L. 389.  >
À Charles Spon,
le 26 janvier 1655

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 26 janvier 1655

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0389

(Consulté le 14/12/2024)

 

Monsieur, [a][1]

Je vous envoyai ma dernière le mardi 13e de janvier avec une lettre pour M. Falconet. On nous apprend ici depuis ce temps-là que M. le cardinal de Retz [2] est fort malade à Rome ; or s’il mourait, la collation de l’archevêché appartiendrait au pape, en tant qu’il mourrait sur ses terres. [1]

Ce 18e de janvier. Je viens de voir M. Gassendi [3] avec lequel j’ai causé un gros quart d’heure au coin de son feu. Il se porte parfaitement bien, Dieu merci. Il n’a plus besoin que d’une douce saison, tels que pourront être le printemps et l’été. On dit que Cromwell [4] se va faire déclarer et couronner roi d’Angleterre. [2]

Ce 19e de janvier. Et voilà votre lettre du 12e qui me vient d’être rendue, pour laquelle je vous remercie de tout mon cœur et de tout ce que j’y ai trouvé, qui sont les cahiers de feu M. Cousinot [5] de Acidulis[3] Je vous en ai bien de l’obligation, et même de ce que vous aimez la mémoire d’un si honnête homme. J’attendrai patiemment le reste avec ce que vous m’envoyez par M. Duhan. Pour cette Grammaire française intitulée Nouvelle méthode, etc., [6] chez M. Vitré, [7] je vous avertis que c’est un fort bon livre que l’on réimprime présentement pour une quatrième fois. [4] Cette copie vient du Port-Royal [8] où il y a des jansénistes [9] fort savants qui ont fait cet ouvrage ; [10] à cause de quoi les loyolites, [11] hominum genus bonis inimicum et quod sua sola probat[5] n’en osent faire état (c’est peut-être qu’ils appréhendent qu’il n’y ait là-dedans quelque exemple de réfutation contre les usuriers, les hypocrites, les athées [12] et les pédérastes). [13] Quoi qu’il en soit, le livre a été si bien reçu que nous en aurons bientôt une nouvelle édition corrigée et augmentée (ab authore cuius nomen adhuc nescitur), [6] et que je vous enverrai aussitôt ; n’en achetez point et ne vous en mettez point en peine.

Pour l’affaire de mademoiselle votre belle-sœur, [14] je ferai pour elle tout ce qui me sera possible et y emploierai tous mes amis. Je m’étonne de cette perfidie, je pense que le compagnon perdra son procès tout du long. [7] Je m’étonne de quoi il y a tant de hardis chicaneurs au monde, c’est l’iniquité et l’impudence du siècle qui causent tous ces désordres.

J’ai achevé ma harangue de professeur du roi et suis prêt de la réciter dès demain dans le Collège de Cambrai[15][16] pourvu que M. l’évêque de Coutances [17] qui est le grand vicaire de M. le cardinal Antoine, [18] grand aumônier (mais absent), y puisse assister ; et pareillement mon patron, M. Riolan [19] qui se porte mieux, Dieu merci. Il est vrai qu’il ne sort point, mais il est tout habillé au coin de son feu et dicte quelquefois quelque chose à son écrivain. Il a l’esprit chaud et bouillant, et encore autant de mémoire que s’il n’avait que 35 ans. Il en veut à l’antimoine [20] et encore à d’autres ; ce qui se pourra voir si Deus vitam dederit[8] Madite harangue sera longue, elle durera bien une bonne heure et plus. Je verrai, Dieu aidant, cette semaine M. de Coutances afin d’accorder avec lui, ou plutôt de recevoir de lui, le jour qu’il voudra que je la récite (il est en cela notre grand maître). Il s’en est lui-même invité et m’a dit qu’il y voulait assister, ce sera beaucoup d’honneur qu’il me fera. Après qu’elle aura été récitée, je prendrai conseil de mes amis pour la faire imprimer ; quod si contingat[9] je vous en enverrai tel nombre d’exemplaires que vous en pourrez désirer pour vous et pour vos amis.

Un jeune gentilhomme[10] capitaine aux gardes, nommé M. de Tilladet, qui a encore son père [21] vivant (et qui a été autrefois gouverneur de Bapaume, [22] et depuis de Brisach), [23] propre neveu de M. le Tellier, [24] secrétaire d’État, a ici été misérablement tué par les pages et les laquais de M. d’Épernon, [25] dont il n’y en a nul de pis. Les deux carrosses de ces deux maîtres s’étaient rencontrés et entre-heurtés, ces laquais voulaient tuer le cocher de M. de Tilladet, le maître sortit de son carrosse pour l’empêcher, qui fut aussitôt accablé de ces coquins qui le tuèrent brutalement. Le roi veut que justice en soit faite et a fait faire une déclaration pour empêcher à l’avenir de tels abus contre les laquais, savoir qu’ils ne porteront plus d’épées ni aucun bâton à feu, [11] sur peine de la vie ; qu’ils seront tous dorénavant habillés de couleur diverse et non de gris, afin qu’ils soient reconnus, etc. Je pense que cette déclaration sera envoyée au Parlement pour y être vérifiée et publiée. Cela a été fait, elle est affichée par tous les carrefours et publiée par la ville, mais je ne sais pas combien de temps elle sera observée. Les jésuites ont quelquefois dit Decreta Sorbonæ non transeunt septenarium ; [12][26] ces ordonnances en sont presque de même.

Ce 25e de janvier. Aujourd’hui est mort à Paris un homme très vieux et considérable en sa qualité, c’est M. Le Bret, [27] doyen des conseillers d’État, âgé de 94 ans. Il a autrefois été avocat général au Parlement de Paris et était un des juges du maréchal de Marillac : [28] ce fut lui qui donna le coup de la mort et qui en fut vraiment le bourreau car il fut gagné du côté des parents de ce pauvre et infortuné maréchal, et puis après il se laissa gagner de l’autre côté, savoir au cardinal de Richelieu [29] qui lui en donna le brevet de premier président du parlement de Metz ; [30] à quoi il ne gagna rien car tôt après on le lui ôta et fut vendu à un autre qui depuis est mort enragé. [13][31]

Il est chu une tour dans le Bois de Vincennes, [32] laquelle a accablé un des concierges du dit lieu avec sa femme et trois enfants. La servante, qui entendit du bruit, se sauva à la bonne heur. Le roi a voulu voir ce désastre de ses propres yeux. [14] On dit qu’il arriva hier un courrier à M. de Brienne, [33] secrétaire d’État qui a les affaires étrangères, qui apporte nouvelles de la mort du pape, [34] du 7e de janvier. Il y a ici une plaisante querelle entre le prévôt des marchands et les échevins, [35] contre les cordeliers [36] pour une porte que ceux-ci ont faite au derrière de leur maison, laquelle répond dans [15] le fossé du faubourg de Saint-Germain ; [37] cela fera un procès qui ira à la Grand’Chambre[16] On dit que le prince de Condé [38] s’en va à Londres, que Cromwell se va faire déclarer empereur des deux mers, Océane et Méditerranée, et qu’il enverra du secours au prince de Condé pour attaquer la France du côté de La Rochelle [39] et de Bordeaux tandis que les Espagnols attaqueront les îles en Provence. [17][40] La princesse de Conti [41][42] est grosse, dont le cardinal est si aise qu’il a donné à son mari [43] le gouvernement de Guyenne. [18][44] On dit que Son Éminence [45] ira le mois de mai prochain à Bourbon [46] y prendre les eaux pour sa néphrétique, [47] tandis que le roi sera à Fontainebleau [48] avec la reine. Vale et me ama. Totus tuus aere et libra[19]

De Paris ce mardi au soir, à huit heures, le 26e de janvier 1655.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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