Autres écrits : Thomas Diafoirus (1673) et sa thèse (1670)

Note [19]

V. supra notules {a} et {b}, note [11], pour les cæcæ porositates et cæci ductus d’Harvey (mort en 1657).

Marcello Malpighi (1628-1694), professeur à Bologne, est l’anatomiste du xviie s. dont l’absence dans les lettres de Guy Patin est la plus remarquable. Inventeur de la microscopie médicale, il avait apporté dès 1661 la précieuse dernière pièce qui manquait à l’édifice circulatoire sanguin : la continuité entre les plus petites artères et les plus petites veines, par l’intermédiaire du réseau capillaire, qu’il observa chez les batraciens et les reptiles. Cette découverte tient en quelques lignes de la Marcelli Malpighi de Pulmonibus epistola altera ad Io. Alphonsum Borellium [Seconde lettre de Marcello Malpighi à Giovanni Alfonso Borelli {a} sur les poumons], publiée en 1661 (tome 2, pages 329‑330) : {b}

Ex his igitur ad prima problemata resolvenda ex analogia, simplicitaque qua utitur Natura in suis operibus, colligi potest rete illud, quod alias nerveum credidi vesicis, et sinibus immixtum vas esse deferens sanguineum corpus, seu idem deferens, et quamvis in perfectorum animantium pulmonibus in medio annulorum retis aliquando vas desinere ; et hiare videatur, probabile tamen est, prout sit in cellulis ranarum et testudinum, illud vas minima ulterius propagata vasa ad modum retis habere, quæ propter exiguitatem suam exquisitam etiam sensum effugiant.

Ex his etiam summa cum probabilite illud solvi potest de mutua vasorum unione, et anastomosi, etenim si semel intra vasa Natura sanguinem volvit, et vasorum fines in rete confundit, probabile est etiam in aliis anastomosim iungere, hoc evidenter deprehenditur in ranarum vesica ab urina turgente, in qua citatus sanguinis motus per diaphana vasa mutua invicem anastomosi iuncta observatur, quin et vasa ista illum sortita sunt nexum, et progressum, quem in foliis omnium fere arborum illarum venæ, sive fibræ perpetuo designant.

[De tout cela donc, par analogie et suivant la simplicité dont la Nature fait preuve en ses œuvres, et pour résoudre les questions initialement posées, on peut conclure que le réseau, que j’avais d’abord cru être de nature nerveuse, est en réalité un vaisseau qui se mêle étroitement aux vésicules et aux alvéoles, y apportant le corps sanguin et l’en remportant ; et ce, même si dans les poumons des animaux supérieurs un vaisseau se termine parfois au milieu d’un réseau de boucles ; mais étant donné que ce vaisseau est visiblement béant, comme c’est le cas dans les logettes des grenouilles et des tortues, il émet probablement de minuscules rameaux qui se prolongent au delà, à la manière d’un filet ; en raison de leur exiguïté, ceux-là échappent même à la vue la plus perçante.

De tout cela aussi, on peut déduire avec très forte probabilité ce qui suit sur l’union mutuelle des vaisseaux et leur anastomose : de même que la Nature fait circuler le sang à l’intérieur des vaisseaux et mélange les extrémités des vaisseaux dans un réseau ; de même, une anastomose les joint probablement à d’autres. Cela se découvre clairement dans la vessie des grenouilles gorgée d’urine, où s’observe alternativement le mouvement rapide du sang au travers de vaisseaux transparents joints entre eux par anastomose. Comment alors ne pas convenir que ces vaisseaux ont choisi le même entrelacement et la même marche que les veines ou nervures dessinent à l’infini dans les feuilles de presque tous les arbres ?]


  1. Mathématicien, médecin et physiologiste (Naples 1608-Rome 1679).

  2. Bologne, J.B. Ferronius, 1661, in‑fo de 9 pages ; les pages citées en référence sont celles de la réimpression de la lettre dans les Opera omnia de Malpighi (Leyde, Petrus Vander Aa, 1687, 2 tomes en un volume in‑4o) ; elle a été entièrement traduite en français par M. Sauvalle dans le Discours anatomiques sur la structure des viscères, savoir du foie, du cerveau, des reins, de la rate, du polype [thrombus intracavitaire] du cœur, et des poumons. Par Marcel Malpighi, philosophe et médecin de Bologne…, Paris, Laurent d’Houry, 1687, in‑8o, pages 354‑372.

Voir ainsi les capillaires, c’était trouver le chaînon qui manquait encore dans le circuit du sang. Patin était trop bien informé d’ordinaire pour ne pas avoir eu connaissance de cette formidable découverte mais il n’en avait pas perçu l’immense intérêt. La lettre latine de Thomas Bartholin, datée du 30 septembre 1663 (v. sa note [4]) en fournit la preuve, car il y annonçait à Patin l’envoi de sa :

De pulmonum substantia et motu Diatribe. Accedunt Cl. V. Marcelli Malpighij de Pulmonibus Observationes Anatomicæ.

[Discussion sur la substance et le mouvement des poumons. Avec les Observations anatomiques du très distingué M. Marcello Malpighi sur les poumons]. {a}


  1. Copenhague, Henricus Gödianus, 1663, in‑8o de 127 pages.

La seconde lettre de Malpighi à Borelli sur les poumons y est intégralement reproduite (pages 119‑127), avec la figure ii de sa tabe ii, Continens cellulam simplicissimam absque intermediis parietibus aucta in magnitudine [Qui montre, en agrandissement (dans le poumon d’une grenouille), la cellule la plus élémentaire (l’alvéole) sans parois intermédiaires] :

  1. Cellulæ area interior [Aire interne de l’alvéole] ;

  2. Parietes divulsi, et inclinati [Parois écartelées et obliques] ;

  3. Arteriæ pulmonariæ truncus cum appensis ramis, quasi reticulato opere desinentibus [Tronc de l’artère pulmonaire avec les rameaux qui en émanent, se résolvant en une organisation qui ressemble à un filet] ;

  4. Venæ pumonariæ truncus parietum fastigia pererrans suis decurrentibus ramis [Tronc de la veine pulmonaire se dirigeant vers la surface des parois en recevant les rameaux qui la rejoignent] ;

  5. Vas in fundo et angulis parietum commune lateralibus, et continuatis retis ramificationibus [Vaisseau dans le fond et les angles des parois, commun ramifications latérales et continues du filet].

Crédit : Wellcome Library, London

Dans sa Diatribe (pages 43‑44), Bartholin a salué avec enthousiasme le bond que la découverte de Malpighi permettait d’accomplir en physiologie ; rien moins que l’intuition des échanges gazeux vitaux qui se font dans les poumons (auxquels on a depuis donné le nom d’hématose) :

Pro aere vel recipiendo vel efflando operas partiuntur vasa pulmonaria ad commodum cordis et corporis totius. Inspiratur aer in inspiratione pro arteriæ venosæ sanguine ventilando, densando, vel miscendo antequam cordis ventriculo sinistro infundatur. Expiratur alius in expiratione qui ex vena arteriosa cum sanguine venit, eoque expurgatur cordis fuligines, vel quod suspicor, aer flatusque superfluus in crudo sanguine. Colligitur utriusque aer in substantia ipsa pulmonum, in quam omnia vasa pulmonaria desinere videntur, hoc est, in ipsis intersitiis seu cavitatibus, quæ substantiam pulmonum componunt, ubi veluti Æoli est officina et aeris externi internique lacuna seu alveus, quia in his interstitiis collectam aquam vidit Malpighius et Mercurium ex vasis expressum, in ranæ pulmone cavitas hæc amplior aerem pro libitu diu retinet attractum. An vesicularum aliqua sit distinctio, ut aerem retineant, illæ expellant, discerni à nemine potest.

[Pour l’avantage du cœur et de tout le corps, les vaisseaux pulmonaires partagent les fonctions de recevoir l’air et de l’exhaler. Dans l’inspiration, l’air est aspiré pour éventer, condenser ou mêler le sang de l’artère veineuse, {a} avant qu’il ne se déverse dans le ventricule gauche du cœur. Dans l’expiration, un autre air est exhalé, venu de la veine artérieuse avec le sang ; ainsi purge-t-elle les suies du cœur ou, comme je le soupçonne, l’air et la flatuosité excessive qui sont contenus dans le sang cru. {b} Ces deux airs se ramassent dans la substance même des poumons, là où les vaisseaux pulmonaires semblent s’interrompre ; c’est-à-dire dans ces interstices ou cavités qui composent la substance des poumons, là où se tient, semblable à l’atelier d’Éole, {c} la fossette ou l’alvéole qui recueille l’air venu du dehors et du dedans ; parce que cette cavité est plus vaste dans le poumon de la grenouille, elle a le loisir de retenir longtemps l’air qui y a été attiré, et Malpighi y a vu de l’eau se collectant dans ces interstices, et le mercure y sortant des vaisseaux. {d} Nul ne peut établir de distinction entre des vésicules qui retiendraient l’air et d’autres qui le chasseraient].


  1. Préfiguration de l’oxygène (O2) que capte le sang des capillaires pulmonaires, drainé par les veinules pulmonaires (racine des « artères veineuses » ou veines pulmonaires) vers les cavités gauches du cœur (v. note [4] de La circulation du sang expliquée à Mazarin).

  2. Préfiguration du dioxyde de carbone (CO2) que rejette le sang « cru » (impur) des capillaires pulmonaires (ramifications de la « veine artérieuse » ou artère pulmonaire), venus des cavités droites du cœur. (v. note [3] de La circulation du sang expliquée à Mazarin).

  3. Réminiscence de Virgile (Énéide, chant i, vers 52‑55) :

    Æoliam venit. Hic vasto rex Æolus antro
    luctantes ventos tempestatesque sonoras
    imperio premit ac vinculis et carcere frenat
    .

    [Elle (Junon) se rend en Éolie. Là, dans sa vaste caverne, le roi Éole fait peser son pouvoir sur les bruyantes tempêtes et les vents rebelles, les retenant enchaînés dans leur prison].

  4. Allusion aux observations sur les poumons d’un chien fraîchement tué (et non d’une grenouille) que Malpighi a rapportées dans sa Première lettre à Borelli (page 110‑111 de la Diatribe de Bartholin : {i}

    Hoc autem tibi accidet si inflaveris arteriam pulmonariam mediante evidenti trunco in principo ejusdem lobi, deinde nodo illigaveris, videbis enim exurgentem arteriam, veluti anaglyptice sculptam se se minimis, etiam prodeuntibus vasculis ramorum arboris ad instar, vel si lubeat formiosorem habere delineationem, immisso mercurio argentæ emergent ramificationes, usque ad minima.

    An hæc vasa sinibus, vel alibi mutuam habeant anastomosim, ita ut sanguis a vena resorbeatur continuo tramité, an vero hient omnes in pulmonum substantiam dubium, quod adhuc mentem meam torquet, pro quo enodando, in cassum licet, plura, et plura molitus sum aere, et liquidis varie tinctis, sæpius enim immissam aquam nigram syphone per arteriam pulmonarem à pluribus erumpentem vidi partibus, nam facta levi compressione solet exsudare a membrana investiente, partim etiam coacervari in interstitiis, major vero copia cum commixto sanguine erumpit per venam pulmonarem, et quod mirabilius est per tracheam diluta, et minus colore tincta cum levi spuma, et ex quacumque pulmonum compressione per eandem foras exit ; in eodem item ressicato pulmone parietes vesicularum, et sinuum denigrati omnes videntur ; Quid simile etiam immisto mercurio accidere videtur, nam repleta arteria pulmonaria mercurius excurtit ad extimas propagines bifurcatas, quæ si leviter etiam comprimantur foras e membrana investiente evomitur, quandoque facto aditi in interstitia ibi pene totus colligitu ; In resiccatis etiam pulmonibus, varie, et inordinate rubescentes conspiciuntur vesiculæ, aliis albescentibus.

    [Mais cela vous apparaîtra en remplissant l’artère pulmonaire de vent par son plus gros tronc au commencement du lobe, et en liant ensuite étroitement le bout par où vous aurez soufflé pour la faire gonfler ; car pour lors, vous verrez l’artère se soulever et paraître en toutes ses ramifications, comme si elle était taillée avec le ciseau, même jusqu’à ses moindres fibres, se dilatant et s’étendant comme des branches d’arbre. Ou si vous voulez les voir tracées et représentées d’une manière encore plus belle, il ne faut que seringuer du mercure dans la même artère, en prenant les mêmes précautions ; et alors, vous verrez manifestement toutes les ramifications jusqu’aux moindres rameaux prendre une belle couleur argentée.

    Mais de savoir si ces vaisseaux s’abouchent par leurs extrémités ou par d’autres endroits, en sorte que le sang porté par l’artère soit remporté par la veine, sans interrompre son cours, ou s’ils ont des sorties dans la substance des poumons, c’est un doute qui me torture encore jusqu’ici l’esprit ; quoi que j’aie pu faire pour m’en éclaircir, et principalement en soufflant l’air dans ces vaisseaux, ou en les remplissant de liqueurs de différentes couleurs. En effet, j’ai pu voir plusieurs fois l’eau noircie, que j’avais seringuée par l’artère, sortir par plusieurs endroits ; car pour peu qu’on presse le poumon, elle exsude en partie à travers la membrane commune, et elle s’amasse aussi dans les interstices ; mais la plus grande partie sort par la veine pulmonaire, mêlée avec le sang ; et ce qui est encore plus surprenant, c’est qu’elle sort aussi par la trachée, mais plus détrempée et plus basse en couleur, avec une légère écume ; et pour peu encore qu’on comprime les poumons, elle rejaillit par la même trachée artère ; et si l’on fait dessécher ce même poumon, les parois des vésicules et des sinus paraîtront toutes noircies. Vous verrez aussi quelque chose d’approchant si vous remplissez l’artère pulmonaire de mercure, qui coulera furetant jusqu’aux dernières ramifications et qui ressortira aussi dehors par la membrane commune pour peu qu’on vienne à presser ; et quelquefois, s’ouvrant un passage dans les interstices, il s’y ramasse presque tout. Si on veut encore faire sécher les poumons, on y verra des vésicules, les unes rouges, les autres blanches, pêle-mêle en confusion].

    1. J’ai emprunté l’essentiel de ma traduction aux Discours anatomiques sur la structure des viscères… Par Marcel Malpighi… (Paris, Laurent d’Houry, 1687, in‑8o de 374 pages), pages 334‑337.

Le 2e article de la thèse de Patin montre qu’il n’avait pas compris le remarquable livre que Bartholin lui avait envoyé en 1663 : il tenait les anastomoses entre les artères et les veines pour une évidence, alors qu’avant Malpighi, nul anatomiste n’avait été capable d’en prouver l’existence matérielle (ontologique) ; tel eût été le bon argument pour réfuter la circulation sanguine avant 1661 (en ignorant les démonstrations fonctionnelles des anastomoses, v. supra note [9]), mais Patin n’y a pas même songé et s’en est pris à d’autres chimères. V. note [4], lettre latine 113, pour les motifs plausibles de son obstination à nier la circulation du sang.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Thomas Diafoirus (1673) et sa thèse (1670), note 19.

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(Consulté le 11/12/2024)

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