Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Grotiana 2

Note [39]

Guy Patin a parlé des abdications de l’empereur Dioclétien (en l’an 305) et de Charles Quint (en 1555) dans sa lettre du 10 avril 1654 à Charles Spon (v. ses notes [30] et [32]).

Au début de la première décade de son Histoire de la guerre de Flandre (traduite en français par Pierre Du Ryer, v. note [33], lettre 192), Famiano Strada a détaillé le discours que Charles Quint prononça à Bruxelles le 25 octobre 1555, pour annoncer son abdication en faveur de son fils, Philippe ii, et ce qu’il lui advint ensuite, jusqu’à sa mort, le 21 septembre 1558 (pages 6‑21, édition de Paris, 1651). Le regret immédiat de l’empereur déchu est décrit à l’année 1556, pages 10‑11 :

« Cependant Charles, qui, de prince si grand et si absolu qu’il était, commençait à n’être plus rien, quitta le palais au nouveau prince et se retira dans une maison privée jusqu’à ce qu’on eût équipé les vaisseaux qui le devaient emmener. Ainsi, étant parti de Zélande avec Éléonore et Marie, ses sœurs, il arriva heureusement à Laredo, qui est un port de Biscaye. […]

À peine l’empereur était-il descendu de son vaisseau, qu’une tempête, soudainement élevée au port, en éloigna la flotte avec impétuosité et mit à fond le navire impérial, comme ne devant plus porter ni l’empereur ni la fortune de l’empereur. On dit qu’aussitôt qu’il eut touché le rivage, il se mit à genoux afin de baiser la terre, et qu’il ajouta ces paroles à cette action : qu’il baisait avec respect cette commune mère de tous les hommes et que, comme autrefois il était sorti nu du ventre de sa mère, il retournait nu, volontairement et sans contrainte, dans le ventre de cette autre mère. Mais quand il fut entré dans la Biscaye et qu’ayant passé à Burgos, il vit venir au-devant de lui un si petit nombre de ces grands d’Espagne, qu’il n’avait pu attirer tout seul, n’étant plus accompagné de ces grands noms qui les attiraient autrefois en foule, alors il commença premièrement à reconnaître sa nudité. Outre cela, ayant besoin, pour récompenser quelques-uns des siens, d’une partie de cent mille écus que, d’un si grand nombre de richesses, il s’était réservés de revenu, il lui fallut attendre à Burgos plus longtemps qu’il ne voulut, et non pas sans < avoir à > se fâcher < pour > que cette somme lui fût rendue. Comme il ne dissimula point ce mécontentement, il donna à quelques-uns occasion de dire qu’à peine s’était-il dépouillé de l’Empire et de la domination souveraine, qu’il se repentit de son dessein. D’autres conjecturent qu’il en fut fâché dès le même jour qu’il l’abandonna, parce que, quelques années après, comme le cardinal de Granvelle {a} eût fait par occasion ressouvenir Philippe que le jour où l’on était le même jour de l’année que Charles, son père, avait quitté l’Empire, Philippe lui répondit aussitôt que c’était aussi le même jour que Charles avait commencé de se repentir. Cette parole, prononcée sans considération et sans certitude, acquit aisément de la croyance parmi les esprits, qui ne se purent persuader qu’on pût demeurer plus d’un jour sans se repentir d’une action si inouïe et si étrange. Peut-être aussi que Philippe ne s’imaginait pas qu’on dût louer en son père ce qu’il ne s’était pas proposé d’imiter. Pour moi, quand je considère les paroles et les actions de Charles durant les deux années qu’il vécut en homme privé, et que je regarde attentivement ce qui a été écrit touchant sa retraite, je ne vois aucune marque d’un repentir si désavantageux à sa réputation : en effet, il n’eût pas été de sa gloire de laisser aux siècles suivants une image d’une générosité si parfaite, couverte et obscurcie par les ombres du repentir. »


  1. V. notes [19][24] du Borboniana 5 manuscrit.

Jacques-Auguste i de Thou a narré l’abdication de Charles Quint dans le livre xvii de son Histoire universelle (année 1556, règne de Henri ii, Thou fr, tome 3, pages 73‑75), mais sans évoquer ses éventuels remords. Il n’en a pas non plus parlé dans sa relation de la mort de l’empereur ni dans le long éloge critique qu’il a dressé de son règne et de ses vertus (livre xxi, année 1558, ibid. pages 292‑297).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Grotiana 2, note 39.

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(Consulté le 29/03/2024)

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