Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Grotiana 2

Note [55]

La Cité de Dieu de saint Augustin, édition avec le texte latin ; traduction nouvelle, par Louis Moreau (Paris, L. Lesort, 1846, in‑8o, tome premier, pages 342‑343) :

« Et, en vérité, ces temples sont plus abominables que ces théâtres : actions réelles d’une part, simples fictions de l’autre. Aussi, la conduite que Sénèque prescrit au sage dans les mystères de la théologie civile, {a} est-elle, non pas une adhésion de conscience, mais une profession purement extérieure. “ Le sage, dit-il, observera toutes ces pratiques pour obéir à la loi, sans les croire agréables aux dieux, etc. {b} Ignoble cohue de divinités, que depuis longues années une longue superstition accumule ! N’oublions pas que si nous leur rendons un culte, c’est un hommage que nous devons à la coutume et non à leur réalité. ” Ainsi, ni les lois ni l’usage n’ont rien institué dans la théologie civile à dessein de plaire aux dieux, ou même d’établir leur réalité, mais cet homme que la philosophie a presque affranchi, cet homme est sénateur du peuple romain ; et il révère ce qu’il méprise, il fait ce qu’il reprend, il adore ce qu’il condamne. La philosophie lui a donné ces vives lumières qui dissipent les superstitions ; mais les lois de la cité, la coutume humaine, sans toutefois le pousser sur le théâtre, font de lui, dans le temple, un imitateur des histrions, d’autant plus criminel que ce personnage qu’il joue, la multitude peut le croire sincère. Moins funeste dans ses jeux, le comédien cherche plutôt à divertir qu’à tromper. »


  1. Saint Augustin a consacré le précédent chapitre de La Cité de Dieu (ix, livre vi) à expliquer la theologia tripertita que Varron a établie dans ses Antiquitatum rerum humanarum et divinarum libri xli [Quarante-et-un livres sur les antiquités des affaires humaines et divines] (ouvrage aujourd’hui perdu, dont les fragments ne nous sont connus que par ce qu’en ont écrit les Pères de l’Église) : les théologies civile (theologia civilis, la religion préchrétienne officielle de Rome), fabuleuse ou théâtrale (theologia fabularis, la mythologie), et naturelle (theologia naturalis, la philosophie). Le chapitre x d’Augustin commence par cette phrase :

    Libertas sane, quæ huic defuit, ne istam urbanam theoloiam theatricæ simillimam aperte sicut illa reprehendere auderet, Annæo Senecæ, quem nonnullis indiciis invenimus apostolorum nostrorum claruisse temporibus, non quidem ex toto, verum ex aliqua parte non defuit.

    [Il (Varron) n’a pas eu la liberté de flétrir hautement la théologie civile, si semblable à la théologie du théâtre, qu’il condamne ; mais cette liberté n’a pas manqué à Sénèque, philosophe, que certaines conjectures nous font croire contemporain des apôtres : liberté hardie parfois, sinon pleine et entière, présente sous sa plume, absente de sa vie].

  2. L’« etc. » du Grotiana marque le texte qu’il a éludé :

    Et paulo post : “ Quid quod est matrimonia, inquit, Deorum iungimus, et ne ie quidem, fratrum ac sororum ! Bellonam Marti conlocamus, Vulcano Venerem, Neptuno Samaciam. Quosdam tamen cælibes relinquimus, quasi condicio defecerit, præsertim cum quædam viduæ sint, ut Populonia vel Fulgora et diva Rumina ; quibus non miror petitorem defuisse

    [Et il ajoute : « Quoi ! nous formons entre les dieux des alliances impies de frères et de sœurs ! Nous marions Mars et Bellone, {i} Vulcain et Vénus, Neptune et Salacia. Nous en laissons quelques-uns dans le célibat, comme s’ils n’eussent pu trouver un parti. Cependant il se présente certaines déesses veuves, telles que Populonia, Fulgora, Rumina. Je ne m’étonne pas toutefois qu’elles n’aient point été recherchées. »…]

    1. Bellone était la sœur ou l’épouse de Mars, dieu de la guerre (v. note [3], lettre latine 29).

    La citation de Sénèque le Jeune provient des Fragments (xxxix‑xl) qu’on lui attribue, tirés de Lactance.



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Grotiana 2, note 55.

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(Consulté le 19/04/2024)

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