Autres écrits : Ana de Guy Patin :
L’Esprit de Guy Patin (1709),
Faux Patiniana II-2

Note [23]

Les deux vers latins ne sont pas de Martial. Ils concluent la curieuse épigramme lxviiii d’Ausone intitulée Quæ sexum mutarint [Les créatures qui auraient changé de sexe], page [D5] vo, repère 38 de ses Opera) : {a}

Vallebanæ res nota, et vix credenda poetis :
Sed quæ de vera promitur historia.
Femineam in speciem convertit masculus ales :
Pavaque de pavo constitit ante oculos.
Cuncti admirantur monstrum : sed mollior agna
Astitit in tenerum de grege versa marem.
Quid stolidi ad speciem notæ novitatis hebetis ?
An vos Nasonis carmina non legitis ?
Cænea convertit proles Saturnia Consus.
Ambiguoque fuit corpore Tiresias.
Vidit semivirum fons Salmacis Hermaphroditum.
Vidit nubentem Plinius androgynum.
Nec satis antiquum, quod Campana in Benevento
Unus epheborum virgo repente fuit
.
Nolo tamen veteris documenta arcessere famæ :
Ecce ego sum factus femina de puero.

[Voici une histoire connue, mais que les poètes peinent à croire, bien qu’elle soit tirée d’un récit authentique : à Vallebana {b} un oiseau mâle se changea en femelle, et, au lieu d’un paon, on vit une paonne. Tous admirent le prodige, mais une tendre brebis est bel et bien sortie d’un troupeau changée en jeune agneau. Pourquoi donc, sots que vous êtes, vous ébahir devant une nouveauté si banale ? Ne lisez-vous pas les chants d’Ovide ? Consus, fils de Saturne, fit changer le sexe de Cænis. {c} Tiresias eut un corps ambigu. La fontaine Salmacis a vu Hermaphrodite, mi-homme et mi-femme. {d} Pline a vu une jeune mariée androgyne. {e} Naguère, à Bénévent, en Campanie, une vierge se transforma soudain en un bel éphèbe. Je ne veux pourtant pas aller chercher mes preuves si loin dans le temps : de petit garçon, je suis moi-même devenu femme]. {f}


  1. Ausonii Burdigalensis, Viri Consularis, omnia, quæ adhuc in veteribus bibliothecis inveniri potuerunt Opera. Ad hæc Symmachi, et Pontii Paulini litteræ ad Ausonium scriptæ, tum Ciceronis, Sulpiciæ, aliorumque quorundam veterum carmina nonnulla, cuncta ad varia, vetera, novaque exemplaria, hac secunda editione emendata, commentariisque auctioribus illustrata, per Eliam Vinetum, Iosephum Scaligerum, et alios, quos pagina tertia ab hac inidcat. Indices duo subiuncti præfationi, scriptorum hic contentorum, rerum et verborum.

    [Toutes les Œuvres d’Ausone {i} de Bordeaux, ancien consul, qu’on a pu trouver dans les vieilles bibliothèques, avec les lettres que Symmaque {ii} et Pontius Paulinus ont écrites à Ausone, ainsi que quelques poèmes de Cicéron, {iii} Sulpicia et certains autres anciens. Tous les textes de cette seconde édition ont été corrigés en les comparant à celles qui ont anciennenment et récemment paru, et éclairés de commentaires enrichis par Élie Vinet, Joseph Scaliger {iv} et d’autres, dont la troisième page qui suit procure les noms. Deux index des matières et des mots suivent la préface].

    1. V. note [9], lettre 335.

    2. V. note [11], lettre 407

    3. Deux petites pièces en vers de Quintus Cicéron, v. note [4], lettre 324.

    4. V. notes [61] du Borboniana 2 manuscrit pour Élie Vinet, et [5], lettre 34, pour Joseph Scaliger (qui n’a commenté que les deux livres des leçons d’Ausone).

    5. Bordeaux, S. Millange, 1590, in‑4o non paginé, dont la partie principale compte 598 paragraphes.

  2. Perplexe sur ce lieu, Vinet a proposé Vallaibana en Espagne ou Vallis bona (Valbonne) dans les Alpes (près de Nice).

  3. Consus est l’autre nom de Neptune (v. note [6] du Faux Patiniana II‑7), fils de Saturne (v. note [317] des Deux Vies latines de Jean Héroard). Dans les Métamorphoses (livre xii, vers 189‑210), Ovide raconte que la belle Cænis demanda à changer de sexe après que Consus l’eut violée : Jupiter exauça son vœu, elle devint Cénée, vigoureux jeune homme capable de se défendre contre les attaques des autres.

  4. V. note [6] du Faux Patiniana II‑1 pour cette fontaine mythique.

  5. Pline, Histoire naturelle, livre vii chapitre iii (Littré Pli volume 1, page 285, au bas de la première colonne).

  6. J’ai mis en exergue les deux vers cités par L’Esprit de Guy Patin. Vinet a ainsi commenté le dernier :

    Catamitum, Paticumve quempiam hæc de se dicere, finxit Ausonius

    [En parlant ainsi, Ausone feignait d’être lui-même un giton ou un mignon].

    Étienne-François Corpet (1843) a aussi traduit le poème d’Ausone, mais d’une manière trop enjolivée pour que je la reprenne. Il a été moins elliptique que Vinet dans son annotation sur ce vers :

    « Plaisanterie dégoûtante d’un giton qui cherche à justifier son penchant pour la pédérastie. »

Ferdinand Nunnez est le nom francisé de Hernan Nuñez de Toledo y Guzman (Valladolid 1475-Salamanque 1553), en latin Ferdinandus Nonius Pintianus (natif de Pintia, nom latin de Valladolid). Humaniste espagnol, il enseigna le grec à Alcala de Henares, puis la rhétorique à Salamanque. Il a contribué à la rédaction de la Biblia poliglota Complutense [Bible polyglotte d’Alcala], première Bible trilingue (hébreu, grec, latin) jamais publiée, sous la direction du cardinal Jiménez de Cisneros (v. note [21] du Borboniana 8 manuscrit), imprimée en 1520. Pour chercher à éclaircir cette curieuse affaire, j’ai feuilleté deux des autres ouvrages de Pintianus (alias Nuñez).

Il me paraît impossible d’en déduire que Nuñez se disait lui-même androgyne, comme aurait prétendu le jésuite espagnol Jeronimo Roman de la Higuera (Tolède 1538-ibid. 1611), historien dont les ouvrages se sont avérés cousus de faussetés et de supercheries. Son élucubration sur l’ambiguïté sexuelle de Nuñez doit être enfouie dans l’un de ses nombreux ouvrages, tous écrits en espagnol.

L’article de L’Esprit de Guy Patin ne vient pas de la conversation de Patin : il reproduit mot pour mot (avec la même attribution erronée des vers d’Ausone à Martial) l’addition d’Antoine Teissier (v. supra note [12]) à l’éloge de Nuñez par de Thou (Genève, 1683, tome premier, page 70).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
L’Esprit de Guy Patin (1709),
Faux Patiniana II-2, note 23.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=8215&cln=23

(Consulté le 19/04/2024)

Licence Creative Commons "Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.