Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Grotiana 1

Note [37]

« En ma chair je verrai Dieu mon Sauveur […]. C’est une corruption du traducteur » : c’est-à-dire de la Vulgate (v. note [6], lettre 183), version latine canonique de la Bible, primitivement établie par saint Jérôme (v. note [16], lettre 16) ; Grotius considérait la traduction de Job comme fautive.

Les versets 19:25‑26 de Job sont ainsi écrits dans la Vulgate :

Scio enim quod redemtor meus vivit, et in novissimo die de terra surrecturus sum : et rursum circumdabor pelle mea, et in carne mea videbo Deum.

[Je sais que mon rédempteur est vivant, et je sortirai de terre le dernier jour ; et alors, je me revêtirai de ma peau, et en ma chair je verrai Dieu].

Grotius a ainsi commenté ce passage dans ses Annotata ad Vetus Testamentum [Annotations sur l’Ancien Testament] (Paris, 1644, v. note [11], lettre 71), Ad Librum Job, chapitre xix, tome i, page 411 :

Scio quod redemptor meus vivit, et novissimo die de terra surecturus sum. Hæc verba et quæ sequuntur Iudæi nunquam ad resurrectionem retulere, cum tamen omnia rimentur, quæ aliquam in speciem eo trahi possunt. Christiani non pauci eo usi sunt ad probandam resurrectionis fidem ab Hebræo discedere, ut notatum Mercero aliisque. Hebræa sic sonant : Scio ego redemtorem meum vivere, et illum postremo staturum in campo. Etiamsi non pellem tantum meam, sed et hoc (nempe arvinam quæ sub pelle est) consumerent, (morbi scilicet) in carne tamen meam Deum videbo (id est, propitium experiar) Ego, inquam, hisce meis oculis : ego non autem alius pro me. Deus redemptor dicitur, quia pios ex multis malis liberat. Psalm. lxxvii. 35. Esaiæ xli. 14. xliii. 14. xliv. 6. xlvii. 4. xlviii. 17. xlix. 7. Postremum in campo stare est victoris. Sic Deum dicit victorem fore adversariorum suorum ; neque vero ei esse impossibile corpus eius putredine prope exesum restituere in priorem formam, quod et fecit Deus. De voce hac supra diximus xiii. 28.

[Je sais que mon rédempteur est vivant, et je sortirai de terre le dernier jour. Les juifs n’ont jamais rapporté ces mots et ceux qui suivent à la résurrection, quand bien même on y chercherait {a} tous ceux qui peuvent s’interpréter dans ce sens. Nombre de chrétiens y ont recouru pour établir que leur foi en la résurrection diffère de celle des hébreux, comme Mercier {b} et d’autres l’ont remarqué. Voici ce que signifient ces mots en hébreu : Moi, je sais que mon rédempteur est vivant, et il se tiendra dans le champ dernier. Même si, non seulement ma peau, mais aussi cela (c’est-à-dire la chair qui est sous la peau) a été réduit à néant (par les maladies), je verrai pourtant Dieu en ma chair (c’est-à-dire que j’éprouverai sa bienveillance à mon égard). Et ce, dis-je, de mes propres yeux, car je ne suis pas étranger à moi-même. Dieu est dit rédempteur parce qu’il délivre les croyants de nombreux maux (Psaumes, 77:35 ; {c} Isaïe, 41:14, 43:14, 44:6, 47:4, 48:17, 49:7). {d} Le champ où se tient Dieu en dernier est celui de la victoire. Ainsi est-il dit que Dieu sera victorieux de ses adversaires ; et il ne lui est en vérité par impossible de rétablir en sa première forme un corps qui a été presque entièrement rongé par sa pourriture, parce que c’est Dieu qui l’a fait. J’ai commenté ces mots au verset 13:28]. {e}


  1. Dans la Bible hébraïque.

  2. V. note [5], lettre 44, pour le théologien protestant Josias Mercier.

  3. « Et ils se souvenaient que Dieu était leur rocher et le Très-Haut était leur rédempteur. »

  4. « Ton rédempteur est le Saint d’Israël. »

    « Ainsi parle Yahvé, votre rédempteur, le Saint d’Israël. »

    « Ainsi parle Yahvé, le roi d’Israël et son rédempteur. »

    « Notre rédempteur se nomme Yahvé des armées, le saint d’Israël. »

    « Ainsi parle Yahvé, ton rédempteur, le saint d’Israël. »

    « Ainsi parle Yahvé, le rédempteur et le saint d’Israël. »

    Pour Grotius, aucune de ces citations bibliques mentionnant la « rédemption » n’annonçait explicitement le dernier jour et la résurrection des morts (eschatologie), dogme chrétien que ne partageait pas la religion juive primitive et qui reste débattu dans le judaïsme moderne.

  5. Commentaire de Grotius sur le verset 13:28 de Job (page 405 de ses Annotata), Et quasi vestimentum quod comeditur a tinea [Et comme un vêtement que la teigne a rongé] :

    In Hebræo : Ut vestimentum comedet hoc tinea : hoc cum dicit, corpus suum monstrat. Sic Paulus i. Cor. xv. 53. το φθαρτον τουτο [cet être corruptible] : quem locum explicans Tertullianus adversus Marcionem v. Oportet enim corruptivum hoc, tenens utique carnem suam dicebat Apostolus.

    [Dans le texte hébreu : Pour que la teigne ronge ceci ; et quand il dit ceci, il montre son propre corps. Paul (Première Lettre aux Corinthiens, 15:53) parle de cet être corruptible ; passage que Tertullien (Contre Marcion, v) explique ainsi : L’Apôtre était encore investi de sa propre chair quand il disait : Il faut en effet que cet être soit corruptible].



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Grotiana 1, note 37.

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(Consulté le 29/03/2024)

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