Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Triades du Borboniana manuscrit

Note [46]

triades 86‑91.

Ces six textes sont empruntés au Jugement de tout ce qui a été imprimé contre le cardinal Mazarin, ou Mascurat, de Gabriel Naudé (Paris, 1649, v. note [127], lettre 166), ouvrage qui, une fois encore, est postérieur à la mort de Nicolas Bourbon.

Les deux interlocuteurs fictifs de ce livre sont Saint-Ange, libraire, et Mascurat, imprimeur. L’imprimeur [anonyme] au favorable lecteur (page 3) expose les circonstances de leur longue discussion (en ironisant sur la célérité de sa parution) :

« Ayant appris de Saint-Ange que Mascurat lui avait dit une infinité de belles choses, et de curieuses remarques non moins sur les libelles du temps, que sur les actions du cardinal Mazarin, je l’ai fait prier par nos amis communs de les vouloir coucher par écrit, autant que sa mémoire lui pourrait permettre. Il m’a donc fait le plaisir d’y travailler, quoiqu’assez lentement ; et comme mes presses sont toujours engagées à diverses compositions, il m’a été impossible de te donner celles-ci de Mascurat si promptement que toi et moi l’aurions bien désiré. C’est aussi la seule faute que je te supplie de me vouloir pardonner ; car pour ce qui est de ces dialogues, je suis très assuré que la lecture ne t’en déplaira pas, et que tu seras également satisfait de l’ingénuité de Mascurat, et de mon impression. »

  1. Ibid. pages 528‑529, Naudé, pour justifier l’essor que Mazarin a donné au pouvoir des intendants royaux, invoque :

    « les prodigieuses nécessités de l’État, auxquelles il était impossible de remédier plus promptement que par ce moyen-là, que le poète Ménandre {a} fait passer pour très légitime, lorsqu’il dit, suivant la version de Grotius : {b}

    “ Maître, tout se décide de trois manières : la règle des lois, la nécessité, et la coutume. ” » {c}


    1. Ménandre est un auteur comique grec du ive s. av. J.‑C., dont ne subsistaient, au xviie s., que des fragments.

    2. Hugonis Grotii Florum Sparsio ad Ius Justinianeum.

      [Aspersion des fleurs de Hugo Grotius {i} sur le droit justinien]. {ii}

      Tel est le curieux titre d’un recueil de commentaires sur le Corpus juridique de Justinien. {iii} Ces trois vers de Ménandre y sont cités, en grec et en latin, haut de la page 89, édition de 1643, dans la section intitulée De Legibus, Senatusconsultis et Consuetudine [Les lois, les arrêts et la coutume], sur la sentence Ergo omne jus aut consensus fecit, aut necessitas constituit, aut firmavit consuetudo [Donc tout droit émane de ce qu’a soit dicté la volonté commune, soit imposé la nécessité, soit établi la coutume].

      1. V. note [2], lettre 53.

      2. Paris, veuve de Gulielmus Pelé, 1642, in‑4o de 415 pages, et Amsterdam, Iohannes Blaeu, 1643, in‑12 de 396 pages.

      3. V. supra note [41], triade 81.

    3. La syntaxe latine de Grotius est inhabituelle (ce qui explique, je pense, le « suivant la version » de Naudé). Pour les hellénistes, voici l’original grec, qui me semble plus intelligible :

                                 τρια γαρ εστι, δεσποτα,
      δι ων α παντα κρινειν η κατα τους νομους,
      η τοις αναγκαιης, η τριτον γ’ εθει τινι.

      Cela permet de conclure que le mot Here est une bizarrerie, à prendre pour l’ablatif singulier (Hero) du substantif latin herus (ou erus) qui signifie « le maître » ou « le souverain », despota, en grec.


  2. Ibid. page 609, Mascurat dit à Saint-Ange :

    « C’est quasi du plus loin qu’il me souvienne que d’avoir lu les distiques d’un certain Facetus, imprimé inter octo auctores, {a} dans lequel je remarquai trois ou quatre de ces préceptes, qui me semblèrent si beaux et si véritables que j’en ai toujours conservé la mémoire depuis ce temps-là :

    “ Esprit flottant, regard vague, marche hésitante : voilà trois signes qui ne me font rien espérer de bon d’un homme. ” »


    1. « l’un des huit auteurs » ; il ne s’agit pas d’une facétie de Naudé, car ce distique se lit à la page C vopage C vo de la Faceti Morosi Ethica [Éhique de Facetus Morosus], dont le titre complet est :

      Liber Faceti docens mores hominum præcipue iuvenum in supplementum illorum qui a moralissimo Catone erant omissi iuvenibus perutilis.

      [Livre de Facetus qui enseigne les mœurs des hommes, principalement des jeunes gens : très utile à la jeunesse, en complément de ceux que le moralissime Cato {i} avait omis]. {ii}

      Son distique est assorti de ce commentaire (avec sa ponctuation et ses capitales d’origine) :

      Si tu velis cognoscere homines in quibus nullo modo est confidendum. debes notare ista tria signa. nam quandocumque videbis hominem inconstantem in animo suo non speres in eo. nam si rebus suis propriis est inconstans. quomodo in tuis aspiciet. etiam nec confidas in eum qui dum loquitur tibi vagat hincinde oculis suis. Et si tertio tu videas hominem non trahentem moram continuam alicubi : scilicet hodie in uno loco est et cras in alio. non confidas in eo. nec in aliquo istorum prædictorum trium signorum.

      [Si tu veux reconnaître les hommes à qui tu ne dois de fier en aucune manière, tu dois rechercher ces trois signes : chaque fois que tu en vois un dont l’esprit est instable, n’espère rien de lui, car s’il est inconséquent en ses propres affaires, il s’occupera pareillement des tiennes ; ne fais pas non plus confiance à celui dont le regard fuit çà et là quand il te parle ; troisièmement, si tu vois un homme qui ne tient pas en place, étant en un un endroit un jour et ailleurs le lendemain, ne lui fais pas confiance, ni à aucun de ceux qui présentent l’un des tois signes susdits].

      Facetus Morosus, « Facétieux le Morose », serait le pseudonyme d’un bénédictin allemand mort vers 1230. Comme le signalait Naudé, ses vers ont aussi été publiés dans le recueil intitulé :

      Autores octo morales, cum appendicibus non contemnendis, quorum nomina ex sequenti disces pagella, emaculatiores quam antehac prodierint unquam, Ioannis Rænerii opera. His accessit punctorum formula, cum regimine in mensa servando.

      [Les huit Auteurs moraux avec de non négligeables additions, dont tu apprendras les noms à la page suvante ; {iii} les voici mieux corrigés qu’ils n’ont jamais été auparavant, par les soins de Ioannes Rænerius. Il y a ajouté une Règle de ponctuation et une Manière honorable de se tenit à table]. {iv}

      1. Dionysius Cato, auteur des Distiques moraux, v. note [15], lettre 156.

      2. Cologne, Martinus de Werdena, 1509, in‑fo de 3 feuilles (36 pages), avec ce quatrain en sous-titre :

        Moribus ut placeas morosi dogma faceti
        Perlege. et in cunctis inde facetus eris
        Huc iuvenis propera post disticha sacra Catonis
        Ne tibi rusticitas quantalacunque siet
        .

        [Pour complaire aux mœurs, lis de bout en bout les dogmes de Facetus Morosus ; et tu en deviendras facétieux en toutes choses. Hâte-toi donc de le faire, impatiente jeunesse, pour que le moindre soupçon de rusticité ne demeure en toi après les distiques sacrés de Cato].

      3. Autorum nomina, cum librorum titulis [Noms des auteurs, avec les titres des opuscules], où figure le Faceti lbellus [opuscule de Facetus].

      4. Johannes Rænerius, natif d’Anjou au début du xvie s. était médecin à Lyon et a édité plusieurs ouvrages, dont quatre livres sur le traitement des maladies internes (Lyon, 1553).

      5. Lyon, Theobladus Paganus, 1538, in‑8o de 248 pages ; les deux vers de la triade sont insérés en bas de la page 21 du Faceti liber, avec ce commentaire dans la marge : Frenesis animi mutabilis index [La frénésie indique un esprit instable].

  3. Ibid. page 613, à propos des inondations et des comètes, dans la bouche de Mascurat sur les « vieilles superstitions grecques et romaines » :

    « Mais pour moi, j’estime plus véritable que toutes ces choses-là ne nous font ni bien ni mal, et qu’elles nous sont tout à fait indifférentes, au moins pour ce qui est des comètes ; car pour les inondations, le mal qu’elles nous font n’est que trop sensible : aussi est-ce à mon avis ce qui a donné lieu à notre proverbe, de grand seigneur, grande rivière et grand chemin, fuis, si tu peux, d’être voisin. Mais puisque nous voilà revenus insensiblement aux proverbes, concluons qu’après l’exemple de saint Paul, qui s’en est bien servi dans l’Épître ad Titum, Cretenses semper mendaces, malæ bestiæ, ventres pigri, {a} et le commandement que nous fait Salomon d’y prendre garde, Animadvertet sapiens parabolam, et interpretationem, verba sapientium et enigma eorum, {b} nous avons grand tort de les négliger. »


    1. « Crétois toujours menteurs, mauvaises bêtes, ventres paresseux » : Épître à Tite, v. note [5], lettre latine 75.

    2. « Le sage blâmera le proverbe et l’interprétation, les mots des philosophes et leurs énigmes » (Proverbes 1:6, traduction littérale, non œcuménique, de la Vulgate).

  4. Ibid. pages 694‑695, propos de Mascurat :

    « Aussi n’ai-je jamais pris cette qualité de courtisan ni d’homme de cour, car telles gens ne sont bons que pour eux, et ne valent du tout rien pour leurs maîtres, auxquels ils n’oseraient rien dire qui ne leur soit agréable, rien qui ne les flatte, rien qui les contredise ou qui choque tant soit peu leur inclination ; non pas même quand ils verraient assurément qu’il y va de leur perte, et que, faute de les tirer par le manteau, faute de leur crier, ex formula antiqua, cave canem, ou hoc abe, ou mentem advorte, {a} ils se vont jeter dans les gouffres et précipices. J’y ai donc vécu en vieux Gaulois, {b} en philosophe, en homme désintéressé,

    Virtutis veræ custos rigidusque satelles. {c}

    Et lorsque j’ai eu occasion d’y dire la vérité, je ne l’ai pas celée ni déguisée à personne, non pas même à Son Éminence, {d} qui m’a toujours témoigné d’agréer ces petits effets de l’affection très zélée et très extraordinaire que j’ai pour son service. »


    1. « selon l’antique formule, Prends garde au chien, {i} fuis d’ici, réfléchis bien. »

      1. V. notule {b}, note [20], lettre 407.

    2. C’est-à-dire « bon Français », v. note [38], lettre 6.

    3. « Gardien et rigide escorte de la véritable vertu » (Horace, Épîtres, livre i, lettre 1, vers 17).

    4. Le cardinal Mazarin, dont Naudé était le zélé bibliothécaire.

  5. Ibid. pages 695, Mascurat répond à Saint-Ange qui lui demande d’intervenir en sa faveur auprès de Son Éminence :

    « Je ne ferais en cela que mon devoir car il y a longtemps que nous nous connaissons, et que nous avons vécu ensemble sine lite, sine querela. {a} Et puis j’ai toujours remarqué que ce proverbe, Vetus aurum, vetus vinum, et veteres amici, était très véritable. » {b}


    1. « sans procès ni querelle. »

    2. « Vieil or, vieux vin, et vieux amis ».

      Le Traité de la Prudence, contenant un grand nombre d’instructions, de sentences et de proverbes choisis, {i} a plus tard donné une variante de ce dicton (page 44) :

      « Il y a une autre sorte de bonheur, qui est d’avoir les choses nécessaires à la vie, et d’être content et joyeux. Alphonse le Sage, roi d’Aragon, {ii} disait qu’entre tant de choses que les hommes possédaient ou qu’ils recherchaient toute leur vie, il n’y avait rien de meilleur que d’avoir du vieux bois pour brûler, du vin vieux pour boire, de vieux amis pour faire société, et de vieux livres pour lire, et que tout le reste n’était que bagatelle. Annosum vinum, socius vetus et vetus aurum, hæc sunt in cunctis trina probata locis. » {iii}

      1. Anonyme, sans lieu ni nom, 1733, in‑12 de 712 pages.

      2. Probablement Alphonse x de Castille, dit le Savant ou le Sage, qui régna de 1252 à 1284, et épousa la princesse Yolande, fille du roi Jacques ier d’Aragon.

      3. « Vin chargé d’ans, vieux compagnon, vieil or, trois choses qu’on loue en tous lieux » : proverbe souvent cité par les auteurs ibériques.

  6. Ibid. page 711, propos de Mascurat sur l’idée que « beaucoup de choses véritables sont réputées fabuleuses, à cause de l’ignorance ou du peu d’expérience de ceux qui les lisent dans Pline et autres historiens, ou qui les entendent réciter à ceux qui les ont vues » :

    « Mais si tu avais remarqué comme moi l’humeur des Italiens, {a} tu verrais que la politique des savetiers de ce pays-là est encore plus raffinée que celle des imprimeurs de cestui-ci. {b} Et puis c’est un commun de dire qu’en fait de religion, de médecine et de gouvernement, chacun se pique d’être savant. »


    1. Gabriel Naudé avait séjourné douze ans en Italie, v. note [9], lettre 3.

    2. Les imprimeurs de Paris, alors grands débiteurs de mazarinades (v. note [22], lettre 166).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Triades du Borboniana manuscrit, note 46.

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(Consulté le 20/04/2024)

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