce qui n’est pas étonnant, car à un sang qui n’était pas de bonne qualité, on a substitué un autre qui était sans défaut. {c} M. Tardy, docteur en médecine de Paris, a conçu une autre manière de transfuser du sang d’un homme à un autre : {d} puisqu’on ne peut se permettre d’ouvrir les grosses artères chez l’homme, il s’est avisé de dériver, à l’aide d’un petit tuyau, le sang émis par la veine d’un homme dans celle d’un autre ; et c’est ce que nous avons démontré chez deux chiens, en présence de nombreuses personnes. Je n’ajouterai rien de plus, parce que cette opération chirurgicale est nouvelle et que son utilité est à confirmer par de plus amples expériences]. {e}


  1. V. note [9], lettre latine 346, pour la Chirurgia infusoria [Chirurgie d’infusion] de Johann Daniel Major (Leipzig, 1664), l’un des premiers ouvrages publiés sur le sujet.

  2. Johann Sigismund Elsholtz (Francfort-sur-l’Oder 1623-Berlin 1688), docteur de Padoue en 1653, médecin et botaniste berlinois : Clysmatica nova, sive ratio nova qua in venam sectam medicamenta immitti possunt ; addita etiam omnibus sæculis inaudita sanguinis transfusione [Le Clystère nouveau, ou la nouvelle méthode qui permet d’injecter des médicaments dans une veine incisée ; avec aussi la transfusion de sang inconnue jusqu’alors] (Cologne, 1661, in‑8o ; réédition à Berlin, 1667).

  3. Lettre de M. Denis, professeur de philosophie et de mathématiques, à M. de Montmor, premier maître des requêtes, touchant deux expériences de la transfusion faites sur des hommes, in‑4o, à Paris, chez J. Cusson (Le Journal des Sçavans, du lundi [sic pour mardi] 28 juin 1667, par le Sr G.P., no xi, pages 134‑136) :

    « Enfin, la transfusion du sang, que quelques-uns croyaient impossible, que plusieurs jugeront dangereuse, et que la plupart estimaient au moins inutile, s’est heureusement faite sur deux hommes ; et la première expérience qu’on en a faite a guéri une personne d’une maladie assez fâcheuse. On verra dans cette lettre le récit de ces deux expériences, avec plusieurs raisonnements pour et contre cette opération. […] La première épreuve se fit sur un jeune garçon de 15 à 16 ans qui était travaillé d’une maladie à laquelle on crut que la transfusion serait bonne. Ce garçon, qui de son naturel était assez dispos et assez éveillé, depuis une fièvre opiniâtre dont il avait été tourmenté plus de deux mois, et pour laquelle les médecins l’avaient fait saigner vingt fois, était devenu si pesant et si assoupi qu’il en était tout stupide. Il avait presque perdu la mémoire, son esprit était émoussé et quoiqu’il dormît dix et douze heures toutes les nuits, il s’assoupissait le jour en se mettant à table, en mangeant et en faisant toutes les choses qui ont coutume de chasser le sommeil. On jugea que cet assoupissement venait de ce que le peu qui lui restait de sang s’était trop épaissi par l’ardeur de la fièvre qu’il avait eue ; et ainsi, l’on crut qu’on l’en pourrait guérir en lui donnant de nouveau sang. Ce remède ayant été approuvé, M. Emmerez, {i} qui a une adresse particulière pour cette opération, lui ouvrit sur les cinq heures du matin une veine au pli du coude, et après qu’il en eut tiré environ trois onces de sang, qui était extrêmement noir et épais, il lui donna aussitôt, par la même ouverture, du sang artériel d’un agneau dont il avait ouvert la carotide. Pendant l’opération, ce malade qu’on interrogeait souvent de l’état où il se trouvait, ne se plaignit d’aucune chose, sinon que depuis l’ouverture de la veine jusque sous l’aisselle, il sentait une grande chaleur (qui venait du cours du sang artériel) et néanmoins, il laissa achever l’opération sans témoigner en être beaucoup incommodé. Après qu’on lui eut donné environ huit onces de sang, on ferma l’ouverture de la veine, de la même manière qu’on fait aux saignées ordinaires, et on observa soigneusement ce qui lui arriverait. Le premier avantage qu’il reçut de la transfusion, c’est qu’il se sentit aussitôt allégé d’un mal de côté qu’il avait, pour être tombé le jour précédent, du haut d’une échelle de dix pieds. Il fut aussi en peu de temps parfaitement guéri de son assoupissement ; et dès le même jour, s’étant levé sur les dix heures du matin, il parut beaucoup plus gai que de coutume et dîna fort bien sans s’endormir. Sur les quatre heures du soir, il saigna par le nez trois ou quatre gouttes de sang, et ayant ensuite bien soupé, il dormit seulement depuis dix heures du soir jusqu’à deux heures après minuit, qu’il se réveilla et ne put dormir davantage. Mais le lendemain, il dormit un peu plus longtemps et encore davantage les jours suivants, jusqu’à ce qu’il s’est peu à peu rétabli en parfaite santé, sans avoir été depuis incommodé de son assoupissement. Cette première expérience ayant heureusement réussi, on en fit une seconde, mais plus par curiosité que par nécessité ; car celui sur qui on la fit n’avait aucune indisposition considérable. C’était un porteur de chaise fort et robuste, âgé d’environ 45 ans, qui pour une somme assez modique, s’offrit à endurer cette opération. Comme il se portait bien et qu’il avait beaucoup de sang, on lui fit une transfusion bien plus grande que la première, car on lui tira environ dix onces de sang et on lui rendit à peu près une fois autant de sang d’un agneau dont on avait ouvert l’artère crurale pour diversifier l’expérience. Cet homme, qui de son naturel était assez gai, fut de très belle humeur pendant toute l’opération, fit plusieurs réflexions suivant sa portée sur cette nouvelle manière de soigner, dont il ne pouvait admirer assez l’invention et ne se plaignit de rien, si ce n’est qu’il sentait, comme le premier, une grande chaleur depuis l’ouverture de la veine jusqu’à l’aisselle. Aussitôt que l’opération fut faite, on ne le put empêcher d’habiller lui-même l’agneau {ii} dont il avait reçu le sang ; ensuite de quoi, il alla trouver ses camarades, avec lesquels il but une partie de l’argent qu’on lui avait donné. Et nonobstant qu’on lui eût ordonné de se tenir en repos le reste de la journée et qu’il eût promis de le faire, sur le midi, trouvant occasion de gagner de l’argent, il porta sa chaise à l’ordinaire pendant tout le reste du jour, assura qu’il ne s’était jamais si bien porté, et le lendemain, pria qu’on n’en prît point d’autre que lui quand on voudrait recommencer la même opération. » {iii}

    1. Paul Emmerez, v. note [5], lettre 645.

    2. En ôter la peau et les tripes, et le mettre en état d’être coupé et cuit.

    3. V. note [2], lettre latine 471, pour la conclusion de l’article.
  4. Traité de l’écoulement du sang d’un homme dans les veines d’un autre et de ses utilités, par M. C. Tardy [v. note [35], lettre 156], docteur en médecine, à Paris chez J. du Bray et Cl. Babin (Le Journal des Sçavans, lundi 13 juin 1667, par le Sr G.P., no x, pages 117‑118) :

    « L’expérience ayant fait voir que la transfusion du sang est non seulement possible, mais encore facile, il reste maintenant de savoir s’il est à propos de la pratiquer sur les hommes, et si l’on peut tirer quelque avantage considérable pour la conservation de la santé ou pour la guérison des maladies. L’auteur de ce traité prétend que cette opération doit encore mieux réussir sur les hommes que sur les bêtes. Mais pour éviter les inconvénients qui suivent souvent l’ouverture des artères, il croit qu’au lieu de faire la transfusion d’artère à veine, comme on l’a pratiquée jusqu’ici sur les bêtes, il vaudrait mieux la faire de veine à veine, faisant passer le sang d’une des veines du bras d’un homme dans une veine du bras d’un autre. Il enseigne la manière de faire cette opération, et il traite des précautions qu’il faut apporter afin qu’elle réussisse. Cependant, il suppose que la personne qui fournit le sang ne donne que celui qui lui est superflu ; car autrement, cette opération serait barbare. Pour les utilités qu’on peut en tirer, il tient que les vieillards et ceux dont les vaisseaux sont pleins de mauvaises humeurs et de sang corrompu, peuvent par le moyen de la transfusion se garantir des maux dont ils sont menacés, et entretenir leur constitution naturelle. Il dit aussi que cette opération est très utile pour la guérison des maladies qui viennent de l’acrimonie du sang comme sont les ulcères, les érésipèles, etc. Les médicaments que l’on prend guérissent difficilement ces sortes de maladies parce qu’ils perdent leur force avant qu’ils puissent venir à l’endroit où est le mal. Mais un nouveau sang bien tempéré allant directement dans les parties malades par le moyen de la transfusion, doit donner un soulagement beaucoup plus prompt et plus assuré. Au reste, cet auteur remarque que le sang d’un homme n’est pas absolument nécessaire pour cette opération, et que celui d’un veau ou d’un autre animal peut faire les mêmes effets. »

  5. Les remarques acerbes de Guy Patin contre Tardy n’ont abouti à aucune modification de ce passage dans la réédition de 1675 (pages 155‑156).

    La transfusion sanguine s’est longtemps heurtée à l’incompatibilité des sangs humains entre eux, responsable de désastreux accidents, dont les deux relations du Journal des Sçavans ne faisaient nullement état, préférant promouvoir la nouveauté, si invraisemblable fût-elle, que la vraie science. L’obstacle n’a été franchi qu’en 1900, avec la découverte des groupes sanguins par l’Autrichien Karl Landsteiner (prix Nobel en 1930).

    V. note [2], lettre latine 279, pour le contresens sur la conception de la transfusion par le paracelsiste Andreas Libavius dès 1615.



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Jan van Horne, le 18 juin 1668, note 5.

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(Consulté le 24/04/2024)

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