Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Borboniana 1 manuscrit

Note [4]

« Le livre de Pline est un trésor, aucun n’est plus digne d’être usé par les mains des rois, car la connaissance de toutes choses ne se peut puiser plus vite d’un autre, etc. Pline enseigne le monde, mais qu’y a-t-il donc de plus absurde que de régner sur le monde sans savoir ce qu’est le monde ? »

Ces deux phrases sont extraites de la deuxième page de l’épître dédicatoire {a} qu’Érasme a adressée à Stanislaus Thurzo. {b} Datée de Bâle le 8 février 1525, Johann Froben {c} a mise en tête de son édition de Pline l’Ancien, {d} dont le frontispice décrit ainsi le contenu :

Ioannes Frobenius lectori S.D.
En damus C. Plinii Secundi divinum opus cui titulus, Historia mundi, multo quam antehac unquam prodiit emaculatius : idque primum ex annotationibus eruditorum hominum, præsertim Hermolai Barbari : deinde ex collatione exemplariorum, quæ hactenus opera doctorum nobis quam fieri potuit emendatissime sunt excusa : postremo ex fide vetustissimorum codicum, ex quibus non pauca restituimus, quæ alioqui nemo, quamlibet eruditus, vel deprehendit, vel deprehendere poterat. Absit invidia dicto. Vicimus superiores omneis. Si quis hanc palmam nobis eripuerit, non illi quidem invidebimus, sed studiis publicis gratulabimur. Bene vale lector et fruere
αγαθην τυχην. Additus est index, in quo nihil desideres.

[Johann Froben salue le lecteur.
Voici le divin ouvrage de C. Plinius Secundus, {e} intitulé l’Histoire du monde, {f} bien plus correct qu’il n’a jamais précédemment paru : il est issu d’abord des annotations de savants auteurs, principalement celles d’Hermolaus Barbarus ; {g} ensuite, de la collation, menée avec la plus grande exactitude dont nous étions capables, des exemplaires que de savants hommes ont antérieurement imprimés ; enfin, de l’authenticité des plus anciens manuscrits, à l’aide desquels nous avons rétabli un nombre non négligeable de passages qu’autrement personne, si érudit fût-il, n’a compris ou n’avait pu comprendre. Je dis cela sans la moindre malveillance. Nous avons surpassé les meilleurs de tous. Si quelqu’un nous revendique cette gloire, nous n’en serons pas jaloux, mais l’en féliciterons publiquement. Porte-toi bien, lecteur, et jouis d’une heureuse fortune. A été ajouté un index où rien ne te laissera à désirer].


  1. Aux 14‑15es et 23‑25es lignes.

  2. Évêque d’Olomouc (Olmütz en Moravie) natif de Cracovie en 1470, mort en 1540.

  3. Le plus éminent imprimeur et éditeur de Bâle au xvie s. (v. note [142] des Déboires de Carolus).

  4. Bâle, mars 1525, in‑fo de 671 pages, pour la première de plusieurs impressions.

  5. Nom latin de Pline l’Ancien, prénommé Caius (ou Gaius).

  6. Historia naturalis, plus connue sous le titre d’« Histoire naturelle ».

  7. V. notule {c}, note [41] du Faux Patiniana II‑1, pour Hermolao Barbaro.

Guy Patin a cité ce texte d’Érasme dans sa lettre latine du 27 juillet 1656 à Vopiscus Fortunatus Plempius (v. sa note [6]). En voici la partie que le « etc. » du Borboniana a éludée (15‑23es lignes) :

Quid autem magis decet orbis monarchas, quam cæteris antecellere prudentia ? Prudentia vero quæ rebus periclitandis colligitur non solum misera est, quemadmodum vere scripsit ille, propterea quod magno multorum malo paratur, verum etiam dispendiosa, ut plerunque sero contingat. At istas moras, nihilo magis fert Republica, quam navis in mari prericlitans nauclerum imperitum donec proficiat. Præsens enim periculum artificem iam promptum requirit. Itaque Monarchas non vacat ullam vitæ portionem amittere, nec pueros esse licet, etiam si sint imberbes, animi canicies adsit oportet : ea non aliunde rectius colligitur, quam ex hoc opere, quod tanto compendio rerum docet universitatem.

[Mais quel plus grand devoir pour les monarques du monde que de surpasser les autres en prudence ? {a} En vérité, la prudence qu’on attache aux affaires qui périclitent n’est pas seulement misérable, comme il l’a justement écrit, {b} parce qu’elle nuit fort à quantité de gens ; elle est aussi préjudiciable puisque, la plupart du temps, elle survient trop tard. Le bien public ne supporte en rien ces retards mieux qu’un navire ne tire profit d’un capitaine inexpérimenté quand il est exposé au péril de la mer. Une menace imminente a en effet besoin d’un maître déjà prêt. Il n’est pas loisible aux monarques de gâcher la moindre parcelle de leur vie, il ne leur est pas permis d’être enfants, même s’ils n’ont pas encore de barbe ; leur esprit doit avoir des cheveux blancs, et cela ne peut mieux s’acquérir qu’à l’aide de cet ouvrage, car le grand savoir qui s’y accumule enseigne l’universalité].


  1. Prudentia peut se traduire simplement par prudence, mais aussi par prévoyance, compétence ou même sagesse.

  2. La recherche du mot prudentia dans l’Histoire naturelle m’a conduit à ce curieux passage qui est au tout début du livre viii (Littré Pli, volume 1, page 318) :

    Ad reliqua transeamus animalia et primum terrestria. Maximum est elephans proximumque humanis sensibus : quippe intellectus illis sermonis patrii, et imperiorum obedientia, officiorum quæ didicere, memoria : amoris, et gloriæ voluptas : immo vero (quæ etiam in homine rara) probitas, prudentia, æquitas : religio quoque siderum, Solisque ac Lunæ veneratio.

    « Passons aux autres animaux, et parlons d’abord des animaux terrestres. L’éléphant est le plus grand, et celui dont l’intelligence se rapproche le plus de celle de l’homme, car il comprend le langage du lieu où il habite ; il obéit aux commandements ; il se souvient de ce qu’on lui a enseigné à faire ; il éprouve de la passion, de l’amour et de la gloire ; il possède à un degré rare, même chez l’homme, l’honnêteté, la prudence, la justice ; il a aussi un sentiment religieux pour les astres, et il honore le Soleil et la Lune. »

    Il n’est pas du tout certain, mais pas non plus inconcevable, que le facétieux Érasme ait eu les éléphants en tête quand il écrivait son épître. Plusieurs de ses adages ont loué la prudence (mais sans référence à Pline) :

    • Post mala prudentior [Plus prudent après les malheurs] (no 299) ;

    • Prudentia coniuncta cum viribus [La prudence alliée à la force] (no 2776) ;

    • Ætate prudentiores reddimur [L’âge nous rend plus prudents] (no 2857) ;

    • Senum prudentia [La prudence des vieillards] (no 2866) ;

    • Post acerba prudentior [Plus prudent après les déconvenues] (no 3259).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Borboniana 1 manuscrit, note 4.

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(Consulté le 23/04/2024)

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