Autres écrits : Leçons de Guy Patin au Collège de France (1) : sur le Laudanum et l’opium
Note [43]
Le Chapitre viii (pages 635‑636), livre troisième, de l’Antidotaire de Jean de Renou (v. supra note [42]), est consacré au Philonium magnum, seu Romanum [Grand philonium, dit romain], avec ce commentaire :
« Il n’y a rien de si divers ou embrouillé en tout cet antidotaire que la description de l’antidote du Philosophe Philonium, {a} auquel il arrive tout de même qu’au vin, qui perd toujours quelque portion de sa première vertu tant plus on le frelate et change de vaisseau en vaisseau. Car tout autant qu’il y a eu de médecins pharmaciens qui après lui se sont mêlés de transcrire sa description, tout autant ont bien retenu le nom de philonium, mais rien davantage. Un seul, Galien, au ch. 4 du 9e livre de la Composition des médicaments selon les lieux, {b} l’a bien approuvé, mais il y a ajouté plusieurs excellents et approuvés ingrédients. Myrepsus {c} donne la description de quatre divers antidotes qui ont le même nom, mais les uns admettent l’opium, et les autres non. Et au reste, je trouve que nul de ces quatre n’approche que de bien loin de la description du Philonium de Tarse. Nicolas Præpositus aussi ne s’est pas contenté de rayer quelques ingrédients de la première description, mais aussi y en a ajouté plusieurs autres, voire a changé l’ordre des simples qui y entrent et le poids de plusieurs médicaments. Quelques autres encore y ont ajouté le costus, d’autres le castoreum, {d} et d’autres encore la semence de pavot. Mais pour moi, je fais plus d’état de la description de Præpositus que de toutes les autres, et substitue le castoreum (qui est le vrai correctif de l’opium) à la place du costus ; voire je diminue la trop grande quantité du poivre, de l’euphorbe et du pyrèthre (en disposant toutefois l’ordre des ingrédients autrement que tous les autres), à telle fin qu’il se puisse donner plus assurément et plus heureusement. Car j’ai souvent ouï < se > plaindre plusieurs malades d’une certaine douleur au bas-ventre et dans le dernier intestin pour avoir reçu un clystère sans lequel on avait dissous une drachme et demie de Philonium tant seulement ; ce qui semble < ne pas > être du tout étrange, vu qu’il est composé de dix-sept ingrédients tous chauds, fors, excepté {e} l’opium (que plusieurs croient être chaud) et la jusquiame ; aussi à peine le peut-on avaler qu’il ne blesse et brûle en passant le gosier par sa grande acrimonie, étant fait selon la description commune ; mais étant corrigé selon notre intention, il se prend fort facilement sans aucune telle ou semblable incommodité. On appelle cet antidote philonium romain, d’autant qu’il a été jadis en grand avantage en la ville de Rome.
Or, {f} on se sert d’icelui aux pleurésies et aux coliques (notez qu’à cette occasion quelques-uns l’appellent antidote pour la colique) et en toutes les douleurs internes. Il provoque le sommeil, arrête les pertes de sang qui arrivent des parties intérieures, profite grandement à ceux qui ont des nausées, ou appétits {g} de vomir, et des sanglots, et apaise les douleurs du ventre, du foie, de la rate et des reins, qui proviennent ou des ventosités, ou de quelque intempérature froide, ou des humeurs pituiteuses et crues. On en donne par la bouche la quantité d’un pois chiche, ou quelque peu davantage, ayant égard toutefois à l’âge et aux forces de ceux à qui on le donne, aussi bien qu’aux diverses intentions et indications {h} des maladies dont il est question. On le dissout diversement, tantôt dans l’oxymel, {i} parfois dans la décoction de certaines plantes, et quelquefois dans le vin. Mais Actuarius {j} le donnait à ceux qui se plaignaient d’avoir l’estomac faible et douloureux, avec le suc de l’hypochistis, {k} en y ajoutant un peu de vin. Outre ce, on le met bien souvent dans les clystères carminatifs {l} pour, par ce moyen, assoupir et arrêter toutes les plus cruelles douleurs coliques qui pourraient arriver, comme étant particulièrement doué de cette propriété et vertu en tels ou semblables accidents. »
- V. supra note [41] pour le philosophe Philon de Tarse, inventeur du philonium.
- V. infra note [46].
- Nicolas Myrepse (Myrepsus ou Myrepsos, « parfumeur » en grec), médecin byzantin natif d’Alexandrie, a rédigé, sans doute au xiie s., un très célèbre dispensaire ou antidotaire, que de nombreuses facultés de médecine européennes ont adapté et employé pendant plusieurs siècles. Sa biographie est aussi mal connue que celle de son homonyme Nicolas Præpositus, autre auteur d’un célèbre dispensaire (v. note [3], lettre 15). Bien que les dictionnaires biographiques les distinguent l’un de l’autre, il me semble difficile d’exclure tout à fait l’identité de ces deux Nicolas.
- V. note [50], lettre latine 351, pour le costus, et supra note [2], pour le castoréum.
- Pléonasme : fors, hormis et excepté sont trois adverbes de même sens.
- Présentement.
- Envies.
- Aux diagnostics et pronostics variables.
- Oxymel : « miel préparé et cuit avec du vinaigre jusqu’à consistance de sirop » (Furetière).
- V. note [3], lettre de Charles Spon, datée du 21 novembre 1656.
- Hypociste : « Manière de rejeton qui naît environ le mois de mai sur le pied d’une espèce de cistus assez commun dans les pays chauds. […] On pile cette plante et l’on en tire par expression le suc, lequel on fait évaporer sur le feu en consistance d’extrait dur et noir, comme le suc de réglisse, puis on le forme en petits pains pour le transporter. On appelle aussi cet extrait hypociste, du nom de la plante. Il est d’un goût acide et astringent. On s’en sert pour arrêter les cours de ventre, les vomissements, les hémorragies. Il en entre aussi dans la thériaque et dans quelques emplâtres » (Trévoux).
- Les carminatifs étaient les remèdes ayant la faculté d’évacuer les gaz intestinaux. Une note marginale résume le commentaire : « Le philonium romain est particulièrement destiné à la guérison de la colique venteuse » (maladie liée à une subocclusion, voire à une occlusion intestinale basse, qui peut être fonctionnelle, par diminution des contractions intestinales, ou organique, par rétrécissement ou compression de la lumière intestinale).
Je n’ai pas trouvé le philonium persique de Mésué (v. note [25], lettre 156) dans l’Antidotaire de Renou. Décrit dans la Pharmacopée d’Augsbourg (v. infra note [47]), il était, comme les autres remèdes de son espèce, composé d’une base d’opium et de quinze autres ingrédients.