Autres écrits : Un manuscrit inédit de Guy Patin contre les consultations charitables de Théophraste Renaudot

Note [15]

L’attaque de Théophraste Renaudot, aux pages 33‑34 de sa Réponse, mérite d’être développée car il y désigne René Moreau à mots à peine couverts :

« Il craint qu’il ne lui reste pas toujours assez de pauvres à soulager en leurs nécessités.

Cette crainte ne s’accorde guère avec la cruauté qu’il pratiqua il y a quinze ans envers dix pauvres malades de fièvre continue dans l’Hôtel-Dieu ; lesquels ayant été guéris par un remède que je leur donnai, pource qu’il s’en louaient et lui dirent qu’ils s’en portaient mieux que de ses ordonnances, bien que pour leur faiblesse, ils fussent encore incapables de se soutenir. Il se souviendra qu’en haine de cette parole, il les fit mettre à la porte dès le lendemain, leur reprochant que puisqu’ils étaient guéris, ils devaient faire place aux malades ; et se souviendra encore que cette inhumanité m’ayant donné sujet de l’en blâmer, au lieu de me répondre, il me demanda le remède. Faut-il s’étonner que celui qui commence par chasser les pauvres infirmes de l’Hôtel-Dieu finisse par la guerre qu’il fait à ceux qui les veulent guérir ? Ce sont là des actions du More au Turc, et du Turc au Mort. {a} Voire {b} ces nations, que nous appelons barbares, font honte à cette inhumanité, ayant des hôpitaux même pour les chiens, et ce maupiteux {c} ne veut pas souffrir ceux qui consultent pour les maladies des pauvres chrétiens. Qui dat pauperi non indigebit sed qui despicit deprecantem sustinebit penuriam. Proverb. 28. {d} C’est pourquoi le fléau de nos pauvres malades doit bien prendre garde que la grande aversion qu’il a contre eux ne soit point cause de la modicité de ses biens, {e} dont la fortune lui a fait petite part, et conforme à sa naissance ; et comme dit de lui un de ses compagnons, Pauperculi natales, neglecta vitæ lex superbum animum ventri, ut saxo Sysiphum alligarunt ; {f} ajoutant pallet ille non cumini sed vini potu, non vigiliis sed fumo. {g}


  1. Voilà René Moreau clairement désigné.

  2. Même.

  3. Dur, cruel et sans pitié (Furetière).

  4. « Qui donne au pauvre ne manquera de rien, mais qui dédaigne le mendiant endurera la disette » (Proverbes 28:27).

  5. Ce sont les cinq mots visés par la remarque de Guy Patin ; il s’agit des biens de René Moreau.

  6. « Sa basse extraction, son mépris des lois de la vie, l’orgueil au ventre l’ont attaché comme Sysiphe à son rocher ».

  7. « il pâlit à boire non pas du cumin, mais du vin, non pour se tenir éveillé, mais pour s’enfumer la tête » : traduction incertaine d’un propos obscur, même en sachant que le cumin avait la réputation de faciliter la digestion et de dissiper les vents.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Un manuscrit inédit de Guy Patin contre les consultations charitables de Théophraste Renaudot, note 15.

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(Consulté le 19/04/2024)

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