Autres écrits : Ana de Guy Patin :
L’Esprit de Guy Patin (1709),
Faux Patiniana II-2

Note [45]

Conrad Pellican {a} (Rouffach, Alsace 1478-Zurich 1556) a été l’un des fondateurs des études hébraïques en Europe. D’abord moine franciscain, il se convertit au protestantisme naissant et quitta son couvent de Bâle pour enseigner la théologie à Zurich. Il a contribué à la traduction de la Bible en allemand par Ulrich Zwingli {b} et Leo Jud (Zurich, 1531). Entre autres ouvrages, il a publié :

Cet article de L’Esprit de Guy Patin ne vient pas de lui : il abrège l’addition d’AntoineTeissier à la biographie de Pellican dans les Éloges des hommes savants tirés de l’Histoire de M. de Thou… (Genève, 1683, première partie, pages 95‑97, v. supra note [23]).

Melchior Adam {a} a donné une longue et instructive Vita Pellicani [Vie de Pellicanus] dans ses « Vies des théologiens allemands » (pages 262‑299). {b} Je n’y ai pas lu l’anecdote (rapportée par Teissier) sur l’absence de Nouveau Testament grec en Allemagne au début du xvie s. En 1499, ce qui intéressait le plus Pellican était de sortir la langue hébraïque de l’ignorance où le mépris des juifs l’avait ensevelie dans ce pays, et plus généralement, dans toute la chrétienté ; avec ce passage sur l’étonnante manière dont l’autodidacte Pellican a excellé dans la connaissance de l’hébreu (pages 269‑270) :

Contigit eodem anno mense Augusto, ut ascenderet cum Paulo præceptore Ulmam, ubi audierat esse sacerdotem virum bonum, Ioannem Beham cantorem, qui a Judæis Ulmensibus antequam expellentur, didicerat Hebræa : et multa habebat multo æere redemta, a paupere quodam Judæo elegantissimo scriptore, inter alia fragmentum Grammaticæ de conjugationibus verborum et literarum transformationibus, incerti authoris, et aliud quoddam. Utrumque curaverat ille multo ære transferendum in Germanicam linguam a Judæo, nihil prorsus de Hebraica grammatica intelligente. Nec enim Pellicanus eo usque invenerat inter omnes Judæos quenquam, nec in Alsatia, nec Wormatiæ, nec Francofurdiæ, nec Ratisbonæ vel alibi, qui vel unam ei Grammaticalem quæstionem solvere potuisset. Optimus ergo ille vir rogatus, copiam ei fecit describendi utramque Grammaticam, cum interpratione Germanica. Is ergo plurimum ei profuit, et præceptoris locum apud eum meruit. Quin et postero tempore, videns ejus studium indefessum, alia quoque permisit describenda. Eodem anno providentia Dei, Bibliopola Tubingensis attulit Biblia Hebraica integra, minima forma impressa Pisauri in Italia, quæ nemo curabat. Pellicanus id audiens, rogavit virum, sineret opus aliquot diebus inspicere ; concessit librarius, dicens floreno cum dimidio posse emi. Audito tam parvo posse comparari ; exultavit Pellicanus ; adiit suum Gardianum Paulum, orans pro se fide-juberet. Quod ubi fecisset ; Crœsi divitias se adeptum putavit, statimque Spiram ad avunculum scripsit, orans ut duorum florenorum munere vel eleemonyna dignaretur, quibus pro libris comparandis pauper egeret. Statim misit ea conditione, ne se emacem ad alienam crumenam exhiberet. Satis ergo tunc ditatus, postea nil unquam ab eo petivit. Reuchlinus vero iterum reversus, cum inaudisset, eum perlegendis Bibliis Dictionnarium concinnare, et semel annotatis postea non nisi capitis numerum adscribere, si ex concordantia translationis intelligeret, certum esse vocabuli adnotati significatum : retulit, se quoque idem opus moliri, et perfecisse fere verba incipientia ab Aleph : hortatus Pellicanum, ut strenue pergeret, se quoque idem facturum : id factum medio Julii mensis. Ad finem Octobris tota Biblia hoc modo perlegit, colligens radices, et loca adsignans plurima, verbis rarioribus, et non prorsus communibus. Ad initium Novembris Stutgardiam descendens, attulit Capnioni specimen laborum : ubi videns ille diligentiam, et admiratus operis tanti tam breve tempus, quo fuerat exantlatum, dixit, se nondum absolvisse partem inicpientium a Beth. Videns autem Pellicanum singulis dictoinibus adjecisse capitum numeros ; rogabat sibi commodaret librum, quo in suo sublevari posset : ne cogeretur propter unicum vocabulum totum semper volumen evolvere. Pellicanus libenter illi gratificatus est : contra ille eidem commodato dedit exemplar manuscriptum Grammaticæ R. Mose Kimchi, quod ab eodem Judæo Germanice translatum habebat, qui Ulmensi sacerdoti alia fragmenta transtulerat. Rogabat etiam Pellicanum : ut quæ jam scripserat tumultuarie, de dictionibus ab Aleph incipientibus, transcriberet : ut aliquando typographis posset tradi.

[Au mois d’août de la même année, {c} il se rendit à Ulm avec Paulus, {d} son précepteur. Il avait entendu dire que s’y trouvait un bon prêtre, le chantre Ioannes Beha, à qui les Juifs d’Ulm avaient enseigné l’hébreu, avant d’en être chassés. Il avait acheté fort cher beaucoup d’ouvrages à un pauvre juif qui était excellent écrivain, dont notamment le fragment d’une grammaire sur les étymologies des mots et les transformations des lettres, d’auteur incertain, et un autre livre. Moyennant force argent, il avait confié à un juif le soin de traduire ces deux textes en langue allemande, mais cet homme n’entendait absolument rien à la grammaire hébraïque. Pellican ne trouva non plus aucun juif, que ce fût en Alsace, à Worms, à Francfort, à Ratisbonne ou ailleurs, qui pût résoudre pour lui ne serait-ce qu’une simple question de grammaire. L’excellent Beha pria donc Pellican de bien vouloir se charger de transcrire ces deux grammaires et de les traduire en allemand, ce qui lui profita grandement et lui fit obtenir une place de précepteur. Qui plus est, dans un second temps, comme il ne se lassait pas de travailler, il se permit aussi de transcrire d’autres textes. La Providence divine fit, cette même année, qu’un libraire de Tübingen présenta une Bible hébraïque complète, imprimée en petit format à Pesaro, en Italie, qui n’intéressait personne. Apprenant cela, Pellican lui demanda qu’il lui permît de la regarder pendant quelques jours ; le libraire accepta, en disant pouvoir la lui vendre pour un demi-florin. {e} Pellicanus exulta en apprenant qu’il pouvait l’acquérir à si vil prix ; il alla voir son supérieur, Paulus, le priant de se porter caution pour lui. Cela obtenu, il s’estima riche comme Crésus {f} et écrivit aussitôt à son oncle, à Spire, lui demandant qu’il le jugeât digne de recevoir pour aumône la somme de deux florins, que le pauvre moine consacrerait à l’achat de livres. Son oncle les lui envoya sur-le-champ, sous condition qu’il ne se montrerait pas prodigue au profit d’une autre bourse. Se tenant alors pour suffisamment enrichi, il ne lui demanda plus jamais le moindre sou. Reuchlin fut de retour {g} et apprit que Pellican préparait un Dictionnaire en lisant soigneusement les textes bibliques, et qu’une fois qu’il les avait annotés, il ne manquait pas de relever le numéro de chaque chapitre, ne tenant pour certain le sens du mot qu’il avait noté que si la traduction du passage était intelligible. Reuchlin fit alors savoir qu’il s’était aussi attelé au même travail et avait presque terminé les mots commençant par Aleph. {h} Il encouragea Pellican à poursuivre avec acharnement et à procéder de la même manière que lui. Cet entretien eut lieu au milieu du mois de juillet. Dès la fin d’octobre, Pellican avait appliqué sa méthode de lecture à la Bible tout entière, colligeant les étymologies et relevant les mots très rares et peu communs dans quantité de passages. Au début de novembre, il se rendit à Stutgart et apporta à Capnion {g} un échantillon de ses travaux ; lequel, voyant sa diligence et admirant qu’un tel ouvrage ait été accompli et entièrement achevé en si peu de temps, dit qu’il n’était pas encore arrivé à bout des mots commençant par Beth. {i} Voyant aussi que Pellicanus avait adjoint les références des chapitres à chacun des mots, Capnion lui demanda s’il disposerait de son livre pour alléger son propre ouvrage, sans être forcé de feuilleter un volume entier à la recherche d’un seul mot. Pellican lui accorda généreusement cette faveur et, en échange de bon procédé, Capnion lui donna l’exemplaire manuscrit de la Grammaire du rabbin Moïse Kimhi, {j} qu’avait traduite de l’hébreu en allemand ce même juif qui avait cédé d’autres pièces au prêtre d’Ulm. {k} Il pria aussi Pellican de lui transcrire ce qu’il avait déjà rédigé sur les mots commençant par Aleph, afin de pouvoir un jour faire imprimer ces textes]. {l}


  1. V. notes [31], lettre 273.

  2. Vitæ Germanorum Theologorum, qui superiori seculo Ecclesiam Christi voce scriptisque propagarunt et propugnarunt, congestæ et ad annum usque m dc xviii. deductæ… [Vies des théologiens allemands qui, au siècle dernier, par leurs discours et leurs écrits, ont propagé et défendu l’Église du Christ, réunies et menées jusqu’à l’an 1618…] (Heidelberg, Jonas Rosa, 1620, in‑8o de 880 pages).

  3. 1499.

  4. Le théologien franciscain Paulus Scriptoris de Weil, dit Paul de Souabe (mort en 1505).

  5. Le florin d’Allemagne équivalait à une livre tournois.

  6. V. note [91] du Faux Patiniana II‑7.

  7. En 1500, Johann Reuchlin, surnommé Capnion (v. note [48], lettre 99), était déjà couvert de la gloire d’avoir été le premier des hébraïstes allemands chrétiens. Il reprenait ses fonctions à l’Université de Stuttgart au retour d’un long séjour en Italie.

  8. Première lettre de l’alphabet hébreu.

  9. Deuxième lettre de l’alphabet hébreu.

  10. Grammairien juif provençal du xiie s.

  11. Iohannes Beha, cité au début de cet extrait.

  12. Les trois livres des Rudimentorum Hebraicorum [Rudiments d’hébreu] de Reuchlin, contenant son dictionnaire et sa grammaire, ont paru en 1506 (Pforzheim, Thomas Anshelm, 621 pages sans format identifiable).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
L’Esprit de Guy Patin (1709),
Faux Patiniana II-2, note 45.

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(Consulté le 23/04/2024)

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