Autres écrits : Thomas Diafoirus (1673) et sa thèse (1670)

Note [18]

Le Discours contenant le jugement du Sieur Riolan touchant le mouvement du sang…, publié en 1658 (v. supra note [17]), est fort enthousiaste sur les utilités vitales de la circulation (Manuel anatomique et pathologique…, 1672, pages 716‑727) :

« Mais ce n’est pas assez qu’un médecin connaisse la circulation s’il ne la sait réduire à l’usage de son art, et en profiter pour la guérison des maladies. Or, considérant comme médecin les utilités de la circulation du sang, il s’en présente une infinité à mes yeux ; mais il s’en rencontrera dorénavant encore bien davantage en la méditant tous les jours et en l’observant dans les cures des maladies.

En premier lieu, les chirurgiens apprennent de la circulation du sang les moyens de bien faire la phlébotomie, de faire sortir le sang facilement par l’ouverture, et de l’arrêter en bref quand ils veulent.

[…] Pour ce qui regarde le médecin, outre les utilités susdites de la circulation du sang qui lui sont communes aussi bien qu’au chirurgien et au philosophe, il connaîtra que le reflux du sang des artères dans les veines, pour retourner au cœur, est nécessaire à éventer le sang, en exhaler une portion, le nettoyer, le diminuer et le rafraîchir ; toutes ces commodités ne se pouvant faire par les artères qui sont six fois plus épaisses que les veines […].

Or les veines sont soupiraux d’autant que {a} les vapeurs inutiles du sang, les esprits flatueux et les sérosités s’exhalent et sortent par la tendresse de leurs membranes. Et par ainsi, la masse du sang se nettoie et purifie de ses ordures les plus subtiles, et le sang bouillant des artères se rafraîchit, passant par les veines ; car il perd beaucoup de son ardeur lorsque sa chaleur et ses esprits s’exhalent à travers des membranes, se convertissant le plus souvent en sueur.

Cette utilité de la circulation n’est pas ténue puisqu’elle empêche que les parties du corps ne soient accablées par une affluence de sang trop soudaine, et que la chaleur naturelle ne soit suffoquée, comme elle serait au défaut de ce soupirail, de cette évacuation et de ce rafraîchissement continuel. Car l’abondance et l’amas de sang serai<en>t fort dangereux s’il n’avait cette distribution, qui nous délivre de ce danger si funeste par la circulation du sang.

[…] La circulation du sang nous indique les moyens de guérir les maladies des parties éloignées par des médicaments convenables, tant altératifs que purgatifs ; mêmement par des aliments et médicaments souvent continués, afin que leur vertu puisse parvenir à ces parties éloignées par le passage fréquent du sang circulé qui, étant imbu des qualités de ces médicaments, agit à la fin sur la partie affectée et change sa mauvaise disposition.

[…] La circulation du sang nous montre quand, combien, comment il faut purger les malades, supposant la séparation et différence qu’il y a entre la veine porte et la veine cave, qui n’ont point, ou du moins fort peu de communication entre elles dedans le foie. {b} Car d’autant que {a} la plupart des impuretés du corps s’engendrent et s’amassent dans la région du bas ventre, et que les excréments de la première et de la seconde concoction se retirent et se réservent dans les parties de la première région, {c} n’y ayant que le sang seul qui naturellement se répande et coule par les veines et les artères les plus grandes et circulatoires, qui ne connaîtra point qu’il faut purger au commencement des maladies, et quand elles sont un peu avancées, et en leur déclin, pourvu que la nécessité y soit, et la commodité ?

[…] Mais bientôt après la purgation, il faudra user de la saignée, laquelle désemplira les plus grands vaisseaux et modérera l’ardeur du sang. Néanmoins, il vaudra mieux faire la saignée devant la purgation ; et lorsqu’on aura pourvu en quelque façon à la plénitude des vaisseaux, < par > crainte que les humeurs renfermées dans les conduits de la veine porte et dans les parties concaves du foie n’entrent dans la veine cave. Pourvu que l’ardeur de la fièvre soit un peu apaisée et qu’il n’y ait point d’inflammation {d} en quelque partie principale, il y aura lieu de purger, le septième jour étant passé, rarement devant le septième ; encore en ce cas faut-il user de grande préméditation et de circonspection. Et pour lors, les médicaments purgatifs seront doux, bénins et minoratifs qui, en évacuant doucement, rafraîchissent sans grande douleur et sans troubler beaucoup le corps ; ce qui se fera par épicrase. » {e}


  1. Étant donné que.

    La traduction de spiracula en soupiraux est juste ; dans la phrase qui précède (non transcrite ici), Riolan attribue la paternité de l’analogie à Hippocrate, lib. de morbo sacro [au livre sur la maladie sacrée].

  2. La veine porte collecte le sang venu du tube digestif et le conduit dans le foie, qu’elle pénètre par sa face inférieure (ou concavité). Contrairement à ce que croyait Riolan, la veine porte et la veine cave inférieure (v. supra note [7]) échangent leur sang à l’intérieur du foie par un très riche réseau d’anastomoses (capillaires hépatiques veino-veineux ou système porte) ; le sang quitte le foie par les veines sus-hépatiques qui sortent de sa face supérieure (ou convexité) et se jettent, après un très court trajet, dans la veine cave.

  3. La première région était la tête, mais pouvait aussi désigner la partie haute et postérieure, dite sus-mésocolique, de l’abdomen : v. note [1], lettre 151.

  4. V. note [6], lettre latine 412.

  5. V. note [17], lettre 80, pour l’épicrase qui conclut la tirade de Riolan. Naguère professeur au Collège de France, il ne pouvait se résoudre à dire « je ne comprends plus », et s’acharnait à maintenir une impossible cohérence entre les deux intitulés de sa chaire : l’anatomie mise sens dessus dessous par la découverte de la circulation du sang puis des voies du chyle, et la pharmacie encore figée dans sa fidélité désuète aux remèdes hippocratiques (purge et saignée).

En méditant sur cette citation de Riolan et en cherchant à comprendre l’inexplicable, je me suis demandé si, douze ans plus tard, sans craindre le ridicule, Guy Patin ne voulait pas, en naviguant pathétiquement à contre-courant, redonner quelque lustre à la chaire royale d’anatomie qu’il avait héritée de son maître en 1655, mais lamentablement livrée à la décadence par faute et de compétence et d’intérêt pour cette matière, bien qu’elle fût alors le principal théâtre du progrès médical. Tout aurait sans doute été bien différent pour le prestige du Collège de France, si cet enseignement avait échu à un médecin de la trempe Jean Pecquet (v. note [15], lettre 280).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Thomas Diafoirus (1673) et sa thèse (1670), note 18.

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(Consulté le 29/03/2024)

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