< L. 628.
> À André Falconet, le 10 août 1660 |
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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. –
À André Falconet, le 10 août 1660
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Ce samedi 7e d’août. Je vous envoyai hier de nos nouvelles par la voie de M. Troisdames. [2] Noël Falconet [3] a été aujourd’hui par tout Paris y porter de ses thèses et j’espère que demain il aura un bel auditoire. Il a même été à Vincennes [4] où il a présenté ses thèses à MM. l’archevêque [5] et le maréchal et marquis de Villeroy. [1][6] M. l’archevêque lui a promis de le venir entendre demain. Le cardinal Mazarin [7] se porte mieux. On dit qu’il n’ira point aux eaux, mais qu’on le mettra au lait d’ânesse. [8] On le baigne maintenant. M. Esprit [9] lui a dit en particulier que le bain ne lui était point bon et qu’il s’en trouverait mal s’il le continuait, qu’il s’inscrivait en faux contre ce bain, bien qu’il lui eût été ordonné par Vallot [10] et Guénault. [11] Je ne sais ce qu’il fera là-dessus, mais je suis bien averti que depuis quelque temps Vallot le veille et y couche toutes les nuits. Serait-ce que les nuits seraient plus mauvaises à ce malade, ou bien que Vallot le flatte et fait le chien couchant de peur d’être chassé ? [2] Quoi qu’il en soit, j’ai peur que l’hiver prochain ne fasse des places vacantes, tant en ministre d’État qu’en plusieurs abbayes. Le jour de l’entrée n’est point encore déterminé, mais néanmoins on croit qu’il est arrêté, et que ce sera le 24e, le 25e et le 26e de ce mois, car la fête durera trois jours ; et même, on est convenu que le Parlement ira jusqu’au Bois de Vincennes, tous à cheval, en robes rouges avec des housses de velours noir sur leurs chevaux. Les maîtres des requêtes iront avec M. le chancelier [12] en robes de velours noir. La Chambre des comptes, la Cour des aides, [13] les Monnaies, [14] la Ville, le Châtelet [15] et autres compagnies iront plus matin afin que le Parlement aille le dernier de tous. [3] Le médecin de la nouvelle reine, [16] qui est espagnol, m’a envoyé un billet et un compliment pour savoir de moi, touchant deux questions de médecine, qui étaient les auteurs qui en avaient traité, savoir de consuetudine et de frigido potu in morbis. [4] Je lui ai fait réponse et lui ai offert service. Il s’appelle Thomas Puellez, [17] c’est un petit homme bien savant qui a été professeur à Salamanque. [5][18] Enfin, ce tant souhaité dimanche est venu, Noël Falconet a répondu fort bien en belle compagnie, Messieurs les prélats y ont été fort honorablement reçus. S’il veut aussi bien étudier en médecine qu’il a fait en philosophie, il pourra dans trois ans être reçu dans votre Collège de Lyon. [6][19] Il est jeune, chaud et bouillant, en état d’apprendre et de comprendre beaucoup de choses. Il faut qu’il charge sa mémoire et remplisse son esprit dorénavant de tout ce qui peut lui servir pour être dans peu d’années un bon médecin, savant, judicieux et bien raisonnant. Vous savez bien que l’on cache les maladies des grands tant que l’on peut, encore que bien souvent on n’en puisse venir à bout. On dit que la maladie du cardinal Mazarin est douteuse, dubii et ancipitis eventus, [7] et je sais de bonne part que Guénault a dit qu’il aimerait mieux être vieux et pauvre médecin, comme il dit qu’il est (car il se plaint toujours), que d’être cardinal Mazarin et avoir tant d’écus. La reine mère [20] est fort contre Vallot, on a parlé de lui ôter sa charge et de le réduire à une pension viagère en donnant sa place à un autre, qui n’en sera pas fâché. Tacite [21] a dit quelque part fort à ce propos : Rerum humarum nihil est tam instabile, fluxum et caducum, quam potentiæ fama sua vi non nixæ. [8] C’est ce que je répondis à M. Guillemeau [22] lorsqu’il me vint un jour annoncer de grand matin que M. le garde des sceaux de Châteauneuf [23] était disgracié, dont il était fort étonné, nec immerito, [9] mais il trouva mon passage fort à propos. Ce fut le même jour que, l’an 1633, me naquit mon second fils [24] Carolus Patinus Professor pathologicus et omnibus honoribus dignissimus. [10][25] Il y a grande amitié à la cour entre le prince de Condé [26] et la reine mère. Tout le monde s’en étonne et s’en réjouit, comme un grand augure d’un bon temps. Ce sont les effets de la paix [27] et comme a dit Virgile : [28]
Dieu leur fasse la grâce de nous laisser vivre en paix plusieurs années afin que la pauvre France, épuisée par leurs discordes et mésintelligences, puisse enfin respirer. La sage-femme [30][31][32] fut hier menée à la Tournelle [33] et fut interrogée. Les juges ont commencé à opiner, le bruit court qu’il n’y a point assez de preuves pour la mort ; et néanmoins, elle a été condamnée au Châtelet [34] d’être pendue, par le lieutenant criminel [35] et par des conseillers, qui sont d’habiles gens. On dit que dès que le cardinal Mazarin se portera mieux, il ira au Bois de Vincennes y prendre l’air et du lait d’ânesse, [36] loco aquarum metallicarum [12] qui avaient été proposées par Vallot, mais improuvées par les quatre autres médecins. Pour le jour de l’entrée, nondum constat nec affirmatur. [13] Le temps est venu de remercier M. Le Sanier, [37] mandez-moi ce que vous voulez que je lui porte. Il m’a dit qu’il m’enverra l’imprimeur [38] pour payer les thèses, le papier, la taille-douce, etc. Nous retiendrons la planche et vous la renverrons quand vous l’ordonnerez, ou bien nous la rendrons à M. Morange, [39] si vous le voulez. Je m’en vais demain faire étudier Noël Falconet en médecine et lui faire apprendre par cœur les premiers chapitres des Compendia de M. Riolan le père, [40] et après, les Commentaires du même sur la Physiologie de Fernel avec l’Encheiridium anatomicum du fils. [14][41] C’est le chemin que j’ai fait prendre à mes deux fils, et qui y ont bien réussi. À mesure qu’il avancera dans ces premières institutions, je lui ferai mettre le nez dans quelques autres livres qui ei sternent viam ad lectionem Galeni et Hippocratis ; [15][42][43] et s’il me veut croire, il sera capable dans trois ans de passer docteur et d’être agrégé à votre Collège de Lyon. [6] Je vous prie d’y penser et de m’en mander votre intention. Je vous remercie des beaux vers que vous m’avez envoyés sur le mot de Mazarinus, Mars an ius ? [16] Si M. Talon [44] fait imprimer sa harangue sur la paix, je vous la promets, mais j’en doute car il n’aime point l’impression. [17] C’est un grand personnage et très illustre, je ne sais s’il a son pareil au monde à tel âge pour sa science, son expérience, son jugement. Que fait M. Guillemin [45] à Lyon ? Il y a longtemps que je n’ai ouï parler de lui. Ne lui dites rien de moi. Quel âge a-t-il ? Que fait votre Basset ? [46] Bouge [47] est-il reçu, a-t-il payé les 100 écus ? Quand est-ce que votre Lucques [48] pourra être reçu ? J’ai peur que son poumon ne le tue avant qu’il n’en puisse arriver jusque-là. C’est grande pitié de manquer de santé et de force d’esprit, cet homme a deux mauvaises pièces dans son sac. Je baise les mains à notre cher et féal ami M. Spon ; Tertullien [49] se plaint de ce qu’on reprochait aux gens de bien de son temps : Gaius Seius vir bonus, tantum quod Christianus. [18] Il y a 24 heures qu’il pleut à Paris, et rudement, après un effroyable tonnerre. Si cette pluie ne fût venue, on dit qu’il n’y eût eu non plus de vin que l’an passé. À quelque chose malheur est bon. Je vous baise mille fois les mains et à Mlle Falconet, à la joie de laquelle je prends part sur ce que son fils Noël a si bien répondu. J’espère que nous en ferons quelque jour un bon médecin et utinam oliva non mentiatur fructum suum. [19] Je suis de tout mon cœur votre, etc. De Paris, ce 10e d’août 1660. | |||||||||||||
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Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr | |||||||||||||
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