Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Naudæana 1

Note [21]

« chez cette mère affairée des oisifs. {a} Il mourut à Londres le 1er juillet 1624. {b} Il eut un fils prénommé Augustin, moine capucin, remarquable pour sa piété et son savoir qui, voilà quelques années, périt empoisonné par crime abominable de certains habitants de Calais, à ce que raconte Ogier en son Iter Danicum de 1635. »

La relation du « Voyage au Danemark » que Charles Ogier {c} fit en 1634-1635 n’a été publiée qu’en 1656 dans ses Ephemerides [Journaux]. {d} Il faut donc croire que Gabriel Naudé avait eu connaissance du manuscrit ou que cette citation a été tardivement ajoutée au Naudæana : elle correspond en effet aux pages 11‑12 du livre de 1656.

Parti de Paris le 11 juillet 1634, comme secrétaire de Claude Mesmes, comte d’Avaux, {e} Ogier était à Calais le mercredi 19 juillet suivant :

Interfuimus sacris in æde Diuæ Mariæ, quæ Ecclesia Parochialis est […] Ad Capucinos exinde iuimus, à quibus didicimus, Eleemosynas, quas in liberationem votorum periclitantes in mari faciunt, non solum sufficere illis ad suos usus, sed etiam ad Monasteriorum, quæ in Provincia sunt, subsidia redundare : Certior etiam ab iis factus sum de impio facinore, quod ante paucos annos Calesij patratum fuisse nimis inconstanti fama acceperam, duodecim nimirum Capucinos nefario quorundam ciuium scelere, medicato vino necatos fuisse, inter quos erat insignis pietate pariter atque doctrina Augustinus Casaubonus, doctissimi illius Isaacij Casauboni filius. Immane factum ! nulla hactenus neque priuata, neque publica vindicta expiatum.

[Nous assistâmes à la messe à Sainte-Marie, qui est l’église paroissiale. {f} (…) Nous nous rendîmes ensuite au couvent des capucins, lesquels nous apprirent comment les offrandes de ceux qui ont été exposés aux périls de mer, pour exaucer leurs vœux, leur procurent une abondance de subsides, qui suffisent à couvrir non seulement leurs propres dépenses, mais aussi celles des monastères de la région. Ils m’ont aussi mieux renseigné sur l’attentat impie que les Calaisiens ont perpétré, voilà peu d’années, et dont je n’avais eu qu’une relation infidèle : par crime abominable de certains habitants, douze capucins furent tués par l’absorption d’un vin empoisonné ; l’un d’eux fut Augustin Casaubon, remarquable pour sa piété et son savoir, et fils du très savant Isaac Casaubon. {g} Monstrueux acte que, jusqu’à ce jour, nulle punition, privée ou publique, n’a expié !]


  1. Joseph Scaliger, v. note [9], lettre 53.

  2. Sic pour 1614.

  3. V. note [2], lettre 330.

  4. V. note [6], lettre 378.

  5. V. note [33], lettre 79.

  6. Aujourd’hui l’église Notre-Dame de Calais, la plus grande et la plus ancienne de la ville, édifiée à partir du xiiie s.

  7. Jean Casaubon (1599-1624) était entré dans l’Ordre des capucins en 1619-1620, en prenant le prénom d’Augustin. Il était l’aîné des trois fils d’Isaac qui survécurent à leur père (v. note [13], lettre latine 16).

    La France protestante (volume 3, pages 234‑231) a parlé de sa conversion et de la peine que son père en éprouva :

    « Enfin, ne pouvant vaincre sa constance, les jésuites se tournèrent du côté de son fils aîné, dont la conduite était pour lui, depuis quelque temps, un grave sujet d’inquiétude ; et ils réussirent à le séduire. L’apostasie de cet enfant, qui n’avait pas encore atteint sa vingtième année, causa un grand chagrin à Casaubon : O Satanæ insidias ! s’écria-t-il en apprenant cette triste nouvelle. Qui non potuere me impellere ut imagines adorarem, ut doctrinam diabolorum amplecterer, ii filium natu maximum mihi corripuerunt et corruperunt. Γενηματα εχιδων, qui nos movit, ut hanc fraudem adversus me excogitaretis ! Adolescentem imperitum rerum, imperitum disputationum theologicarum in retia vestra compulistis me inscio, me invito. {i} Du Pin raconte, sur la foi de Cotelier, que le jeune Casaubon se fit capucin et qu’avant de prononcer ses vœux, il alla demander sa bénédiction à son père, qui lui aurait répondu : “ Je vous la donne de bon cœur, je ne vous condamne pas, ne me condamnez pas non plus. Jésus-Christ nous jugera. ” Si cette anecdote était vraie – car comment la concilier avec le passage des Ephemerides que nous venons de citer ? – nous verrions dans ces paroles vraiment chrétiennes une preuve, non pas du penchant de Casaubon pour le catholicisme, mais de son respect pour les convictions religieuses. »

    1. Ephemerides Isaaci Casauboni [Journal d’Isaac Casaubon] édité par John Russell (Oxford, University Press, 1850, in‑8o, tome ii), entrée datée du 14 août 1610 (page 756) :

      « Pièges de Satan ! […] Ne pouvant me pousser à adorer des images ni à embrasser la doctrine des diables, ils m’ont arraché mon fil saîné et l’ont corrompu. Engeance de vipères ! qu’est-ce qui vous a incités à manigancer cette fourberie contre moi ? À mon insu et contre mon gré, vous avez acculé dans vos filets un jeune homme qui ne connaît rien aux affaires ni aux disputes théologiques. »

M. Lefebvre, prêtre de la Doctrine chrétienne, a daté cette troublante affaire de 1624 et l’a mieux expliquée dans son Histoire générale et particulière de la ville de Calais… (Paris, Guillaume François Debure le jeune, 1766, tome second, in‑4o, pages 497‑498) :

« La peste n’était pas le seul mal qui affligeât la ville de Calais ; elle était de plus troublée par des dissensions qu’occasionnait la différence de religion parmi les citoyens. L’annaliste de cette ville rapporte, sur la foi de la tradition, que les démêlés à ce sujet devinrent cruels et que, des reproches, les deux partis passèrent à des procédés meurtriers ; que quatorze capucins furent les vicimes de cette animosité ; qu’un seigneur allemand de la Maison de Brandebourg, venu pour s’embarquer dans ce port et pour passer en Angleterre, sous prétexte d’exercer la charité envers ces religieux, leur envoya du vin dans lequel il avait mis secrètement du poison ; un seul frère résista à la violence de cette liqueur, et eut le temps de prendre du contrepoison. On lit aussi dans un manuscrit de ce temps que ce fut le duc de Brunswick {a} qui fit aux capucins le perfide présent d’un tonneau de vin empoisonné. L’on crut d’abord qu’ils étaient morts pour s’être trop exposés en soulageant les pestiférés, ce qui est assez vraisemblable, {b} mais on crut avoir assez de preuves du contraire, et qu’ils avaient péri de la manière dont je le rapporte. L’auteur de la Franciade ajoute à ce détail ces circonstances-ci : que ce fut par une bouteille de vin empoisonné que ce malheur arriva, et que parmi ceux qui en moururent étaient le Père Florentin, le plus zélé à la conversion des hérétiques, et le fils du célèbre Casaubon. {c} Ils furent tous inhumés comme des pestiférés, hors des murs de la ville, dans le cimetière de la paroisse du faubourg Saint-Pierre. L’endroit de leur sépulture est encore remarquable par une croix de pierre, auprès de laquelle l’on a gravé sur une pierre le genre et le temps de leur mort. »


  1. Friedrich Ulrich von Brunswick-Wolfenbüttel (1591-1634), faible prince, était adonné à la boisson, son règne fut profondément calamiteux ; mort sans descendance, il a été suivi par le duc Auguste le Jeune (v. note [1], lettre 428).

  2. « Plus vraisemblable, sans doute, que l’empoisonnement. De quelle utilité était-il de faire périr tout un couvent de capucins, qu’il est aisé de remplacer pour remplir les mêmes fonctions ? L’antipathie entre les catholiques et les protestants a occasionné bien des fausses anecdotes dans les mémoires de ce temps » (note de l’abbé Lefebvre).

  3. Lefebvre cite ici ces mauvais vers de La sainte Franciade, contenant la vie, gestes et miracles du bienheureux patriarche saint François… de Jacques Corbin (Paris, Nicolas Rousset, 1634, in‑12) :

  4. « Il voit aussi mourir tous ses fils si dévots,
    À Calais dévoués comme pures victimes,
    Pour vaincre les erreurs des peuples maritimes.
    Entre autres est le fils du docte Casaubon,
    Des lettres le génie, et de plus a de bon
    La piété, la foi, rentré comme fidèle
    en l’Église romaine et seule universelle,
    Vêtu, mort dans l’habit des pères capucins,
    Et maintenant reluit entre les plus hauts saints.
    Martyr de Jésus-Christ, comme sont tous les autres,
    Pour la conversion envoyés comme apôtres,
    Le Père Florentin, d’une puissante voix,
    Convainquit l’hérésie et la mit aux abois ;
    De là vint l’attentat, pour lui fut la partie
    De la fausse bouteille à eux tous départie,
    Confite en un poison si vif et violent,
    Qu’ils en moururent tous chacun en avalant. »


Additions et remarques du P. de Vitry
(1702-1703, v. note [12] des Préfaces).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Naudæana 1, note 21.

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(Consulté le 19/04/2024)

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