La virulence de Guy Patin à l’encontre des antimoniaux [1] a atteint son apogée dans la querelle qui l’opposa en 1651-1653 à Jean Chartier, auteur, en 1651, de La Science du plomb sacré des sages… [1][2][3] Parmi bien d’autres, [2] deux pièces présentent les arguments des deux parties lors du procès qui a clos leur différend devant le Parlement en juillet 1653, mais sans éteindre leur haine mutuelle. Elles jettent un jour fort cru sur la mauvaise foi et la malignité de Guy Patin.
Factum de Jean Chartier
La première pièce est le Factum pour Jean Chartier, écuyer conseiller médecin ordinaire du roi, professeur en médecine au Collège royal de France et docteur régent en la Faculté de médecine de Paris, demandeur et accusateur. Contre M. Guy Patin, docteur régent et ci-devant doyen de ladite Faculté, Germain Hureau et Daniel Arbinet, aussi docteurs régents en la même Faculté, défendeurs et accusés. [3][4][5]
« Il s’agit au procès de paroles indiscrètes, sales et insolentes, proférées par ledit Patin contre l’autorité de la Cour, publiquement dedans les Écoles de médecine de Paris, en présence de grand nombre de personnes de toutes conditions, et d’une oppression sans exemple, accompagnée d’injures atroces, de violences et de voies de fait contre le demandeur, le nom duquel il a rayé du catalogue [6] qui contient les noms de tous les docteurs régents en ladite Faculté, ne l’a point compris dans une thèse au nombre des disputants, [4][7] quoiqu’il fût en son rang de disputer selon l’ordre du tableau, et l’a chassé scandaleusement desdites Écoles, s’étant présenté pour y prendre sa place lors de la dispute de ladite thèse, le tout de son autorité privée, au préjudice et par un attentat à plusieurs arrêts de défenses rendus contradictoirement entre les parties ; particulièrement à un arrêt du 10e janvier 1652 portant qu’il en serait informé par l’un des huissiers de la Cour [8] en cas de contravention.
Au mois de juillet 1651, Patin a fait imprimer un libelle diffamatoire sous le nom de M. Jean Riolan [9] qui est de sa secte, par lequel il a voulu faire passer l’antimoine préparé, vulgairement appelé vin émétique, pour un poison, et les médecins qui s’en servent pour des empoisonneurs. [5]
Au mois d’août de la même année, le demandeur a fait imprimer la réponse, [1] par laquelle il fait voir que c’est un bon remède approuvé par toute l’École, et compris dans le Codex medicamentorum ou antidotaire [10] de la Faculté de médecine de Paris au nombre des meilleurs purgatifs, [11] et duquel les plus célèbres médecins se servent tous les jours pour la guérison de leurs malades, avec de très heureux succès.
Cette réponse a été entreprise par le demandeur sur deux motifs bien raisonnables : l’un, de défendre la Compagnie calomnieusement attaquée ; l’autre, de dissiper le doute dangereux, que ce libelle [5] avait pu jeter dans le public, de la bonté du dit remède.
Patin était doyen de sa Compagnie lors de l’impression qui a été faite de ces deux livres et ne pouvait prétendre qu’une même loi pour tous les deux.
Cependant, il les a traités bien différemment, car il est demeuré dans le silence lors de l’impression du libelle de Riolan et au contraire, il a fait un grand bruit lors de l’impression du livre du demandeur, quoiqu’il y eût beaucoup à blâmer dans le premier qui contient une diffamation publique contre tous ses confrères, qu’il a traités d’empoisonneurs, qui est l’injure la plus atroce que l’on puisse imaginer contre les médecins, et qu’il n’y eût rien à redire dans le dernier, qui ne contient qu’un raisonnement sur la bonté du dit remède, qu’il a prouvée par l’autorité de tous les docteurs, sans aucune invective, et duquel il n’y a personne qui se puisse offenser.
Le prétexte que Patin a pris d’éclater contre le livre du demandeur a été le prétendu défaut d’approbation de la Faculté de médecine ; [6] ce qui était sans fondement car il n’y a point de loi générale ni particulière qui oblige les docteurs régents en la Faculté de médecine de prendre des approbations de leurs écrits ; et leur suffit, pour les faire imprimer, d’avoir un privilège du roi, comme le demandeur a fait ; et même était peu judicieux parce que le même prétendu défaut se rencontrant au libelle de Riolan, Patin se devait plaindre de l’un et de l’autre, ou se taire à l’égard de tous les deux.
Aussi est-il vrai, comme Patin n’a pu s’empêcher de découvrir du depuis, que le véritable motif de la différence qu’il a faite en l’impression de ces deux livres est une haine qu’il a conçue contre le remède duquel le demandeur a fait voir l’utilité par son livre, à cause du succès et de la réputation des bons médecins qui s’en servent avantageusement pour le public.
C’est sur ce mauvais motif que Patin a tout osé et tout violé pour réussir dans le dessein qu’il a pris de chasser le demandeur des Écoles et de censurer son livre.
Voici sa procédure.
Le dimanche 27e août 1651 sur le soir, il a fait porter des billets imprimés dans les maisons de quelques docteurs ses affidés pour s’assembler auxdites Écoles le lendemain, deux heures de relevée, afin de délibérer sur l’impression du livre du demandeur ; et a le même jour envoyé au demandeur un autre billet, écrit et signé de sa main, portant ajournement personnel par lui décerné contre le demandeur, de son autorité privée, sans délibération, et même à l’insu de sa Compagnie.
Le demandeur, averti de l’injure que Patin lui voulait faire dans une assemblée faite à la hâte a réclamé l’autorité de la Cour et pris Patin à partie en son propre et privé nom par une requête sur laquelle la Cour a rendu son ordonnance signifiée le même jour, 28e août, portant un Viennent en la Grand’Chambre ; [7] et cependant, que toutes choses demeureraient en état.
Le 16e septembre ensuivant, il y a eu arrêt contradictoire en la Chambre des vacations [12] sur les conclusions de M. le procureur général, [8][13] par lequel il a été ordonné que les parties auraient audience sur l’appel au lendemain Saint-Martin ; et cependant, défenses à Patin de rien entreprendre et que toutes choses demeureraient en état.
Patin a méprisé ces défenses et voyant que le demandeur lui alléguait pour fin de recevoir indubitable que mal à propos il voulait censurer son livre, puisqu’il ne parle que de l’utilité d’un remède approuvé de la Faculté de médecine qui l’a mis dans son Codex medicamentorum, imprimé depuis plusieurs années, il a voulu rayer ledit remède du dit Codex et pour cet effet, il a convoqué une assemblée dedans les Écoles au 29e décembre de la même année, par des billets imprimés qu’il a fait porter chez quelques médecins dévoués à sa passion, pour nommer quelques-uns d’entre eux qui procéderaient à ladite radiation.
Le demandeur s’est derechef pourvu en la Cour par une requête sur laquelle il a obtenu de nouvelles défenses qui ont été signifiées à Patin le même jour 29e décembre, avant l’assemblée et lors qu’il entrait dans les Écoles de médecine.
Patin a encore méprisé ces défenses et par un attentat qualifié, il n’a pas laissé de nommer cinq ou six docteurs qui composaient toute ladite assemblée, pour procéder à ladite radiation.
Le demandeur s’en est plaint à la Cour et a obtenu un autre arrêt le 4e janvier 1652, sur les conclusions de M. le procureur général, par lequel la Cour a fait de nouvelles défenses à Patin de ne rien attenter ou innover. [9]
Patin a encore méprisé ces défenses et voyant que les docteurs qu’il avait nommés ne voulaient pas passer outre, par la crainte du dit arrêt, il a changé de batterie et comme tout son dessein était de chasser le demandeur hors des Écoles, ce que ladite Faculté ne voulait pas consentir, comme injuste, et ne le pouvait faire suivant ses statuts qu’après trois différentes convocations faites de tous les docteurs régents, Speciali articulo ita ut nemo reclamet, [10][14] il s’est imaginé que sa qualité de doyen lui suffisait pour l’entreprendre lui seul et de son autorité privée, tout de même que s’il n’y avait point eu de défenses.
Dans cette pensée cérébrine et chimérique, [11] il a rayé le nom du demandeur du catalogue ou tableau qui contient les noms de tous les médecins de Paris, ne l’a point fait nommer à certain jour de l’année que l’on appelle tous les docteurs régents de la Faculté de médecine dans lesdites Écoles par nom et par surnom, et a fait imprimer une thèse au commencement de janvier de l’année 1652 pour être disputée le 11e du même mois, dans laquelle il n’a point compris le nom du demandeur au nombre des disputants, quoiqu’il fût en son rang de disputer suivant l’ordre du tableau et qu’il y fût obligé sous peine d’être privé des droits de docteur régent ; et a fait mettre en sa place le nom de Claude Guérin [15] qui le suit immédiatement dans ledit ordre et ne devait disputer que dans la thèse suivante. [12]
Le demandeur s’est encore plaint de cet attentat à la Cour dès le 8e janvier, trois jours avant que ladite thèse dût être disputée, et a obtenu arrêt contradictoire sur les conclusions de M. le procureur général le 10e du même mois ; par lequel la Cour a fait très expresses défenses à Patin, même auxdits Hureau, président en ladite thèse, et Arbinet, lors bachelier, de la proposer et disputer jusques à ce qu’autrement par la Cour en eût été ordonné ; et en cas de contravention, a été permis à l’un des huissiers de ladite Cour d’en informer, pour l’information faite, rapportée et communiquée, être ordonné ce que de raison.
Cet arrêt fut signifié le même jour, 10e janvier, à Patin ; lequel, avec des paroles qui témoignent le mépris qu’il a toujours fait de l’autorité de la Cour, dit à l’huissier Doucin, [16] porteur du dit arrêt, que nonobstant les défenses y contenues, il ne laisserait pas le lendemain de se trouver aux Écoles de médecine pour y faire disputer ladite thèse, et que si ledit huissier Doucin s’y présentait pour exécuter ledit arrêt, il ferait sa charge, et lui la sienne ; ce sont les propres termes de sa réponse.
Cette menace de Patin a été suivie de son effet car l’huissier Doucin s’étant transporté aux Écoles de médecine le lendemain, 11e janvier sur les sept à huit heures du matin, il trouva ledit Hureau président, lequel entrait en la chaire, et ledit Arbinet bachelier prêt à disputer, ensemble ledit Patin et deux ou trois docteurs, auxquels il fit la lecture du dit arrêt hautement et publiquement, en présence d’un grand nombre de personnes qui étaient lors auxdites Écoles, tant pour assister à la dispute de ladite thèse que pour voir l’anatomie [17] d’un corps mort qui s’y devait faire le même jour ; laquelle lecture ne servit auxdits Patin, Hureau et Arbinet que d’un sujet de risée, qu’ils excitèrent avec plusieurs paroles indiscrètes et de mépris ; et ce fut bien pis quand ledit Patin s’emporta jusques à ce point d’insolence et de témérité de s’adresser à l’huissier Doucin et lui dire, plein de fougue et de colère, qu’il ferait disputer ladite thèse, nonobstant et en dépit du dit arrêt, duquel il se moquait et s’en torchait le cul.
Ce sont des paroles que le demandeur a de la pudeur et de la peine à rapporter ; mais Patin n’ayant pas appréhendé de les proférer en pleines Écoles, il est important de ne les pas déguiser à la Cour afin que la justice qu’elle s’en doit faire à elle-même, et qui réfléchit sur le demandeur, soit toute sévère et toute exemplaire, comme l’outrage qui a été fait à son autorité est tout insolent et tout public.
Le demandeur ne devait pas être exempt de la violence et de l’emportement de Patin, après ce qu’il avait fait contre un arrêt de la Cour pour lequel il ne devait avoir que du respect et de la vénération.
Aussi la Cour est suppliée d’observer que Patin l’ayant aperçu qui était dans un coin des Écoles, en état de prendre son rang pour la dispute, au cas que Patin voulût obéir au dit arrêt, il sortit impétueusement de sa place et proférant des injures atroces, calomnieuses et scandaleuses contre le demandeur, le chassa desdites Écoles, ensemble l’huissier Doucin, avec violences et voies de fait, continuant ses paroles pétulantes contre l’autorité de la Cour, en disant que les décrets de la Faculté de médecine étaient bien d’une autre nature que les arrêts donnés sur requête ; [18] ce sont les propres termes dont il a usé.
Ensuite, il fit disputer ladite thèse et fut secondé dans cet attentat par lesdits Hureau et Arbinet ; particulièrement par ledit Hureau, lequel y présidait et pouvait, en qualité de président aux Écoles, imposer le silence au dit Patin qui, comme doyen, n’était que le procureur et solliciteur des affaires de la Faculté de médecine, le faire retirer et se retirer lui-même ; ce qui donna de l’étonnement aux assistants et obligea les plus honnêtes gens de sortir, ne pouvant souffrir que l’on violât avec tant de licence et de mépris le respect que l’on doit aux arrêts de la Cour.
L’huissier Doucin a informé de cette violence suivant la permission portée par ledit arrêt du 10e janvier, et par l’information qui est composée de plusieurs témoins, personnes indifférentes et qui étaient lors auxdites Écoles, tant pour assister à ladite dispute qu’à ladite anatomie ; il y a preuve tout entière du fait, ainsi qu’il a été ci-dessus articulé. [13]
Sur cette information, il y a eu décret d’ajournement personnel contre Patin, Hureau et Arbinet, par arrêt du 10e février 1652, sur les conclusions de M. le procureur général signifiées le 12e du même mois.
Patin n’a point satisfait à ce décret ; mais voyant que le demandeur avait obtenu ses défauts, [14] pour en empêcher le profit, il s’est opposé au dit arrêt ; les parties ont plaidé sur l’opposition et par arrêt contradictoire rendu en l’audience sur les conclusions de M. le procureur général le 8e mars 1652, la Cour voulant approfondir l’affaire, et avoir une connaissance tout entière de la qualité de l’injure et de l’attentat fait à son autorité, a ordonné qu’elle verrait les charges, nonobstant l’instante prière, que fit faire ledit Patin par son avocat, qu’elle se contentât de voir le procès<-verbal > de l’huissier Doucin, par lequel il déclara qu’il prenait droit. [15]
En exécution duquel arrêt, les parties ayant écrit et produit, et la Cour ayant vu les charges, est intervenu un autre arrêt contradictoire le 6e avril 1652, aussi sur les conclusions de M. le procureur général, par lequel la Cour ayant reconnu la qualité du crime de Patin et de ses complices, a ordonné qu’ils subiraient l’interrogatoire à la première assignation qui leur serait donnée ; autrement, permis au demandeur de faire juger ses défauts.
Le 20e du même mois, cet arrêt a été signifié à Patin, Hureau et Arbinet ; lesquels ayant épuisé toutes leurs fuites, ont enfin été contraints de subir l’interrogatoire aux mois d’avril et mai de la même année 1652.
Patin, par son interrogatoire, n’a pas osé demeurer d’accord de toute l’insolence par lui commise ; mais sur le troisième article, il a reconnu que le demandeur était en son rang de disputer ladite thèse ; et sur le sixième, il a dit que l’arrêt du 10e janvier, portant défenses de faire disputer ladite thèse, lui avait été signifié le jour précédent, mais qu’il n’avait pas laissé de la faire disputer sur deux fondements bien extraordinaires qu’il a allégués : le premier, qu’il n’avait pas eu le temps de se pourvoir contre ledit arrêt ; l’autre et dernier, qu’il était fondé en des statuts de la Faculté de médecine, qui sont d’une nature tout autre et plus sublime que ne peut être un arrêt obtenu sur requête, tel qu’est celui obtenu par le demandeur. Ce sont ces mêmes termes que la Cour est suppliée de remarquer, comme justificatifs du mépris qu’il a toujours fait et qu’il fait encore à présent des arrêts de la Cour.
Les derniers mouvements étant survenus et le demandeur obligé de servir son quartier auprès du roi en qualité de médecin ordinaire, ensuite des dits interrogatoires, l’affaire est demeurée sans procédures jusques au 2d janvier 1653 ; auquel temps, le demandeur a obtenu arrêt sur les conclusions de M. le procureur général, par lequel la Cour a ordonné que les témoins ouïs en l’information faite par l’huissier Doucin seraient recollés, [16] et confrontés à Patin, Hureau et Arbinet par M. Le Nain, conseiller en la Cour. [17][19]
En exécution de cet arrêt, le recollement a été fait auxdits témoins, qui ont persisté en leurs dépositions.
La confrontation a aussi été faite au dit Arbinet, qui n’a fourni aucun reproche contre lesdits témoins, [18] qui ont encore persévéré en sa présence.
À l’égard de Patin et Hureau, plus coupables, ils ont fui autant qu’ils ont pu. Pressés par les procédures, ils se sont opposés à l’exécution du dit arrêt du 2d janvier 1653. Les parties ont plaidé sur l’opposition et, par arrêt contradictoire du 19e février dernier, a été ordonné que ledit arrêt du 2d janvier serait exécuté, et le procès instruit par recollement et confrontation, Patin tenu de comparaître aux assignations qui lui seraient données.
En suite de cet arrêt bien et dûment signifié, le demandeur a obtenu ses défauts. Pour en empêcher l’effet, Patin a été obligé de subir la confrontation le 28e du même mois de février.
Pour ledit Hureau, il est demeuré dans la contumace ; tellement que le demandeur, ennuyé de procédures, ayant déclaré à son égard qu’il prenait droit par son interrogatoire, la Cour a rendu son arrêt le 6e mars dernier, par lequel les parties ont été appointées à bailler par le demandeur ses conclusions civiles, < et > par lesdits Patin, Hureau et Arbinet leurs défenses par atténuation à écrire et produire et ouïr droit, [19] le tout préalablement communiqué au parquet de MM. les Gens du roi.
Suivant cet arrêt, le demandeur a fourni ces conclusions civiles, écrit, produit et obtenu ses conclusions contre ledit Patin et ses complices, qui sont encore dedans la contumace. L’affaire a été communiquée à M. le procureur général, qui a donné ses conclusions, tellement qu’il n’échet plus à présent que de prononcer.
La seule narration du fait véritable et sans exagération suffit pour faire connaître à la Cour la qualité du crime de Patin.
Il a voulu chasser le demandeur, son confrère, des Écoles de médecine et le priver de la qualité de docteur régent sur un principe de haine et d’envie : voilà qui est vicieux et contre les bonnes mœurs.
Il a commencé par un ajournement personnel qu’il a donné contre le demandeur, sans qu’il en eût le pouvoir et même sans sujet : c’est une oppression.
La Cour lui a fait défenses de rien entreprendre contre le demandeur par son ordonnance du 28e août 1651, qu’elle a réitérée et confirmée par son arrêt contradictoire du 16e septembre ensuivant sur les conclusions de M. le procureur général ; il a fait une seconde entreprise contre le demandeur : c’est un attentat.
La Cour a fait de nouvelles défenses par son ordonnance du 29e décembre de la même année 1651 ; il n’a pas laissé de passer outre : c’est un second attentat digne d’animadversion. [20]
La Cour a réitéré et confirmé ses défenses par un arrêt du 4e janvier 1652, aussi rendu sur les conclusions de M. le procureur général ; il a supprimé le nom du demandeur du catalogue des docteurs régents, il lui a défendu l’entrée des Écoles et ne l’a point compris dans une thèse au nombre des disputants, quoiqu’il fût en son rang de disputer ; le tout de son autorité privée, sans aveu de la Faculté de médecine et contre la prohibition de ses statuts et au préjudice des dits arrêts : c’est un troisième attentat qui, joint avec les précédents, compose un mépris criminel de l’autorité de la Cour ; lequel étant fait pour opprimer le demandeur, quand il serait seul, mériterait quelque sorte de punition.
Mais les choses ne sont pas demeurées aux simples termes d’une oppression, d’un attentat et d’un mépris.
La Cour, par son arrêt du 10e janvier de la même année 1652, a fait de très expresses défenses à Patin et ses complices de disputer ladite thèse, et ordonné qu’il en serait informé par un de ses huissiers en cas de contravention.
Le motif de la Cour a été de rendre Patin plus obéissant aux arrêts et en cas qu’il y contrevînt, elle a jugé sa contravention pour un crime puisqu’elle a permis d’en informer.
Tellement que, quand Patin et ses complices n’auraient fait autre chose, sinon de proposer ladite thèse, ils seraient criminels suivant ledit arrêt, et le demandeur aurait eu droit d’en faire informer ; et la Cour ne lui pourrait dénier une réparation avec dommages, intérêts et dépens, ayant pour titre de sa procédure ledit arrêt.
Mais ledit Patin s’étant emporté jusques à ce point de dire publiquement qu’il ferait disputer ladite thèse en dépit du dit arrêt, duquel il se moquait et s’en torchait le cul, l’ayant ensuite fait disputer et ayant chassé le demandeur et l’huissier porteur du dit arrêt avec injures, violences et voies de fait : c’est la plus haute des insolences qui se pouvait commettre contre l’autorité de la Cour ; c’est un crime sans exemple, qui n’est jamais venu dans la pensée des plus abandonnés, et duquel le demandeur ayant fait informer, en vertu du dit arrêt confirmé par plusieurs autres contradictoirement rendus avec ledit Patin, et le procès étant instruit aux frais et dépens du demandeur de l’autorité de la Cour, nonobstant tous les empêchements et oppositions du dit Patin sur les conclusions de M. le procureur général, il est sans difficulté que Patin ne peut éviter une très sévère condamnation.
Et c’est une mauvaise échappatoire de dire par ledit Patin, comme il a fait par son interrogatoire, que le demandeur n’est pas recevable d’agir pour l’intérêt de la Cour car, quoique l’injure qui a été faite à la Cour soit différente de celle qui a été faite au demandeur, elle ne produit pas pourtant de différents intérêts ; mais la Cour ayant mis le demandeur sous la protection de ses arrêts, Patin n’a pu rien faire contre lesdits arrêts qui ne se réfléchisse contre le demandeur, et n’a pu rien faire contre le demandeur qui ne réfléchisse contre lesdits arrêts ; et la Cour a pu connaître, par le récit des choses ainsi qu’elles se sont passées, que l’insolence qui a été commise contre ledit arrêt du 10e janvier < l’>a été parce qu’il était donné au profit du demandeur, et que la violence qui a été faite au demandeur < l’ >a été par un mépris et en haine du dit arrêt.
Tellement que la Cour ne se peut faire justice à elle-même qu’elle ne la fasse au demandeur, et ne la peut faire au demandeur qu’elle ne se la fasse à elle-même.
Et si, méprisant l’injure qui lui a été faite, elle ne veut pas punir les coupables selon le crime qu’ils ont commis, pour son propre intérêt, qu’elle les punisse pour l’intérêt du demandeur avec tant de sévérité qu’ils reconnaissent qu’il fait dangereux d’opprimer ceux qui sont sous sa protection ; et ce qui doit exciter sa justice et sa rigueur dans la prononciation de son arrêt, c’est que ledit Patin est un homme entreprenant et audacieux, qui publie partout qu’il se moque de la procédure extraordinaire et du procès, et de quelque arrêt qui puisse intervenir ; il en fera effectivement ce qu’il a menacé de faire de l’arrêt du 10e janvier 1652.
Partant, conclut le demandeur à ce que les fins par lui prises dans ses conclusions lui soient faites et adjugées, avec condamnation de tous dépens, dommages et intérêts.
Monsieur G. Ménardeau, rapporteur. » [21][20]
Mémoire de Guy Patin
En écho à cette première pièce, la seconde est le mémoire manuscrit que Guy Patin a rédigé pour préparer son plaidoyer contre Jean Chartier. [22][21]
« Messieurs,
La Faculté de médecine de Paris, pour laquelle je parle comme doyen, ne manque pas de raisons très valides et très bonnes contre son adversaire, M. Jean Chartier.
Lui et son avocat [22] ont changé l’état de la cause, [23] et ont dit beaucoup de choses qui ne servent ici de rien, et qui ne sont point au sujet dont il y a controverse entre la Faculté de médecine et Jean Chartier.
Ils ont parlé de l’antimoine comme d’un très excellent médicament parce que le prétendu libelle dont il est question traite de l’antimoine ; [1] mais Messieurs, ce n’est point ce qui nous mène : que l’antimoine soit bon ou non, il n’importe pour le présent ; ce n’est point ici que cette question se peut décider, ni le lieu de débattre cette controverse. Je vous dirai donc ce que c’est, Messieurs, si vous m’accordez tant soit peu de temps à parler.
C’est que de tout temps, Messieurs, par les lois de notre École, il est défendu à qui que ce soit de nos collègues de rien imprimer ni mettre au jour qui n’ait l’approbation, ou tout au moins le consentement de toute l’École. Le premier décret de notre Faculté sur ce point, pour empêcher les abus qui pourraient en provenir, fut l’an 1505, comme je trouve dans nos Commentaires ; un autre fut l’an 1535 sous M. le premier président Lizet, [23] qui fut encore confirmé par plusieurs rencontres jusqu’en l’an 1582. [24] Mais notre Faculté n’a pas seulement eu le droit de faire justice : en se faisant droit à soi-même, elle a jugé des autres et ceux de dehors aussi par ordonnance de Messieurs de la Cour ; en voici des exemples qui ne se peuvent réfuter. L’an 1607, les médecins et apothicaires de Blois [24] se plaignirent d’un certain médecin, nommé Renealmus, [25] qui se servait de divers remèdes nouveaux et extraordinaires, chimiques, [26] purgatifs et narcotiques. [27] Le procès en fut poursuivi vivement jusqu’au Parlement de Paris qui ordonna que la Faculté de médecine de Paris serait assemblée et qu’elle donnerait son avis sur la bonté ou sur la malice des drogues de Reneaulme. Notre Faculté obéissant à cet auguste Sénat, après mûre délibération, prononça sur les drogues de Reneaulme, les condamna comme suspectes, dangereuses et mauvaises ; et aussitôt, Reneaulme, qui était un médecin étranger, céda au décret de notre Faculté et y a obéi toute sa vie. [25] L’an 1615, les médecins et apothicaires de Provins [28][29] se plaignant d’un certain pharmacien qui se servait de remèdes chimiques, suspects et dangereux, ex quorum usu quamplurimus male fuerat, [26] le jugement en fut renvoyé à notre Faculté ; laquelle, par un décret particulier, commit l’examen de toutes les drogues de cet homme, que l’on avait fait apporter de Provins, à quatre des plus excellents docteurs qui furent jamais, savoir à MM. Nic. Piètre, [30] Jean < ii > Riolan, André Du Chemin, [31] Gaspard Brayer, [32] avec le doyen de ce temps-là qui était M. Quirin Le Vignon. [33] Ces grands personnages, quorum manibus bene precor, [27][34] improuvèrent les drogues de cet homme, et les jugèrent nuisibles au corps humain et vénéneuses. Arrêt de la Cour s’ensuivit confirmant le rapport de notre Faculté, et fut ledit pharmacien condamné aux dépens du procès et à l’amende, et ses poisons jetés dans la rivière. Mais pourquoi m’arrêté-je aux exemples étrangers ? En voici un domestique que tous nos anciens ont vu, et qui seul est capable de juger la querelle qui est aujourd’hui entre J. Chartier et notre Faculté. Petrus Palmarius, [35] l’an 1609, fit un livret dans lequel il promettait de guérir la ladrerie [36] avec un certain or potable [37] de sa préparation. Notre Faculté, ne pouvant souffrir cet abus, condamna le livre comme dangereux et chassa Paulmier de l’École, le privant de tous ses droits et prérogatives pour deux ans, donec ad meliorem mentem reverteretur ; [28] et après deux ans, étant devenu plus sage, qu’il pourrait être réintégré en demandant pardon à la Faculté. Ce décret de notre École signifié à Paulmier lui déplut fort, et en appela à la Cour, prétendant l’y faire casser ; mais il en arriva tout autrement qu’il ne pensait : bonus ille vir qui potuisset esse nobilis, nisi factus fuisset ciniflo, [29] à ce que disait de lui M. Jean Duret, [38] alléguait à Messieurs de la Cour que les médecins de Paris, ses maîtres, l’ayant condamné et s’étant déclarés ses parties, ne pouvaient plus être ses juges ; et que pour bien et sainement juger de son or potable, il fallait faire venir d’autres médecins de bien loin pour juger ce différend entre lui et eux. Au contraire, l’avocat de notre Faculté soutenait qu’il devait être renvoyé à nos Écoles, et que nos docteurs étaient ses vrais et naturels juges. Enfin, après ces contestations, suivant les conclusions de M. l’avocat général Servin, [30][39] arrêt s’ensuivit par lequel il fut débouté de sa demande prétendant et voulant éluder le jugement de l’École ; et fut condamné de se soumettre aux lois et à la juridiction de la Faculté de médecine de Paris, ce qu’il fit ; et en attendant que le temps auquel il avait été condamné fût écoulé, en travaillant à ses fourneaux chimiques, une vapeur minérale et vénéneuse qui s’éleva du creuset lui donnant dans la tête, il en tomba roide mort. Voilà donc l’exemple et la catastrophe de Paulmier qui fut renvoyé par arrêt à notre Faculté, de la juridiction de laquelle il se voulait soustraire, et ensuite le malheur qui lui arriva. Je prie Dieu, parce que je suis chrétien, qu’il détourne du chef de notre très cher adversaire, Jean Chartier, tel malencontre : hactenus errantem sequutus est Palmarium, utinam et sequatur pœnitentem, sed meliori sorte et feliciori eventu. [31]
Depuis ce temps-là, Messieurs, je ne trouve en nos registres que l’exemple d’un homme qui, ayant fait plainte au Parlement pour un décret fait contre lui, fut renvoyé à notre tribunal et fut contraint d’y acquiescer. Les livres de médecine ont toujours été de notre ressort et sujets à notre examen ; nul de notre Collège n’a jamais rien fait imprimer du sien ou d’autrui qui ne se soit soumis à la discipline de l’École, qui n’en ait eu la licence, le consentement et l’approbation. C’est ainsi que les œuvres de M. Riolan ont été mises en lumière, les commentaires de M. Moreau sur l’École de Salerne, [40][41] les commentaires de M. Martin sur Hippocrate, [32][42] les œuvres de Guillaume de Baillou en cinq tomes, [43] les œuvres de Perdulcis, [44] et autres ; d’entre lesquelles je ne veux point oublier, ni ne le dois, ce qu’a fait M. René Chartier, père de notre adversaire, dans l’édition qu’il a fait faire des œuvres grecques et latines d’Hippocrate et de Galien : [33][45][46][47] il en a demandé la permission et l’approbation de notre Faculté il y a plus de 15 ans, combien que l’Hippocrate et Galien n’aient aucun besoin de notre approbation. Voilà un fait singulier qui doit mettre en confusion notre adversaire, son fils, lequel tout au moins devait imiter un si sage père. Voilà donc, jusqu’à notre temps, la Faculté de médecine en possession du droit de juger et approuver des livres de médecine. L’an 1648, < le > 4e de décembre, in decanatu M. Io. Pietræi, prædecessoris mei, [34][48] pour un certain désordre qui était arrivé et pour en empêcher un pareil à l’avenir, speciali decreto, [35] la Faculté ordonna que dorénavant nemo doctor ullum de re medica librum, ullum simplex compositumve medicamentum approbaret nisi antea Decanus convocasset de ea re facultatem : a qua electi doctores, re bene examinata, suum iudicium ad eamdem Facultatem referent, quod vel approbare vel improbare integrum foret Facultati, qui secus faxit mulctandum esse, etc. [36] Un autre abus s’étant présenté hoc præsente anno, [37] pour empêcher à l’avenir que personne n’en abusât, pour les fréquentes demandes d’approbations que l’on me demandait tous les jours, j’en fis ma plainte à la Compagnie, et montrai la nécessité d’un nouveau décret contre ceux qui se mêlaient d’approuver des livres et des remèdes ; ce qui fut fait, et c’est celui qui vous a été lu. La Faculté, sur mes plaintes, jugea ce décret de telle importance qu’elle ordonna qu’il serait imprimé et distribué à tous les docteurs afin que personne n’en pût prétendre cause d’ignorance ; ce qui fut fait et notre adversaire, Jean Chartier, en a été averti comme les autres, ce qu’il ne peut nier. [38]
Trois mois après ce décret signifié et envoyé à tous nos docteurs, ayant appris que J. Chartier faisait imprimer le sien < libelle >, [1] j’en fis mes plaintes à la Faculté ; laquelle m’ordonna de lui faire savoir qu’il eût à prendre approbation de son livre de notre Faculté, autrement qu’il serait désavoué. Sans s’acquitter de son devoir, il met son libelle en lumière ; et comme, en une autre assemblée, je veux me plaindre de lui, il me fait signifier qu’il appelle au Parlement de tout ce que nous pourrions faire contre son livre. Et voilà, Messieurs, pourquoi je suis ici pour la Faculté de médecine, laquelle vous prie de considérer que nous avons juste raison de nous plaindre du procédé de Jean Chartier qui nous tire au Parlement sans qu’il y ait de notre faute.
Je dirai ici, Messieurs, avec votre permission, tam libere quam vere, [39] à J. Chartier : huius causæ cognitio non tam ad Senatum quam ad Collegium medicorum pertinet. [40] Le grand et divin Platon consulté d’un point de mathématiques n’en voulut rien prononcer, mais le renvoya à Euclide qui était le plus grand mathématicien de son temps, combien que d’ailleurs Platon fût très savant et très consommé en toute la philosophie. [49][50] C’est un précepte de Quintilien : [51] Soli artifices possunt iudicare de artibus. [41][52] S’il y a un procès entre deux voisins pour une maison, la Cour n’en juge point qu’après le rapport des experts. Le saint évêque de Clermont, Sidonius Apollinaris, a dit en ses Épîtres : Qui non intelligunt artes, non mirantur artifices. [42][53][54] C’est une maxime d’Aristote, prince des philosophes : Unicuique in arte sua perito credendum est. [43][55] Abrotonum ægro non audet, nisi qui didicit dare ; quod medicorum est promittunt medici, tractant fabrilia fabri. [44][56] C’est donc aux docteurs de notre Faculté à examiner ce livre, qui, comme vrais et naturels juges en ce fait, sauront bien distinguer inter lepram et lepram, et verum a falso discernere, etiam in arduis quæstionibus, quatenus in arte sua peritissimi. [45][57] C’est un jeune Phaéton qui veut tout seul gouverner le chariot de son père et qui veut tout perdre. [58] C’est un jeune homme qui n’entend pas raison, Fertur equis auriga, neque au dit currus habenas ; nec ad meliorem mentem revertetur, [46][59] s’il ne s’y voit contraint par l’autorité et la majesté de vos arrêts.
Il évite et tâche de se soustraire à notre juridiction, comme s’il se sentait coupable. Dicam cum elegantissimo Arbitro : Eheu, quam male est extra legem viventibus, quidquid meruerunr semper expectant. [47][60] Au lieu d’attendre son jugement de nous, qui sommes ses juges, il nous fait un procès comme si nous étions coupables de quelque crime. Il n’est point ici question de la matière de son livre, ni si l’antimoine est un poison ou un bon remède, mais seulement que son livre soit examiné par les députés qui ont été nommés de l’École. Dans l’espérance qu’il a d’éviter la censure de son livre, il dit qu’il traite de l’antimoine qui est une fort bonne drogue, ce dit-il quasi vero, [48] tout comme si d’une bonne drogue on ne pouvait pas faire un mauvais livre. Tant de livres jusqu’ici ont été condamnés qui traitaient de belle, bonne et sublime matière. Les sociniens, [61] qui sont d’infâmes hérétiques, ont écrit de la divinité de Notre Seigneur Jésus-Christ, Sauveur du monde, et néanmoins leurs livres ont été censurés et condamnés comme très abominables. Michel Servet, Espagnol, avait écrit un livre de la Trinité, qui est un des plus grands mystères de notre religion, et néanmoins, le livre fut condamné, et l’auteur pendu et brûlé pour l’expiation de son crime. [49][62][63][64][65][66][67][68] Tous les hérétiques ont fait des livres de Deo, de Eucharistia, de Religione, de Rebus sacris, [50] qui sont les meilleures choses du monde, et néanmoins, leurs livres ont été condamnés comme très mauvais et très pernicieux. Sed quid frustra Hæreticorum libros in exemplum assumo ? [51] La Sorbonne [69] censure tous les jours des livres qui ont été faits par des docteurs catholiques, tant des séculiers que des réguliers : la Somme théologique du P. Garasse [70] et la Somme du P. Bauny, [71] jésuites, ont ainsi été censurées ; [52] meliorem fortunam non est expertus Doctor virginalis Sanchez qui scripsebat grandem librum de matrimonio ut sacramentum est ; [53][72] les livres des jésuites anglais n’ont pas été mieux traités, du sacrement de confirmation ; et néanmoins, ces sacrements sont choses très bonnes et très salutaires. C’est donc chose certaine que d’une fort bonne chose on peut faire un méchant livre ; et en conséquence des censures dont je viens de parler, je prétends que c’est à la Faculté de médecine à examiner son livre, et au tribunal de laquelle il doit être renvoyé, ne integerrimus Ordo corrumpatur. [54] C’est, Messieurs, ce que vous demande aujourd’hui notre Faculté par ma bouche. Vous savez tous fort bien, Messieurs, combien exactement nous gardons nos statuts et combien religieusement nous demeurons dans notre discipline, de laquelle, si Chartier pouvait se soustraire par sa chicane, l’injure en serait publique : Charitas non quærit quæ sua sunt. [55][73] Ce que nous demandons n’est point notre intérêt, c’est celui du public et le bien commun de toute la république que les collègues soient retenus, legum metu, [56] dans les lois de leur Collège, afin que personne n’en abuse. On ne dispute point une thèse ni aucune question en nos Écoles qui n’ait spécialement été approuvée par le doyen. Si Chartier n’est par votre arrêt réduit à son devoir, adieu les statuts et les lois de notre Faculté, adieu notre discipline, vu que, par un contretemps et une périlleuse conséquence, personne ne voudra plus faire son devoir ni s’acquitter de sa charge, sous espérance d’impunité. C’est la prière que je vous fais, tanquam επιμελητης των Μουσων, comme au procureur des Muses, hautement loué entre les Grecs, dont fait mention Athénée en ses D<é>ipnosophistes, [57][74] de la part et au nom de toute notre Faculté qui est la mère nourrice et tutrice de cette grande ville, pour la conservation de laquelle nous employons nos études, nos travaux, nos veilles et nos vies. Renvoyez donc, Messieurs, Jean Chartier à notre discipline afin qu’il ne porte point à l’avenir mauvais exemple à personne ; et in hoc stabit votorum summa meorum : [58] c’est empêcher un désordre qui deviendra public et qui offensera toute la France.
Ætheram servate Deam, servabitis urbem. » [59][75]
- « De expuncto Charterio e numero doctorum. [60]
C’est lui qui nous a quittés le premier et qui sine causa provocavit ad Senatum : abiit a nobis qui non erat ex nobis. [61] Il ne pouvait pas être présent ni assister à notre École et à nos assemblées, refusant de se soumettre à notre discipline et de prendre approbation de son livre comme font les autres ; neque fuisset illi tutum nostris comitiis interesse ; [62] et néanmoins, ce n’est qu’une suspension ad tempus, [63] et jusqu’à ce qu’il soit devenu plus sage.
- S’il y a loi qui l’oblige de prendre notre approbation ?
Quand il n’y aurait point de loi, l’affaire est de telle importance qu’il y devrait être contraint. Mais il y a divers décrets de l’École, coutume, et même arrêt de la Cour l’an 1600, donné contre Corbin, chirurgien. Décrets de l’an 1648, sous M. Piètre, contre l’Orviétan ; [35][76] et celui du 12 juin. [37] Coutume : M. René Chartier, Mentel, [77] Pallu, [78] Thévart, [79] Tardy, [80] Germain. [81] L’arrêt de Paulmier, l’an 1609. [27] Il ne se dispute rien aux Écoles ni ne s’imprime aucune thèse sans permission de la Faculté et approbation du doyen.
- Pour l’affaire de l’huissier, j’ai signé le procès-verbal de Doucin, qui a été présent et au témoignage duquel je me rapporte, [12] outre les trois docteurs que j’ai, qui n’ont bougé de mes côtés. Je demande que mon procès me soit fait sur le procès-verbal que j’ai signé. C’est de la chicane que me fait ma partie, et une vexation pour gagner temps et éluder le jugement du procès. »
Épilogue
La sentence du Parlement, prononcée le 15 juillet 1653, [64] donna tous les torts à l’École de médecine, ordonnant la réintégration de Jean Chartier dans les rangs de ses docteurs régents, et condamnant Patin, Hureau et Arbinet à une amende légère et aux dépens du procès.
Patin fut bien plus sévèrement puni par les conséquences catastrophiques de son décanat pour la cause qu’il s’était aveuglément acharné à défendre : en exacerbant leur rancœur, son insigne maladresse avait permis au clan stibial de compter ses adhérents ; 61 des 112 docteurs régents avaient signé le manifeste du 26 mars 1652 en faveur de l’antimoine ; cette majorité ne cessa plus de croître et permit à l’émétique chimique de triompher 14 ans plus tard, après une guerre qui avait duré cent ans. [65] |