Autres écrits : Ana de Guy Patin :
L’Esprit de Guy Patin (1709),
Faux Patiniana II-7

Note [89]

V. notes [5] et [6] du Faux Patiniana II‑4, et [101] infra, pour les jugements moraux discordants sur la mort volontaire de la Romaine Lucrèce, après avoir été violée.

Il est ici question du suicide, plus spectaculaire encore, d’une autre femme à qui a été donné le nom éloquent (mais probablement fictif) de Digna (ailleurs appelée Dugna ou Dougna). En 452, Attila (vers 395-453), roi des Huns (v. note [56] du Patiniana I‑4) qui a ravagé les Empires romains d’Orient et d’Occident, investit Aquilée (Aquileia, province d’Udine), ancienne capitale de la Vénétie. Le Moréri a emprunté son récit du sac de la ville aux :

Antonii Bonfinii Rerum Hungaricarum rerum decades quatuor cum dimidia. His accessere Joan. Sambuci aliquot appendices et alia : una cum priscorum Regum Ungariæ Decretis, seu constitutionibus : quarum narrationes Bonfinii obiter meminere : et qua pagina 16. indicat. Tertium omnia recognita, emandata, et aucta per Ioann. Sambucum, Cæsar. Maiest. consiliarium et historicum. Cum indice copiosiss.

[Quatre Décades et demie des Histoires hongroises d’Antonius Bonfinius, {a} auxquelles on a ajouté quelques appendices et autres textes de Joan. Sambucus, {b} ainsi que les décrets ou constitutions des anciens rois de Hongrie, que les narrations de Bonfinius ont largement cités. La page 16 {c} procure le sommaire de cette édition que Ioann. Sambucus, conseiller et historiographe de Sa Majesté impériale a revue, corrigée et augmentée pour la troisième fois. Avec un très copieux index]. {d}

Livre vi, décade i,page 92, lignes 24‑42) :

Rex a mœnibus prædam, cædem, incendium et ruinam exclamat. In urbe et publico et privato prælio res agitur, frementes hinc voces, miserabiles illinc intonant ululatus. Aquileienses ad unum cæsi omnes. Hos pulcherrime mori, vilius alios cernere erat, mortem plerique lacessendo carpebant, occurrebant fortius aliqui. Multi prædæ dulcedine allecti, dum per latrebas incautius evagantur, miserrime cæduntur. Mulieres quæ superfuerunt, captæ omnes et prostitutæ sunt nulla, honestatis, pudicitiæ, ætatis et clementiæ habita ratio. Ne sexui quidem aliquid indultum, distrahebantur passim virgines, ingenuæque matronæ, et pro hostis libidine vis cuique illata. Templa, viæ, fora, item publice privatimque cædibus, furtis et rapinis omnia fœdari. Præ virorum oculis uxores incestari, cædi ante ora parentum immanissime filii, infantes matribus erepti parietibus illidi. Vastati omnia ferro et igni, cruoris rivos passim agi, extincta misericordia, planctis ac cædibus omnia misceri. At una præstantis pudicitiæ matrona commemoratur, quæ a fœdo hoste petita, dum in tecta fugit, ut eam tueretur, postquam non alia via, nisi morte impollutum corpus servare posse cognovit, e summis ædibus in subjectum Natisonem fluvium ultro se præcipitem dedit. Inter divas non immerito referenda, quando tam præclarum servandæ pudicitiæ, universæ posteritati legavit exemplum.

[Du haut des remparts, le roi crie l’ordre de piller, de tuer, et d’incendier et raser les édifices. Son ordre est exécuté au cours de combats, tant groupés que singuliers, qui font résonner la ville ici de murmures sourds, et là de hurlements déchirants. Tous les habitants d’Aquilée sont assassinés en même temps. On en voyait certains mourir très noblement, et d’autres plus vilement ; la plupart se laissaient tuer, quelques-uns luttaient avec grand courage. Beaucoup, attirés par l’appât du butin, étaient misérablement occis tandis qu’ils erraient sans méfiance d’une cachette à l’autre. Toutes les femmes qui survécurent furent enlevées et violées sans le moindre respect pour leur honneur, leur chasteté, leur âge ou leur candeur : sans nul égard pour leur sexe, vierges et nobles dames étaient appréhendées de tous côtés, et chacune était soumise de force à la lubricité de l’ennemi. Églises, rues, places étaient souillées de meurtres, de vols et de pillages, tant privés que publics. Sous les yeux de leurs maris, les épouses étaient violées ; sous ceux de leurs parents, les fils étaient très cruellement massacrés ; arrachés des bras de leurs mères, les petits enfants étaient jetés contre les murs. Quand tout eut été dévasté par le fer et le feu, des ruisseaux de sang s’écoulaient de tous côtés ; au mépris de toute miséricorde, les hurlements de douleur se mêlaient partout aux massacres. En a subsisté le souvenir d’une femme unique pour son insigne chasteté : recherchée par l’ignoble ennemi, elle s’était enfuie sur les toits pour y trouver refuge ; quand elle ne vit pas d’autre moyen que la mort pour pouvoir conserver son corps inviolé, elle se précipita du haut des maisons dans le fleuve Natissa. {e} On l’a, non sans raison, rangée parmi les saintes pour avoir livré à toute la postérité un si remarquable exemple de volonté à préserver sa chasteté]. {f}


  1. Antonio Bonfini (1427-1502).

  2. Johannes Sambucus (1531-1584), médecin et érudit hongrois.

  3. Index eorum quæ hoc opere præter tres Bonfinii priores decades exhibentur [Index de ce que contient cet ouvrage, en supplément des trois premières décades de Bonfinius].

  4. Hanau, Claudius Marnius et les héritiers de Ioannes Aubrius, 1606, in‑fo de 943 pages.

  5. Fleuve côtier de 15 kilomètres qui traverse Aquilée.

  6. Le Moréri cite aussi les :

    Caroli Sigonii Historiarum de Occidentali Imperio libri xx… Pertextitur autem in illis historia ab anno recuperatæ Salutis cclxxxiiii, usque a annum dlxv. Et absolvitur Indice rerum et verborum copiosissimo.

    [Vingt livres des Histoires de l’Empire d’Occident de Carolus Sigonius {i}… Ils couvrent les années 284 à 545 suivant la restauration de notre Salut, et sont résumés par un très copieux index des matières et des mots]. {ii}

    Le livre xiii, pages 224‑225, {iii} se réfère à Paul Diacre {iv} pour décrire les mêmes événements, en donnant à cette vertueuse héroïne le nom de Digna. Aucune des deux sources ne lui prête les dernières paroles rapportées par le Moréri.

    1. V. note [20] du Patiniana I‑2.

    2. Hanau, Daniel et David Aubrius, et Clemens Schleichius, 1618, in‑fo de 358 pages.

    3. Sur le règne de Valentinien iii, empereur romain d’Occident de 425 à 455.

    4. Chroniqueur bénédictin du viiie s.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
L’Esprit de Guy Patin (1709),
Faux Patiniana II-7, note 89.

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(Consulté le 19/04/2024)

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